Nous sommes à six mois de la
COP 21, vingt et unième conférence
de l’ONU sur le changement
climatique, qui se tiendra à Paris
en décembre. Les négociations
reprennent ce lundi 1er juin
à Bonn. Sur la base d’un texte qui
regroupe les propositions de chacun
des 193 pays membres de l’ONU.
Toutes les propositions sont donc
sur la table. Des plus ambitieuses à
celles qui le sont moins. Toutes ?
Non. Il en manque une. Une
proposition qui est pourtant au cœur
du défi climatique. Alors que les
énergies fossiles représentent 80%
des émissions mondiales de gaz à
effet de serre, et qu’on ne cesse de
forer pour en trouver davantage,
aucun Etat, aucune institution
internationale, ne propose de
limiter la production de charbon, de
gaz et de pétrole. Ce n’est pas
nouveau : en plus de vingt ans de
négociations sur le réchauffement
climatique, il n’a jamais été
véritablement question de définir
des objectifs et des mécanismes
visant à laisser tout ou partie des
réserves d’énergie fossiles dans le
sol.
Bien entendu, les négociations de
l’ONU portent sur une multitude de
propositions, plus ou moins
appropriées, ayant pour objectif de
réduire les émissions issues de la
combustion des énergies fossiles. Si
votre marmite commence à déborder,
vous contentez-vous d’en essuyer les
rebords ? Non : chacun sait qu’il
faut réduire la puissance du feu
pour stopper les frais. Pourtant,
dans le cas des négociations sur le
changement climatique, personne ne
s’y résout. La planète se réchauffe,
et certaines régions brûlent
littéralement - la Californie n’a
plus d’eau, New Delhi suffoque -
mais personne ne propose de réduire
la puissance du feu qui génère le
réchauffement climatique mondial.
Les faits sont pourtant têtus.
Depuis 1992 et le début des
négociations, les émissions ont
augmenté de près de 60%. C’est bien
que quelque chose ne va pas. Dans
leurs discussions sur les émissions
de gaz à effet de serre, les Etats
ne se sont jamais vraiment
intéressés à la production
d’énergies fossiles sur la planète.
Volontairement ? C’est l’impression
que l’on peut avoir : les études
scientifiques, désormais nombreuses,
qui montrent que deux tiers
à quatre cinquièmes des réserves de
combustibles fossiles doivent rester
dans le sous-sol, ne sont pas
réellement prises au sérieux.
Dernière en date, le travail de
Christophe McGlade et Paul Ekins, de
l’University College de Londres,
publié dans la revue Nature
du 8 janvier. Selon eux, un tiers
des réserves de pétrole, la moitié
de celles de gaz et plus de 80% de
celles de charbon ne doivent pas
être exploitées, si nous voulons
conserver 50% de chances de
maintenir le réchauffement sous la
barre des 2°C : «L’instinct des
hommes politiques, consistant à
exploiter rapidement et complètement
les énergies fossiles disponibles
sur leur territoire, est
incompatible avec leur engagement à
tenir l’objectif de 2°C.»
Les auteurs en concluent que
toutes les réserves d’hydrocarbures
non conventionnels (Arctique,
hydrocarbures de schiste, etc.), sur
lesquelles se précipitent Etats et
multinationales, devraient être
classées comme «non brûlables». Ils
proposent ainsi une forme de
moratoire international sur toute
nouvelle exploration et mise en
exploitation d’énergies fossiles. Un
bon début : ne pas augmenter le feu
sous la marmite, à défaut de le
réduire.
Cette proposition n’est pas
nouvelle. Dès les années 90, des
organisations luttant contre les
impacts de l’exploitation des
énergies fossiles sur les
populations locales, comme Acción
Ecológica (Equateur) et le réseau
Oil Watch, avaient proposé un
moratoire international de ce type.
Leur proposition avait été balayée
d’un revers de la main par des Etats
appliqués à négocier le protocole de
Kyoto, et n’avait pas connu le
succès escompté auprès d’autres
organisations de la société civile,
(trop) focalisées sur les niveaux
d’émissions de gaz à effet de serre.
N’est-il pas temps de remettre
cette proposition de moratoire
international au goût du jour, et
d’exiger qu’une série de gisements
pétroliers, gaziers et charbonniers
ne soient tout simplement pas
exploités ? Nous pourrions ainsi
poser les jalons d’objectifs
compréhensibles par le plus grand
nombre et, à rebours, blâmer et
combattre toutes les forces
politiques et économiques qui s’y
refusent.
Ce n’est évidemment pas aisé,
tant la production d’énergie fossile
mobilise d’enjeux financiers,
géopolitiques et de rapports de
puissance entre les Etats. C’est un
pari difficile. Il est pourtant plus
porteur et réaliste qu’accepter de
s’orienter vers 4°C à 5°C de
réchauffement climatique - ce qui
nous attend dans le scénario actuel.
Le 27 mai, suite à une forte
mobilisation citoyenne, la Norvège a
annoncé que son fonds de pension
souverain désinvestirait du secteur
charbonnier - pour un montant qui
dépasse les 5 milliards de dollars.
Le même jour, Laurent Fabius
annonçait que la COP 21 serait
financée par les plus grands
pollueurs français. Contraste
saisissant.
Alors que des collectivités, des
universités et des institutions
privées sont chaque jour plus
nombreuses à décider de mettre un
terme à leurs investissements dans
le secteur fossile, nous pourrions
utiliser la caisse de résonance de
la Cop 21 pour amplifier le
mouvement et imposer que les Etats,
l’ONU et les institutions
internationales s’y mettent pour de
bon.