Le Temps (Genève)
Affaire Dieudonné :
Manuel Valls en ministre de la censure
Matthieu Béguelin
Jeudi 9 janvier 2014
L’acteur suisse Matthieu
Béguelin, semble estimer être le devoir
d’un artiste de privilégier le débat au
silence et de défendre la liberté
d’expression. Dès le début de cette
affaire, il s’est exprimé publiquement
contre les mesures visant à interdire
les spectacles de Dieudonné. (S.C.)
Manuel Valls en
ministre de la censure
Par Matthieu Béguelin, LE TEMPS,
rubrique : Opinion
8 janvier 2014.
Réduire l’adversaire au
silence n’a jamais fait gagner un débat,
ni triompher une cause, bien au
contraire, estime Matthieu Béguelin à
propos de la décision française de
vouloir censurer Dieudonné.
Pierre Desproges, dans son réquisitoire
du Tribunal des flagrants délires contre
Jean-Marie Le Pen, posa la question de
savoir si l’on pouvait rire de tout. Sa
conclusion était sans appel : « Oui, on
peut rire de tout. » Mais, précisait-il,
« pas avec tout le monde ».
C’est en partant de là qu’il convient
d’apprécier la circulaire que le
ministre de l’Intérieur français, Manuel
Valls, a envoyée aux préfets cette
semaine. La circulaire a pour but de
faire interdire les spectacles de
l’humoriste Dieudonné afin, paraît-il,
de préserver l’ordre public… Le ministre
convoque donc la raison d’Etat, celle-là
même qui priva, des années durant, les
Français de films de Stanley Kubrick
(Les Sentiers de la gloire), de Claude
Autant-Lara (Tu ne tueras point) ou
encore de Jean-Luc Godard (Le Petit
Soldat), pour ne citer qu’eux.
Nul n’est captif au
théâtre
Manuel Valls ne trouve manifestement pas
que les propos de Dieudonné prêtent à
rire. C’est son droit le plus strict,
comme à nous tous. Mais est-ce pour
autant légitime qu’il puisse interdire à
celles et ceux qui apprécient l’humour
de Dieudonné de pouvoir assister à son
spectacle ? Car, somme toute, à qui
s’adresse Dieudonné sinon à son public,
qui vient, libre et consentant, le
voir, l’entendre ? Tout spectacle se
joue dans un espace défini, pouvant
accueillir un public déterminé. Celui-ci
décide librement de s’y rendre ou non
et peut, à chaque instant, en partir.
Nul n’est captif dans un théâtre.
Qui plus est, si tel ou tel propos
devait tomber sous le coup de la loi,
comme l’incitation à la haine par
exemple, la justice agirait alors comme
elle le doit et, le cas échéant,
condamnerait l’auteur des propos
contrevenant à la loi.
La question qui se pose n’est donc pas
de préserver des personnes que les
paroles de Dieudonné pourraient
choquer : elles n’ont qu’à ne pas aller
à son spectacle. Le seul but d’une
interdiction est d’empêcher ces propos
d’être tenus. Cela porte un nom, qui ne
présage rien de bon pour la démocratie :
la censure.
Car, en démocratie, on débat, on
s’affronte, se confronte, se parle.
Réduire l’adversaire au silence n’a
jamais fait gagner un débat, ni
triompher une cause, bien au contraire.
La tentation de la censure est le propre
des indigents en arguments, des ennemis
du libre débat démocratique, des
chantres de la pensée unique. Un idéal
ne s’impose pas, il doit convaincre. Il
n’y a pas de démocratie sans libre
discussion.
En cédant à la tentation de la censure,
Manuel Valls est bien plus dangereux
pour la démocratie que ceux qu’il
prétend combattre.
Matthieu Béguelin
8 janvier 2014
https://www.facebook.com/matthieu.beguelin
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