Opinion
L’accord de Lausanne sur le nucléaire
iranien: Un nouveau piège ou une
victoire « certaine » ?
Marie Nassif-Debs
Photo:
D.R.
Jeudi 23 avril 2015
Depuis le début de ce mois d’avril 2015,
et malgré le grand nombre de
développements dramatiques dans la
région arabe, allant des nouveaux
problèmes vécus par les Palestiniens à
ceux de l’Irak, de la Syrie, de la Libye
et, surtout du Yémen (qui doit
supporter, en même temps, une agression
saoudienne et une division
confessionnelle intestine), toutes les
analyses politiques ou presque au Liban
et dans la région moyenorientale vont
dans le sens du contenu de l’accord
signé à Lausanne entre les Etats-Unis et
l’Iran sous le nom de « l’accord-cadre »
ou, encore, « l’accord nucléaire
préliminaire »…
Et, au moment où le gouvernement et le
peuple iraniens célèbrent ce qu’ils
appellent « la victoire » réalisée par
la délégation iranienne à Lausanne, deux
points de vue se disputent la partie. Le
premier, celui de certains responsables
arabes et libanais pro iraniens, affirme
que l’accord a été consenti par l’Iran
afin d’éloigner le spectre de la guerre
au Moyen-Orient et que ses conséquences
seront très importantes sur les deux
plans politique et économique, surtout
parce qu’il va libérera des dizaines de
milliards de dollars appartenant à
l’Iran et retenus dans les banques
occidentales, d’une part, en plus de
l’augmentation de la part iranienne dans
la production du pétrole brut et du gaz.
Quant au second, celui des responsables
étasuniens et européens, il précise que
l’accord n’est autre que le premier pas
d’un processus pouvant être long et
sinueux… surtout si l’on prend en
considération le fait que l’accord final
n’est pas seulement lié à ce qui va se
passer durant les trois prochains mois,
mais aussi, mais surtout à deux points
que M. Antony Blinken, vice-ministre des
affaires étrangères étasuniennes, avait
soulevés lors de sa visite au Liban,..
le premier étant les solutions qui
seront proposées contre le danger du
terrorisme dans la région ; quant au
second, il concerne la situation en
Israël et ce que Benjamin Netanyahu
pourra entreprendre face à cet accord,
soutenu en cela par les ultras
Républicains>
Des questions qu’il est nécessaire de
mettre en avant
Toutes ces données, en plus des
positions, déclarées, de responsables
radicaux iraniens qui n’ont pas tu leur
mécontentement, nous poussent à poser
quelques questions qui nous paraissent
indispensables : De par l’accord de
Lausanne, l’Iran est-il, désormais,
admis dans le cercle des pays sur
lesquels les États-Unis peuvent compter
pour réorganiser la région moyen
orientale ? Et, peut-on compter comme
vraies les allégations selon lesquelles
Obama aurait fait des concessions afin
de retrouver l’Iran au milieu de la voie
qui mènerait à faciliter la réalisation
de certains projets étasuniens, surtout
ceux ayant rapport avec l’Irak et la
cause palestinienne ?
Cependant la question la plus importante
demeure la suivante : Pourquoi les
Etats-Unis ont-ils consenti l’entrée de
l’Iran au club des pays producteurs du
nucléaire ? Est-ce que cette décision
fait partie de la nouvelle politique des
Démocrates au pouvoir (dont la meilleure
illustration fut Cuba) ou bien est-ce
une tentative d’amadouer Téhéran afin
qu’elle permette l’exécution de la
seconde étape du projet dit « Le Moyen
Orient nouveau », plus connue sous la
définition des frontières des « Deux
croissants » (sunnite et chiite) et
essentielle instaurer l’étape finale du
projet : l’effritement du Monde arabe en
une multitude d’États, sunnites et
chiites, antagonistes et la liquidation
de sa cause centrale, la cause
palestinienne, à travers la proclamation
d’Israël « Etat des Juifs dans le monde
»… Dans ce contexte, nous plaçons la
guerre menée par les rois et les émirs
pétroliers contre le Yémen. Une guerre
qui va aboutir à l’effritement du Yémen
puis de l’Arabie saoudite… sans oublier
les guerres en Syrie ou en Libye et la
situation précaire de l’Irak et du
Liban. Le but est de placer le Monde
arabe divisé sous la coupe des trois
puissances régionales ayant un visage
confessionnel bien clair : Israël, la
Turquie et l’Iran à qui on a donné la
carotte du nucléaire… Et, si par hasard
l’Iran tente de se rebiffer, il sera
toujours temps de réutiliser l’épée des
sanctions économiques toujours suspendu
au-dessus des têtes dirigeantes
iraniennes.
Dans tous les cas, et compte non tenu
des explications contraires avancées par
les puissances nucléaires et par les
Iraniens à propos de la levée (immédiate
ou sur plusieurs etapes0 des sanctions,
il est plus intéressant de s’arrêter sur
les clauses les plus importantes
contenues dans l’Accord-cadre ; et, ce,
afin de mieux comprendre les directions
générales qui l’ont fait aboutir.
Des points positifs de principe contre
d’autres dans l’exécution?
Deux grands points positifs sont à noter
:
Le premier point est que l’Iran est
devenu un membre à part (presque)
entière au sein du club des puissances
nucléaires, même si son appartenance
n’est pas complètement entérinée comme
celle d’Israël ou du Pakistan. Et nous
donnons ces deux exemples pour la raison
(donnée par Henry Kissinger il y a de
cela quelques années) selon laquelle ces
deux pays constitue une partie
intégrante de la politique de sécurité
des Etats-Unis sur le plan
international. Cependant, a
reconnaissance de l’Iran, même
incomplète, est une victoire non
seulement pour ce pays mais aussi pour
tous ceux qui défendent le droit de tous
les États de posséder le nucléaire qui
ne doit pas rester entre les seules
mains des amis de Washington, surtout
qu’aujourd’hui la Turquie et l’Arabie
Saoudite ont fait état de leur intention
de faire partie du club précité. Cette
prolifération du nucléaire remet sur le
terrain l’équation suivante : ou bien on
adoptera une politique d’équilibre sur
le plan des armes nucléaires au Moyen
Orient, ou bien on œuvrera pour un Moyen
Orient sans nucléaire.
Le second point positif, quant à lui,
consiste dans le gel des sanctions
imposées par les États-Unis et l’Union
européenne, d’une part, et des décisions
prises par les Nations Unies, d’autre
part ; ces dernières « seront levées en
fonction des mesures que prendrait
l’Iran afin de rassurer toutes les
craintes », à commencer par
l’enrichissement de l’uranium et les
dimensions ,militaires du programme
nucléaire iranien.
Cependant, il nous faut ajouter que ces
deux ponts ne cachent pas les tendances
négatives. Nous en citons quelques unes
parmi les plus flagrantes :
l’acceptation de l’Iran de retarder ses
programmes nucléaires pour une période
allant de 10 à 15 ans, la réduction de
son stock d’uranium, sans oublier la
promesse de ne pas construire de
nouvelle installations pour
l’enrichissement de ce minerai. De plus,
l’Iran a accepté la clause selon
laquelle l’installation de Fordo sera
convertie à des fins pacifiques en même
temps que la suppression de presque deux
tiers des centrifugeuses et des
infrastructures de Fordo et d’autres
installations nucléaires du pays…
Cette première étape sera suivie par une
seconde qui verra l’enlèvement total des
centrifugeuses IR-2M qui seront placées
sous contrôle de « l'agence
internationale de l’énergie atomique »
(AIEA). Quant au cœur du réacteur à eau
lourde, qui aurait pu produire du
plutonium, il sera détruit ou tout au
moins déplacé en dehors du territoire
iranien. Le réacteur sera reconstruit
pour se limiter à la recherche et à la
production de radio-isotopes médicaux,
sans production de plutonium à capacité
militaire. Enfin, le combustible utilisé
sera envoyé à l'étranger pendant toute
la vie du réacteur. Téhéran s'est engagé
à ne pas construire de nouveau réacteur
à eau lourde pendant quinze ans.
Ces quelques exemples mènent certains à
se poser la question sur l’aboutissement
de l’accord dans trois mois, vu aussi
les déclarations concernant la levée des
sanctions et les actes de refus lancés
par les « extrémistes » dans les deux
camps, iranien et étasunien, ainsi que
par les dirigeants israéliens.
N’oublions pas, non plus, l’accord
russo-iranien qui prévoit la livraison
de missiles S 300.
Des interrogations nombreuses mais pas
de réponses claires jusqu’à ce jour, ni
de la part de Washington ni de celle de
Téhéran… Ce qui nous amène à nous
demander : si le pétrole et le gaz
iraniens (comme ceux de tous les pays du
Golfe, d’ailleurs) sont nécessaires aux
Etats-Unis toujours en crise économique,
quelle politique suivront-ils dans le
futur proche, celle de la carotte (la
levée de l’embargo contre Téhéran) ou
celle du bâton (une guerre dans laquelle
ils enliseront les Iraniens) ?
La guerre saoudite contre le Yémen,
doublée par la guerre intestine entre
chiites et sunnites, à défaut de
répondre à cette interrogation, traduit
une certaine tendance d’escalade et
prévoit que le Golfe ne connaitra,
peut-être, pas la paix et la
tranquillité à court et à moyen termes.
Marie Nassif-Debs
Avril, 2015
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