Ecologie
Tafta ou climat :
sept questions à
François Hollande et au gouvernement
Maxime Combes
Mercredi 6 mai 2015
Interrogé à plusieurs reprises, le
gouvernement nie les implications
climatiques du Tafta. A l'occasion de
l'audition de Matthias Fekl, ce mardi 5
mai, à l'Assemblée nationale, voilà sept
questions documentées, comme autant
d'arguments, à ce sujet : Tafta ou
climat, il faut choisir !
Dans une même phrase, un même
discours, une même journée, François
Hollande n'hésite pas à dire qu'il
souhaite obtenir un accord historique
entre les Etats-Unis et l'Union
européenne (Tafta), et ensuite qu'il
veut laisser « sa trace dans
l'histoire » avec un « accord
historique » lors de la Conférence des
Nations-Unies sur le changement
climatique à Paris à la fin de cette
année. De notre point de vue [1],
il y a clairement un « historique de
trop ».
Ce mardi 5 mai, les commissions
des affaires économiques et des affaires
européennes de l'Assemblée nationale
auditionnent Matthias Fekl, secrétaire
d’État au commerce extérieur, en amont
du Conseil Affaires étrangères
(commerce) de l’Union européenne du 7
mai. Voici sept questions, documentées,
que nous poserions à Matthias Fekl, si
nous étions parlementaires.
1. Pourquoi le gouvernement
français accepte-t-il que le mandat de
négociations du Tafta ne compte aucune
référence aux exigences climatiques ?
François Hollande clame haut et fort
sa conversion à l'urgence climatique. Au
point de s'être auto-décerné, avec
Barack Obama, un rôle de
« leadership » en la matière au
printemps dernier dans une
tribune conjointe.
Pourtant, l'Union européenne et les
Etats-Unis négocient un accord
transatlantique sans que les exigences
climatiques ne soient prises en compte.
Ainsi, le mandat de négociations [2]
que les Etats-membres de l'UE ont confié
à la Commission européenne, pourtant
très détaillé sur les principes
commerciaux à mettre en œuvre, n'évoque
tout simplement pas l'urgence
climatique : aucune mention de la
nécessaire réduction des émissions de
gaz à effet de serre (GES), de
l'objectif de rester en deçà des 2°C de
réchauffement global d'ici à la fin du
siècle, ou de l'urgence de mettre en
œuvre une transition énergétique qui
soit à la hauteur de ces enjeux.
PourquoiFrançois Hollande et le
gouvernement, s'ils sont réellement
convaincus de l'urgence d'agir en
matière de climat, ne proposent-ils pas
de revoir le mandat de négociations pour
y intégrer, noir sur blanc, ces
objectifs ?
2. Pourquoi poursuivre des
négociations qui vont accroître les
émissions de GES ?
Les études d'impact que la
Commission européenne utilise pour
justifier le bienfondé des négociations
indique très clairement que la
libéralisation des échanges
transatlantiques génèrerait une hausse
des émissions de gaz à effet de serre
(GES) de quatre à onze milles tonnes de
CO2 par an. Cette hausse, même
limitée, n'est-elle pas contraire aux
exigences climatiques que l'Union
européenne et ses Etats-membres, donc la
France, se sont fixées ? Si l'urgence
climatique est telle qu'il faille
réduire urgemment et drastiquement les
émissions de GES comme nous y invitent
les derniers rapports du GIEC, est-il
acceptable de poursuivre des
négociations qui vont les augmenter de
façon certaine ? Pourquoi François
Hollande et le gouvernement, s'ils sont
réellement convaincus de l'urgence
d'agir en matière de climat, acceptent
de poursuivre des négociations qui
augmentent les émissions de GES et
renforcent le réchauffement global ?
Commentaire : cette question
n'est pas secondaire. La contribution du
commerce mondial de marchandises aux
dérèglements climatiques est
considérable : le fret serait
responsable de 10 % des émissions
mondiales. On peut même calculer que la
globalisation des échanges
(diversification des marchandises,
dégroupage de la production, gonflement
du volume des échanges) et la logistique
de la mondialisation contribuent à plus
de 20 % des émissions globales. N'est-il
pas temps de s'attaquer à ce problème ?
© Olivier Tétard, licence
Creative Commons BY-SA.
3. Pourquoi poursuivre des
négociations qui encouragent
l'exploitation d'hydrocarbures de
schiste et de sables bitumineux ?
Sous couvert de garantir sa
« sécurité énergétique », l'UE veut
libéraliser le commerce et les
investissements transatlantiques en
matière d'énergie et de matières
premières. Alors qu'il est muet sur le
climat, le mandat de négociations est
très clair à ce propos [3].
Comme le montrent des documents fuités
dans la presse américaine en mai et
juillet derniers [4],
l'UE souhaite lever les restrictions
américaines à l'exportation de gaz
naturel et de pétrole brut. Une série de
dispositions prévoit même de faciliter
les investissements et l'octroi de
licences de prospection, d'exploration
et de production d'hydrocarbures aux
entreprises étrangères des deux côtés de
l'Atlantique. La France et l'Allemagne
ont explicitement appuyé cette approche.
Si les attentes de l'UE étaient
acceptées, l'industrie pétrolière et
gazière serait encouragée à étendre la
frontière d'extraction du pétrole issu
des sables bitumineux ainsi que l'usage
de la fracturation hydraulique pour
accroître la production d'hydrocarbures
de schiste. Soit deux des sources
d'énergies les plus polluantes et
dévastatrices que l'on connaisse sur la
planète. Pour être acheminés de l'autre
côté de l'Atlantique, ce gaz et ce
pétrole nécessitent des investissements
colossaux – plusieurs centaines de
milliards de dollars – des deux côtés de
l'Atlantique dans la construction de
nouveaux pipelines, raffineries et
usines de liquéfaction et
regazéification. Des investissements qui
renforceront la dépendance de l'UE aux
énergies fossiles et des montants qui ne
seront pas consacrés à la ransition
énergétique. PourquoiFrançois
Hollande et le gouvernement, s'ils sont
réellement convaincus de l'urgence
d'agir en matière de climat, acceptent
de poursuivre des négociations qui
encouragent l'exploitation d'énergies
fossiles et retardent la transition
énergétique en Europe ?
4. Pourquoi poursuivre des
négociations qui sabotent déjà la lutte
contre les dérèglements climatiques ?
Fin septembre 2014, la
Commission européenne et le Canada ont
annoncé avoir finalisé leurs
négociations commerciales (Ceta).
Quelques jours plus tard, l'Union
européenne renonçait [5]
à restreindre l'importation du pétrole
issu des sables bitumineux. Pour obtenir
ce résultat, Stéphane Harper, le premier
ministre canadien, allié aux
multinationales du pétrole, a multiplié
les pressions diplomatiques [6]
auprès des responsables politiques
européens, en mettant dans la balance le
Ceta, pour que la directive européenne
sur la qualité des carburants ne
discrimine pas négativement le pétrole
canadien. Depuis le gouvernement
français a jugé que cet accord était un
« bon accord ». Avec le Ceta et le Tafta,
les normes visant à encadrer et/ou
réduire l'importation et la consommation
d'énergies fossiles ne sont pas les
bienvenues et sont perçues comme des
fardeaux réglementaires à supprimer.
PourquoiFrançois Hollande et le
gouvernement, s'ils sont réellement
convaincus de l'urgence d'agir en
matière de climat, acceptent-ils de
brader des normes favorables au climat
pour signer des accords commerciaux ?
5. Pourquoi renforcer le
droit des investisseurs au détriment du
droit à réguler en matière de climat ?
Le très controversé mécanisme
de règlement des différends investisseur
– Etat (ISDS) pourrait fragiliser toute
une série de réglementations écologiques
dont l'Union européenne, ses pays
membres ou collectivités locales
pourraient se doter. C'est clairement
l'utilisation [7]
qui est faite de ce mécanisme par
l'entreprise canadienne Lone Pine
Resources qui poursuit le Canada, via
une de ses filiales basées au Delaware
(paradis fiscal des Etats-Unis) suite au
moratoire sur la fracturation
hydraulique décidé par le Québec.
Pourquoi François Hollande et le
gouvernement, s'ils sont réellement
convaincus de l'urgence d'agir en
matière de climat, acceptent des
négociations qui renforcent la
prééminence dudroit commercial sur le
droit de l’environnement ?
6. Pourquoi instaurer des
mesures contraires à la transition
énergétique ?
Selon les documents fuités du
Tafta, les Etats et les collectivités ne
pourraient « ni adopter ni maintenir
des mesures prévoyant des exigences de
localité », ni « exiger la
création de partenariats avec les
entreprises locales » ni imposer des
« transferts de droits de propriété
intellectuelle » en matière de
développement des énergies
renouvelables. Autant de mesures qui
sont pourtant utiles et nécessaires pour
faire grimper la part des renouvelables
et les déployer sur tous les territoires
avec l'engagement des collectivités et
des populations. Ces critères de
localité et de qualité sont de puissants
outils pour relocaliser des emplois et
des activités à travers la promotion de
produits et de compétences locales, et
l'utilisation des meilleures
technologies disponibles. Pourtant, ces
mesures sont perçues comme des
« entraves » aux investissements
étrangers et une « restriction
déguisée au commerce international ».
Pourquoi François Hollande et le
gouvernement, s'ils sont réellement
convaincus de l'urgence d'agir en
matière de climat, acceptent-ils de
restreindre le droit à réguler des Etats
et des collectivités locales en matière
de climat et de transition énergétique ?
7. Pourquoi utiliser des
arguments qui sont infondés sur la
libéralisation du commerce des biens set
services environnementaux ?
Lorsqu'il est interrogé sur les
questions précédentes, le gouvernement
botte généralement en touche. Quand il
accepte d'apporter des éléments de
réponse (via ses ministres ou même
Laurence Tubiana, en charge des
négociations climat pour le
gouvernement), il s'appuie sur une
théorie, développée et mise en avant
depuis de longues années par des
institutions internationales comme
l’OCDE, la Banque mondiale ou même le
PNUE, selon laquelle il n’y aurait pas
de contradictions entre la
libéralisation du commerce et de
l’investissement, la protection de
l’environnement et la lutte contre les
dérèglements climatiques. Selon cette
théorie, la libéralisation des biens et
services environnementaux serait le
meilleur moyen de diffuser des
techniques « vertes », de protéger
l’environnement et de lutter contre les
dérèglements climatiques. Pourtant,
cette théorie n'est pas vérifiée dans
les faits. De nombreuses études [8]
montrent en effet que la libéralisation
des échanges n’a pas les répercussions
promises sur la réduction des
émissions de gaz à effet de serre. Au
contraire, l'augmentation du commerce
mondial génère un accroissement des
émissions : à l'échelle mondiale, plus
on commerce, plus on émet des gaz à
effet de serre. Cette théorie est
également invalidée par l'architecture
générale du droit international : les
règles restrictives en matière de
propriété intellectuelle ne favorise pas
la diffusion des technologies
(supposées) vertes, et la libéralisation
du commerce des services et biens
environnementaux ne peut avoir d'effets
majeurs en matière de lutte contre les
dérèglements climatiques. Pourquoi
François Hollande et le gouvernement,
s'ils sont réellement convaincus de
l'urgence d'agir en matière de climat,
éludent nos questions pour mobiliser une
théorie infondée et non vérifiée dans
les faits ?
Conclusion :
François Hollande et le
gouvernement ont le choix. Ils peuvent
poursuivre les négociations des Tafta et
Ceta et ainsi accentuer le décalage
croissant entre d'un côté la réalité de
la globalisation économique et
financière qui concourt à une
exploitation sans limite des ressources
d’énergies fossiles et de l'autre, des
politiques et négociations climatiques
qui esquivent toute discussion sur les
règles du commerce mondial et des
investissements à l'étranger. Ou bien
ils peuvent contribuer à résorber ce
décalage et arrêter de se déclarer « déterminé
à agir » sans ne jamais rien
entreprendre : stopper les négociations
du Tafta serait sans doute la plus
grande mesure en faveur du climat que
François Hollande et le gouvernement
sont en mesure de prendre en cette année
2015 ! Le bon choix pour qui veut
véritablement laisser sa « trace dans
l'histoire » et montrer toute la
détermination du gouvernement en matière
de lutte contre les dérèglements
climatiques.
Maxime Combes, Economiste, membre d'Attac
France et de l'Aitec,
@MaximCombes sur Twitter
Pour aller plus loin :
(cliquer sur l'image)
1Ce texte s'inspire très largement
d'une intervention prononcée dans le
cadre de la journée internationale
contre les accords de libre-échange du
samedi 18 avril, lors d'une conférence
« Sauvons le Climat, pas le TAFTA ! »
organisée par Attac France et le
collectif Stop-Tafta à Montreuil.
2Les États membres de l’UE ont
finalement déclassifié le mandat de
négociations début octobre 2014, plus
d'un an après avoir commencé
http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-11103-2013-REV-1-DCL-1/fr/pdf
3La Commission doit « assurer un
environnement commercial ouvert,
transparent et prévisible en matière
énergétique et à garantir un accès sans
restriction et durable aux matières
premières ».
4https://france.attac.org/se-mobiliser/le-grand-marche-transatlantique/article/avec-le-tafta-l-ue-et-les-etats
5http://www.bastamag.net/Carburants-polluants-une-premiere
6http://www.amisdelaterre.org/Sables-bitumineux-une-nouvelle.html
7Voir :
http://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports-37/article/non-a-la-fracturation-hydraulique
8Citées dans Mehdi Abbas,
«Libre-échange et changements
climatiques: “soutien mutuel” ou
divergence ? », Mondes en
développement, no 162, février 2013,
p. 33-48, <http://www.cairn.info/resume.php?ID_
ARTICLE=MED_162_0033>
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