L'art de la guerre
Les armes de l'économie
Manlio Dinucci
Mardi 11 mars 2014
Dans le jeu des miroirs médiatiques, de
fausse images apparaissent sur la crise
ukrainienne : comme celle des
multinationales et banques étasuniennes
et européennes qui voient partir en
fumée leurs investissements en Ukraine
et sont sur le point d’abandonner le
navire avant qu’il ne coule. Juste au
moment où ils vont obtenir ce qu’ils
veulent : le contrôle complet de
l’économie ukrainienne. La corde de
sauvetage que le FMI et l’Ue lancent à
Kiev, par des prêts de milliards de
dollars, est en réalité une corde au
cou. La dette extérieure de l’Ukraine,
documentée par la Banque mondiale, a décuplé en dix ans et dépasse
les 135 milliards de dollars. Rien qu’en
intérêts, l’Ukraine doit payer environ
4,5 milliards de dollars annuels. C’est
à cela que serviront les nouveaux prêts
qui, augmentant la dette extérieure,
obligeront Kiev à « libéraliser » encore
plus l’économie, en vendant aux
multinationales et aux banques
occidentales tout ce qui reste à
privatiser. Les conditions annexées aux
prêts sont dictées par le Fonds
monétaire international, dominé par les
Etats-Unis (qui détiennent 17,5% des
voix, sept fois plus que
la Russie) et par les
autres plus grandes puissances
occidentales, tandis qu’un Etat comme
l’Ukraine n’a droit qu’à une demie voix.
C’est dans cette situation, par la
responsabilité des gouvernements qui se
sont succédés depuis 1991, qu’a été
amené le pays, tout en possédant encore
une notable base industrielle et
agricole, et en ayant conclu en 2009
avec Moscou un accord décennal
avantageux sur les droits de transit des
approvisionnements énergétiques russes à
l’Europe. La condition de l’Ukraine est
due en même temps à la pénétration
occidentale dans son tissu politique et
économique. Rien que pour la promotion
du « bon gouvernement » en Ukraine, la
vice-secrétaire d’Etat Victoria Nuland a
déclaré que les Etats-Unis ont investi
plus de 5 milliards de dollars.
Investissement qui permet à Nuland, dans
la conversation téléphonique qu’on a
découverte, d’ordonner qui doit et qui
ne doit pas faire partie du nouveau
gouvernement de Kiev et de dire que
l’ « Ue aille se faire enc… ».
Expression qui, malgré les excuses de
Nuland, est révélatrice de la politique
de Washington à l’égard de l’Europe.
L’administration Obama, écrit le New
York Times, poursuit une « stratégie
agressive » qui vise à réduire les
approvisionnements russes de gaz à
l’Europe, dont les plus grands
importateurs sont l’Allemagne et
l’Ukraine (l’Italie est au 5ème
rang). Le plan prévoit que ExxonMobil et
d’autres compagnies étasuniennes
fournissent des quantités croissantes de
gaz à l’Europe en exploitant les
gisements moyen-orientaux, africains et
autres, y compris les étasuniens dont la
production a augmenté. Déjà les grandes
compagnies ont présenté au Département
étasunien de l’énergie 21 requêtes de
construction d’implantations portuaires
pour l’exportation de gaz liquéfié. Le
plan prévoit aussi une forte pression
sur Gazprom, la plus grande compagnie
russe dont l’Etat a repris la majorité
des actions, mais qui est ouverte aux
investissements étrangers : elle est
cotée en bourse à Londres, Berlin et
Paris et, selon la banque JP Morgan,
plus de la moitié de ses actionnaires
étrangers est constituée d’Etasuniens.
La stratégie de Washington poursuit donc
un double objectif : d’une part, mettre
l’Ukraine dans les mains du FMI, dominé
par les USA, et l’annexer à l’OTAN sous
leadership étasunien ; de l’autre,
exploiter la crise ukrainienne, que
Washington a contribué à provoquer, pour
renforcer l’influence étasunienne sur
les alliés européens. Dans ce but
Washington est en train de se mettre
d’accord avec Berlin pour une partition
des aires d’influence.
Tandis que Renzi (nouveau
Président du conseil italien, NdT),
dépoussiérant un livre de l’école
primaire, récite qu’on ne peut pas être
insensible au « cri de douleur du peuple
ukrainien »[1].
Edition de mardi 11 mars 2014 de
il manifesto
http://ilmanifesto.it/ucraina-le-armi-delleconomia/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
[1]
Le 10 janvier 1859, le roi
Victor-Emmanuel II s’adressa au
parlement sarde avec la célèbre
phrase « Nous ne sommes pas
insensibles au cri de douleur
qui de toutes parts en Italie
s’élève vers nous ! ».
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