Palestine
Il est temps d’en finir avec l’Autorité
de Ramallah
Mariam Barghouti
Supplétifs de l'AP
réprimant une manifestation à Ramallah -
Photo : Issam Rimawi
Jeudi 13 février 2020 Pendant des
décennies, l’Autorité palestinienne [AP]
a réprimé les manifestations et la
mobilisation des Palestiniens.
Après l’annonce de
« l’accord du siècle » par
l’administration Trump le 28 janvier,
l’Autorité palestinienne (AP) a réagi de
plusieurs manières. Dans les heures qui
ont suivi la cérémonie à la Maison
Blanche, au cours de laquelle le
président américain Donald Trump a
dévoilé les détails de son plan, le
président de l’AP, Mahmoud Abbas a
dit « mille non à l’accord du
siècle ».
L’AP a ensuite
lancé un certain nombre de menaces,
notamment et une fois de plus de
rompre les liens avec les agences
répressives israéliennes, et en appelant
à des manifestations de masse contre
l’accord proposé.
Mais malgré sa
rhétorique ronflante et son coup de
chaud, la direction palestinienne
n’a pas réussi à provoquer une réaction
populaire notable face à la violation
scandaleuse des droits des Palestiniens
que la proposition de Trump représente.
Elle n’a même pas réussi à mobiliser ses
propres concitoyens. Pourquoi ?
Plus de 20 ans
de collaboration avec l’occupant
Pour la simple
raison que depuis plus de 20 ans,
l’Autorité palestinienne participe
activement à la
répression du peuple palestinien,
tout en maintenant des relations
étroites avec les forces répressives
israéliennes. Son attitude, ses discours
et ses politiques dans le passé et dans
le présent ont toujours visé non pas à
protéger les droits et le bien-être du
peuple palestinien, mais à garder à tout
prix le pouvoir.
« L’accord du
siècle » a mis en évidence la duplicité
de l’Autorité palestinienne et son bilan
représente un poids pour la mobilisation
de masse des Palestiniens.
Depuis sa création
en 1994 à la suite des
désastreux accords d’Oslo,
l’Autorité palestinienne n’a guère fait
plus qu’aider Israël à garder les
Palestiniens sous contrôle tandis que
leurs terres, leurs biens et leurs
ressources étaient volés par des colons
juifs. Pour garantir leur pouvoir, les
dirigeants palestiniens ont maintenu une
coopération étroite avec Israël,
torturant des dissidents
palestiniens et fournissant des
renseignements sur des militants
palestiniens.
L’AP a également
violemment interdit toute manifestation
publique qui menaçait son emprise sur le
pouvoir ou était considérée comme une
« menace » par les Israéliens. Elle a
déployé à plusieurs reprises sa garde
nationale, sa
police anti-émeute et ses
seconds-couteaux fidèles au Fatah, le
parti qui domine l’Autorité
palestinienne, pour
réprimer toute dissidence.
Ma première
expérience de la main lourde de l’AP
remonte à 2011 lors d’une manifestation
sur la place Manara à Ramallah, en
solidarité avec les révolutions dans
les pays arabes voisins. Des centaines
de jeunes s’étaient rassemblés
pacifiquement, scandant des slogans
politiques, appelant à l’unité entre le
Fatah et le Hamas et contre le système
hérité d’Oslo. En l’espace de quelques
heures, nous avons été attaqués,
harcelés et finalement arrêtés.
En 2012, nous avons
manifesté contre la visite prévue à
Ramallah du vice-Premier ministre
israélien
Shaul Mofaz, un homme accusé d’avoir
commis d’innombrables crimes contre les
Palestiniens, y compris le
massacre de Jénine lors de la
deuxième Intifada et l’assassinat de
plusieurs dirigeants palestiniens.
Nous avons
considéré sa rencontre avec Abbas comme
un nouvel acte de complicité de
l’Autorité palestinienne avec le projet
colonial israélien. Nous sommes sortis
en masse pour protester, mais nous avons
été littéralement
tabassés par la police de l’Autorité
palestinienne. Plus tard, les services
de renseignements de l’Autorité
palestinienne nous ont suivis et
harcelés dans les rues, et ont
finalement contacté nos familles pour
les menacer.
Pire encore, nous
avons été calomniés sur les plateformes
de médias sociaux par des loyalistes de
l’AP, comme « traîtres » travaillant
pour un « programme étranger ».
En 2018, nous
sommes sortis dans la rue pour
manifester contre la complicité de
l’Autorité palestinienne dans le blocus
israélien de Gaza, qui a rendu la bande
côtière désormais
invivable. L’Autorité palestinienne
a
supprimé le salaire des employés de
Gaza et annulé l’accès au système de
santé et l’aide financière à des
centaines de familles dans le besoin.
En raison de ces
intérêts partisans et à courte vue, deux
millions de Palestiniens souffrent dans
des conditions de vie insupportables.
Notre manifestation
a de nouveau été brutalement attaquée,
nous avons été
battus, poursuivis dans les rues de
Ramallah et arrêtés alors que nous
tentions d’accéder à l’hôpital pour être
soignés de nos blessures.
Ce ne sont là que
quelques exemples des pratiques
systématiques de l’Autorité
palestinienne pour faire taire les
Palestiniens dans le but de procurer à
Israël un « sentiment de sécurité ». Et
cela ne veut pas dire que le Hamas est
un acteur innocent; il a également sa
part de politique répressive contre la
population palestinienne à Gaza et il a,
lui aussi, tenté de faire taire les
critiques.
Il n’y a plus de
leadership palestinien
Outre la répression
de la dissidence palestinienne, les
dirigeants palestiniens, que ce soit en
Cisjordanie ou à Gaza, ont également
cherché à instrumentaliser la
mobilisation de masse pour leurs
objectifs politiques immédiats.
Chaque fois qu’une
déclaration d’un organisme international
menace la position de l’Autorité
palestinienne en tant que représentant
du peuple palestinien (même si elle n’a
pas été élue), nous assistons à une
série de discours et de déclarations de
responsables palestiniens appelant à des
manifestations.
L’AP et d’autres
factions et partis politiques
palestiniens considèrent la protestation
palestinienne comme une arme qu’ils
peuvent utiliser comme bon leur semble.
Ils ne souhaitent une mobilisation de
masse que lorsque celle-ci leur
convient, pas lorsqu’elle se produit
dans le meilleur intérêt du peuple
palestinien.
Le problème est que
cette attitude, combinée à des
années de répression de la
dissidence et de harcèlement de la
société civile, a ajouté une nouvelle
couche de répression – en plus de
l’occupation israélienne – démoralisant
les Palestiniens et nuisant à leur
capacité à se mobiliser de manière
efficace.
Au fil des années,
beaucoup ont cessé de vouloir descendre
dans la rue dans la crainte que leur
protestation soit brutalement réprimée
ou instrumentalisée par des forces
politiques qu’ils considèrent comme
illégitimes.
Il n’est donc pas
étonnant que lorsque l’Autorité
palestinienne a appelé à une
mobilisation de masse dans les rues
contre « l’accord du siècle », peu de
monde se soit déplacé. Aujourd’hui,
l’Autorité palestinienne ne peut
mobiliser que ses proches, dans ses
propres structures et son relais
politique du Fatah. Pour rassembler une
foule à Ramallah, il faut faire venir
des gens de l’extérieur de la ville…
À ce jour, de
nombreux Palestiniens ont perdu
confiance dans les dirigeants
palestiniens. Beaucoup savent que les
menaces de l’Autorité palestinienne de
rompre les liens avec les agences
répressives israéliennes n’ont aucune
réalité. La dernière fois que ces
menaces ont été faites en 2017, il a été
constaté que 95% de la coordination
répressive avec Israël avait été
maintenue.
Mais malgré la
faillite politique et morale de leurs
dirigeants, les Palestiniens n’ont pas
désespéré. Ils poursuivent leur lutte
pour la justice, leurs droits et la fin
de l’occupation israélienne et de
l’apartheid. Ils continuent de se
mobiliser malgré leurs dirigeants et
leur
complicité éhontée avec Israël.
L’esprit de la rue
palestinienne est vivant, mais il ne
peut plus être invoqué par des forces
politiques indignes de la moindre
confiance. Il ne s’exposera à nouveau au
grand jour que pour défendre la lutte
légitime du peuple palestinien.
* Mariam
Barghouti est une écrivaine
palestino-américaine basée à Ramallah.
Ses commentaires politiques sont publiés
dans l’International Business Times, le
New York Times, TRT-World, entre autres
publications. Son compte twitter. :
@MariamBarghouti
4 février 2020 –
Al-Jazeera – Traduction :
Chronique de Palestine
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