Ecologie
La Commission
européenne pulvérise
un engagement-clef de la COP21 !
Maxime Combes
© Maxime
Combes
Jeudi 3 mars 2016
Dans une communication
publiée mercredi, la Commission
européenne refuse de se donner plus
d'ambition d'ici à 2030 et
institutionnalise la procrastination à
l'échelle mondiale. En repoussant à
demain ce qu'elle ne veut pas faire
aujourd'hui, elle pulvérise l'objectif
des 2°C de réchauffement maximal.
Choquant et criminel.
Un statu quo
synonyme de capitulation climatique
En clôture de la COP21, même les plus
enthousiastes des commentateurs avaient
reconnu que les « contributions » des
Etats étaient insuffisantes, conduisant
la planète vers un réchauffement
climatique supérieur à 3°C. Mais
l'essentiel n'était pas là, nous
avaient-ils assuré. L'important était
que les Etats se soient engagés à revoir
leurs contributions à la hausse dans des
délais relativement courts (2018, 2020
ou 2023 selon les commentateurs) ! En
acceptant ce principe, nous a-t-il été
dit, les Etats ont ouvert la possibilité
de revenir en dessous des 2°C
fatidiques. Le discours final de
François Hollande, promettant de
« réviser au plus tard en 2020 les
engagements de réduction d’émissions de
gaz à effet de serre » de la France,
était pris en exemple de cette bonne
volonté.
Patatras. Dans sa
communication intitulée « la
voie après Paris », la Commission
européenne balaie d'un revers de la main
cette jolie petite histoire qui nous a
été racontée, avec plus ou moins
d'emphase, depuis le 12 décembre
dernier. La Commission estime que
l'objectif dont l'UE s'est doté, à
savoir une réduction de 40% des
émissions de GES d'ici à 2030, est
largement suffisant puisque « basé sur
des projections mondiales qui sont en
ligne avec l'ambition à moyen terme de
l'Accord de Paris ». Pour la Commission,
l'UE doit donc se limiter à « mettre en
œuvre le paquet énergie climat 2030 tel
que validé par le Conseil européen ».
Rien de plus. Pas question de soumettre
auprès de l'ONU une contribution plus
ambitieuse d'ici à 2020. La promesse de
François Hollande du 12 décembre dernier
est déjà à ranger aux oubliettes de
l'histoire (la contribution française
n'est rien d'autre que la déclinaison
nationale des objectifs fixés au niveau
européen).
Une proposition
irresponsable qui nie les données
scientifiques
En osant affirmer que les
objectifs fixés sont suffisants, la
Commission européenne fait basculer la
politique de l'UE dans le déni
climatique et le négationnisme
scientifique. Les données scientifiques
dont nous disposons, notamment celles
réunies par le GIEC, sont claires :
l'UE, tout comme les autres puissances
économiques de la planète, est invitée à
s'orienter le plus rapidement possible
vers une décarbonisation complète de son
économie. Les objectifs fixés ne le
permettent pas : un objectif de 40 % de
réduction d'émissions d'ici à 2030
revient à une réduction effective d'à
peine 33 % compte tenu des surplus
considérables de quotas existant sur le
marché carbone européen.
Un si faible objectif revient
également à repousser à l'après 2030
l'essentiel des efforts à mener pour
obtenir une réduction de 80 % des
émissions en 2050 par rapport à 1990 –
le minimum exigible de l'UE selon les
données du GIEC. A supposer que
l'objectif de – 40 % d'ici à 2030 soit
atteint, il faudrait encore diviser
quasiment par trois les émissions de
l'UE entre 2030 et 2050. Ce qui revient
à planifier une diminution de 5 % par an
de 2030 à 2050 – ce que personne ne sait
faire et ne peut garantir – alors qu'un
effort continu dans le temps permettrait
de tabler sur un taux de réduction
d'émissions plus raisonnable de 2,5 %
par an : pour 2030, le taux planifié est
d'à peine 1,3 % par an.
En visant trop bas, on rate sa
cible !
Pour le climatologue Kevin
Anderson du Tyndall Centre for Climate
Change Research, un si faible objectif
pour 2030 montre que l'UE s'affranchit
du budget carbone que le GIEC lui a
assigné pour rester en deçà des 2°C.
Cela revient à donner la priorité à
« l'opportunisme politique au détriment
de l'intégrité scientifique »,
écrivait-il dans
une lettre ouverte rendue publique
en octobre 2014. C'est au nom de cette
intégrité scientifique que la majorité
des ONG en Europe réclament de l'UE un
objectif minimal de 55% de réduction
d'émission de GES d'ici à 2030. C'est
donc en toute connaissance de cause,
hypothéquant de fait les objectifs
assignés par l'Accord de Paris, que la
Commission refuse de revoir ses
objectifs à la hausse.
Procrastination
institutionnalisée pour de nouveaux
crimes climatiques
Ce statu quo voulu par la
Commission européenne dynamite le story-telling
construit autour de la COP21. Alors que
l'Accord de Paris « note avec
préoccupation que les niveaux d'émission
globales de GES en 2025 et 2030 estimés
sur la base des contributions prévues
déterminées au niveau national ne sont
pas compatibles avec les scénarios au
moindre coût prévoyant une hausse de la
température de 2°C » (point 2.17 de
la décision), la Commission européenne
institutionnalise la procrastination :
elle repousse à plus tard ce qui devrait
être fait aujourd'hui. Elle invite ainsi
tous les grands pollueurs de la planète,
des Etats-Unis à la Chine, à faire de
même ! Bravo l'exemple !
Or, en matière de dérèglements
climatiques, l'important n'est pas le
niveau d'émissions une année donnée,
mais l'accumulation des GES dans
l'atmosphère au cours des années. Pour
le dire autrement, l'important n'est pas
tant de savoir quel sera le niveau
d'émissions en 2050 que de connaître le
chemin qui sera emprunté. Plus les
émissions sont réduites fortement en
début de période, plus le montant
d'émissions accumulées dans l'atmosphère
est faible. Plus on attend la fin de
période pour réduire les émissions, plus
le montant accumulé sera important. En
repoussant à l'après 2030 l'essentiel
des efforts, la Commission européenne
maximise la quantité totale d'émissions
que l'UE va accumuler dans l'atmosphère
au cours de la période 2020-2050. Et
elle invite tous les grands pollueurs de
la planète à en faire autant.
Au final, le résultat est connu
d'avance. On ne compte plus les rapports
et études qui le montrent avec clarté :
ce sont les populations les plus
démunies, celles qui sont le moins
à-même de faire face aux dérèglements
climatiques – et qui n'en sont pas à
l'origine – qui paieront le prix fort de
l'inertie des politiques climatiques
européennes et mondiales. C'est donc en
toute connaissance de cause que la
Commission européenne planifie ce qui
s'apparente à de nouveaux crimes
climatiques.
C'est inadmissible et
intolérable que des telles propositions
soient faites en notre nom. Au nom des
populations européennes.
Les ministres européens de
l’Environnement ont la possibilité de
modifier l'orientation de cette
communication lors de leur réunion de ce
vendredi 4 mars.
Les Chefs d'Etat et de gouvernement
des Etats-membres auront une possibilité
identique lors du Conseil européen des
17 et 18 mars.
Le story-telling de la COP21 ne va
plus fonctionner très longtemps.
Le voile va se lever sur la sincérité
des paroles prononcées à Paris.
François Hollande voulait que la
COP21 pose les jalons de la « révolution
climatique ». Si révolution climatique
il doit y avoir, c'est à Bruxelles
qu'elle doit débuter.
François Hollande et Ségolène Royal
ne pourront pas, cette fois-ci, se
retrancher derrière de beaux discours –
ni derrière la mauvaise volonté de la
Pologne.
Des actes, il n'y a que cela qui
compte.
Maxime Combes, économiste et membre
d'Attac France.
Auteur de Sortons de l'âge des
fossiles ! Manifeste pour la transition,Seuil,
coll. Anthropocène.
@MaximCombes sur twitter
PS : je vous passe les autres
inepties contenues dans la contribution
de la Commission européenne. Signalons
tout de même :
-
l'erreur consistant à dire que
98% des émissions mondiales sont
couvertes par l'accord de Paris
alors qu'au bas-mot 10% des
émissions mondiales ne le sont pas,
puisque les émissions liées au
secteur de l'aviation civile, du
transport maritime et des armées ne
sont pas assignées aux Etats et ne
sont donc pas couvertes par l'Accord
de Paris.
-
l'importance donnée aux enjeux de
compétitivité, de croissance,
d'investissements et de marchés des
capitaux, au détriment des
politiques de sobriété et
d'efficacité énergétiques ;
PPS : les journalistes et
commentateurs, y compris ici sur
Médiapart, qui ont expliqué que fixer un
objectif de long terme à 1,5°C
permettait de
« consacrer l’idéal du dépassement
des intérêts nationaux particuliers et
de court terme » vont-ils revoir
leur jugement ? ;-)
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