SEODE THINK TANK /
ANALYSE GEOPOLITIQUE
Panafricanisme : Une alternative en
Guinée équatoriale qui fait peur à
l'Occident
Luc Michel
Photo:
D.R.
Mardi 8 avril 2014
Luc MICHEL pour EODE Think Tank /
Avec Cameroon Voice – Le Messager
(Cameroun) / 2014 04 08 /
www.eode.org
https://www.facebook.com/EODE.Think.Tank
« Nous regrettons la disparition du
colonel Mouammar Kadhafi. Prendre le
relais de son combat panafricain est
difficile »
- Teodoro Obiang Nguema, président de la
République de Guinée Equatoriale
La Guinée Equatoriale et son président
sont l’objet de la haine de l’Occident.
Campagnes de dénigrement, maneuvres de
déstabilisation. Une haine qui rappelle
celle qui entourait la Jamahiriya
libyenne de feu Kadhafi. « Vous savez,
des Occidentaux cherchent à nous
déstabiliser depuis des années. Ils ont
envoyé des mercenaires, ils ont financé
des coups d’Etat, ils ne s’arrêtent pas.
Chaque année, à chaque moment, ils ne
dorment pas. Pour eux, la Guinée
équatoriale est un pays qui a beaucoup
de richesses et ce n’est pas normal que
les Africains puissent gérer eux-mêmes
leurs propres richesses, s’il n’y a pas
un tuteur qui vous dise faites ceci ou
faites cela. Nous ici en Guinée, on se
bat pour l’indépendance de ce pays »,
explique un des fils du président,
Teodorin Obiang Nguema.
En prélude aux élections générales -
sénatoriales, législatives et
municipales - du 26 mai 2013, le chef de
l’Etat équato-guinéen avait donné le 14
mai 2013, à Malabo, une conférence
panafricaine de la presse, devant des
journalistes venus d’Afrique (Cameroun,
Côte d’Ivoire, Ghana, Nigeria, Comores,
Bénin, Rdc, Congo-Brazza, Tchad, etc).
Il y avait exposé une pensée
panafricaine renouvelée, qui, deux ans
après la destruction de la Jamahiriya
libyenne où Moammar Kadhafi exerçait un
leadership moral et politique sur
l’Union Africaine – et auquel le
président guinéen rendait hommage -,
offre une alternative à un processus
panafricain qui semblait brisé.
On connaît mal la Guinée équatoriale
(1), pays important dans l’Afrique de
l’Ouest, « nouvel eldorado pétrolier »
qui entend « incarner aujourd'hui un
nouveau modèle de développement pour
l'Afrique » (2). Dans une Afrique qui va
mal, où les interventions et les
manipulations occidentales déstabilisent
le continent – Libye, Mali, Côte
d’Ivoire, Centrafrique, sans oublier le
« laboratoire » somalien -, la Guinée
Equatoriale est un contre-exemple de
stabilité. Depuis 2011, un processus de
reconstruction de l’Etat et de
développement de la vie démocratique de
la République est en cours (3).
‘EODE’ ET NOS THESES SUR L’AFRIQUE
Les positions du président de Guinée
Equatoriale rejoignent nos
préoccupations.
EODE voit le processus d'unification de
l'Europe et de l'Afrique comme deux
voies similaires, qui doivent se
réaliser en symbiose. Cela signifie pas
d'intervention occidentale en Afrique et
vrai respect pour les états africains.
Cela signifie aussi que la Méditerranée
doit devenir un pont entre les deux
continents et non une frontière, comme
la conçoit l’UE et l’OTAN.
Cette vision de la Méditerranée, que
nous avions été les premiers à
développer au début des Années 90, comme
un pont était précisément celle de la
Jamahiriya libyenne. Dans les Années
2000-2010, cette vision était aussi
largement acceptée et partagée par tous
les grands acteurs des unions européenne
et africaine (4). Et agaçait énormément
la diplomatie américaine. Mais la guerre
en Libye marque le grand retournement :
destruction de la Jamahiriya, retour aux
agressions et expéditions militaires
occidentales en Afrique, étouffement des
idées pan-africaines.
Tout cela va à l’encontre de notre
vision d’un monde multipolaire. Le rôle
central joué par le dialogue des
cultures est bien oublié et nous
assistons au retour en Méditerranée et
en Afrique des thèses bellogènes du
« choc des civilisations ». Le retour
des thèses panafricaines à Malabo est
donc pour nous un signe positif qui va
dans l’autre sens.
QUE DIT LE PRESIDENT TEODORO OBIANG
NGUEMA DE L’AFFRIQUE ?
Voici la synthèse des préoccupations
évoquées par le numéro un équato-guinéen
(d’après le résumé réalisé par Frédéric
BOUNGOU et Alain NJIPOU pour Radio
Cameroun) :
* Il dénonce le retour au
néo-colonialisme :
« … rechercher des solutions aux
maux qui minent l’Afrique. J’ai été
favorable à cet échange parce que le
continent africain est méprisé à
l’échelon international. L’Afrique a
souffert des affres de l’histoire.
D’abord la traite négrière qui a
consacré la violation des droits de
l’Homme. On ne saurait, de notre point
de vue, transformer des humains en
esclaves.
Ensuite la colonisation. Une période au
cours de laquelle, l’Afrique a été
spoliée. Exploitation de l’homme,
exploitation de nos richesses. Ceux qui
hier étaient le socle de cette
exploitation sont aussi à la base des
diverses crises qui secouent le monde.
Je citerai la crise du néo-colonialisme,
de l’exploitation de nos richesses…Le
souci de certaines puissances est de
voir comment elles peuvent avoir accès à
nos richesses. C’est ce qui s’est passé
en Libye où on a déstabilisé le pays
pour pouvoir contrôler les matières
premières.
La presse africaine doit faire son
travail en informant les Africains non
pas en faisant confiance aux gens qui
veulent exploiter ou détruire l’Afrique.
C’est à ce titre que nous continuons à
demander des indemnités pour le
dédommagement de l’Afrique, victime de
l’esclavage et de la colonisation et
aujourd’hui du néo colonialisme.
L’Afrique est un continent déclaré
pauvre. Si nous sommes pauvres, c’est à
cause de l’exploitation de nos
ressources. Ceux qui n’aiment pas
l’Afrique utilisent des expressions
dénuées de sens du genre «Biens mal
acquis» alors qu’ils disposent des
propriétés en Afrique. »
* Il développe une vision panafricaine
après la mort de Kadhafi :
Le temps fort du discours du président,
c’est l’hommage à la vision panafricaine
de Moammar Kadhafi. Un discours
courageux à l’inverse et à l’encontre de
la propagande occidentale.
« Nous regrettons la disparition du
colonel Mouammar Kadhafi. Prendre le
relais de son combat panafricain est
difficile. Ce d’autant que chaque pays a
sa politique et quelques différences
subsistent.
Globalement, beaucoup de chefs
d’Etat africains étaient d’accord avec
les idées de Kadhafi et ont d’ailleurs
soutenu celles-ci. Je ne peux pas
prendre le relais. J’invite plutôt les
autres chefs d’Etat du continent noir à
être solidaires. Certains chefs d’Etat
sont téléguidés par des puissances
occidentales, ils doivent éviter de
tomber dans le piège des manipulations
exogènes à l’Afrique, car ces puissances
ne veulent pas que l’Afrique avance. »
LE REFUS DES DIKTATS OCCIDENTAUX
Dans cette optique anticolonialiste, le
président Teodoro Obiang Nguema refuse
les diktats occidentaux :
« Je n’accepte aucune leçon de
gouvernance de la part de gens qui n’ont
pas hésité à piller systématiquement et
qui continuent de piller l’Afrique. Je
n’ai aucun complexe vis-à-vis de
dirigeants occidentaux. »
« Nous donnons la priorité à la
coopération sud-sud, à la coopération
interafricaine. Car nous devons d’abord
resserrer nos liens. N’oubliez pas que
cela fait seulement cinquante ans que
nous nous sommes débarrassés du joug
colonial. Il faut du temps pour mettre
les bases du développement. Mais nous
sommes optimistes et notre volonté est
que l’Afrique grandisse. »
« Nous n’attendons rien de la presse
occidentale, pour agir dans le sens de
construire l’Afrique (…) La presse
occidentale donne une image négative de
l’Afrique. »
Déjà le 31 décembre dernier, dans son
« Message à la nation » , il dénonçait
les puissances impérialistes et la
campagne de désinformation dont la
guinée équatoriale est victime : « ne
soyez pas surpris car la guinée
équatoriale est parmi les pays
sélectionnés par les puissances en crise
économique pour la déstabiliser. Le
peuple jouit des grandes libertés
politiques, économiques, sociales et
culturelles, l'on observe un
développement progressif de la
démocratie (…) avec le développement
des infrastructures économiques
et sociales qui nous incite à continuer
de travailler vers l'émergence de la
Guinée équatoriale ».
TEODORO OBIANG NGUEMA A AUSSI UNE VISION
REGIONALE AVEC LA « CEMAC »
La Communauté économique et monétaire de
l'Afrique centrale ou CEMAC est une
organisation internationale regroupant
plusieurs pays d'Afrique centrale, créée
pour prendre le relais de l'Union
douanière et économique de l'Afrique
centrale (UDEAC). Le traité instituant
la CEMAC a été signé le 16 mars 1994 à
Ndjamena (Tchad) et est entré en vigueur
en juin 1999. Son siège est à Bangui
(République centrafricaine.) La CEMAC
regroupe l’Union monétaire de l’Afrique
centrale (UMAC) et l’Union économique de
l’Afrique centrale (UEAC). La CEMAC est
composée de 6 États membres : Cameroun,
République centrafricaine, République du
Congo, Gabon, Guinée équatoriale et
Tchad.
Le président équato-guinéen a aussi une
vision pour la CEMAC et la région :
« La politique d’intégration en zone de
la Communauté économique et monétaire
d’Afrique centrale prône la libre
circulation des personnes et des biens.
Il faut cependant se garder de tomber
dans le piège de la mauvaise
interprétation de cette politique. Car
nous devons contrôler le terrorisme, le
trafic de drogue et d’armes, le
grand banditisme… Toutes choses
préjudiciables à une communauté qui
aspire au développement. En revanche,
nous encourageons la libre circulation
des hommes d’affaires, des étudiants,
des scientifiques, cadres de la fonction
publique
et autres. En ce qui concerne
l’implication de la Cemac dans la
résolution de la crise en République
démocratique du Congo,
la solution est, de notre avis,
dans la médiation politique. Les
Congolais doivent eux-mêmes résoudre
leurs problèmes. Ce que nous souhaitons,
c’est que la Rdc vive dans la paix. Il
s’agit d’un grand pays. Mais les
conflits freinent les efforts de
développement. Peut-être faudra-t-il une
conférence nationale pour la stabilité
du pays... »
UN NOUVEAU DISCOURS EN AFRIQUE
La presse africaine ne s’y est pas
trompée. C’est bien un discours nouveau
en Afrique. Ecoutons l’analyse de
Frédéric BOUNGOU (Cameroon Voice) :
« Pour lui, c’est bien simple :
pour se développer, l’Afrique doit se
départir du joug néo colonial, ses
dirigeants doivent cesser d’être des
pantins au service de l’Occident, et
penser d’abord et avant tout au
bien-être de leurs concitoyens. « Je
n’ai aucun complexe vis-à-vis des
dirigeants européens », soutient-il par
exemple. L’Afrique, selon lui, dispose
de potentialités énormes : ses
ressources naturelles. Il lui faut donc
seulement la volonté de ses dirigeants
pour la faire décoller économiquement.
Ci-dessous la quintessence de cette
conférence de presse. Une profession de
foi ? Une vraie leçon à ses pairs
africains, surtout... »
VERS UN MODELE EQUATO-GUINEEN
Nous soulignons que la Guinée
Equatoriale était un Etat en
reconstruction, où un processus élaboré
de développement de la vie démocratique
de la République est en cours. Dans un
livre très dur pour le Pays, Samuel
Denantes Teulade (5) évoquait déjà en
2009à propos de Malabo la possibilité
d’ « un nouveau modèle de développement
pour l'Afrique ».
Le président Teodoro Obiang Nguema, qui
définit son pays comme "un état social
et de droit" (décembre 2012), développe
aujourd’hui incontestablement une vision
pour son pays. Revenons à sa conférence
de presse de ce 14 mai 2013.
* Il insiste sur la reconstruction des
institutions de l’Etat :
« L’avènement du Sénat participe d’une
vision d’ensemble. Nous travaillons à la
réforme de nos textes et lois pour que
les Equato-guinéens participent
effectivement à la gestion de la chose
publique, à la vie politique. C’est dans
ce cadre que de façon méthodique, nous
voulons créer une chambre des
représentants, mettre sur pied le
Conseil économique et social, une Cour
des comptes...
Nous sommes dans un processus
démocratique qui épouse les réalités de
nos cultures, nos traditions, nos
mentalités…Dans un processus électoral
crédible, deux aspects fondamentaux sont
importants pour mener à bien les
opérations électorales. D’abord, les
inscriptions sur les listes, le
recensement des votants qui ont été bien
conduits au point où un document de
satisfaction a été signé entre les
partis politiques de l’opposition et le
gouvernement. Ensuite la question du
matériel électoral, notamment les
ressources financières. A ce titre, le
gouvernement a remis des ressources
financières appropriées aux partis
politiques. Tous ces aspects sont
réglés. Reste attendue, la participation
des populations au vote proprement
dit. »
* Il vise à « l’émergence de la Guinée
équatoriale », selon les termes de
Cameroon Voice :
« Le gouvernement de cette République
travaille pour le bien-être des fils et
filles de ce pays. J’en veux pour
preuve, la construction des logements
sociaux, la construction des routes, la
création d’une Université nationale, la
création des centres et autres
structures éducatifs… Dans cette
dynamique, la priorité est donnée à la
main d’œuvre locale. Certes, nous
n’allons pas faire avec ceux qui ne
veulent pas travailler, mais je peux
vous assurer qu’en Guinée, il n’existe
pas un problème de l’emploi. Nous avons
fait instaurer une loi qui veut que les
entreprises implantées dans notre pays
consacrent 75% du personnel recruté à la
main d’œuvre nationale. En outre, ces
entreprises doivent avoir leur siège
social construit sur place parce que
quand ces entreprises vont partir de la
Guinée équatoriale, les bâtisses vont
rester au profit des Equato-guinéens. Un
programme économique destiné à l’horizon
2020 ambitionne de faire de la Guinée
équatoriale un pays émergent,
autosuffisant. Nous ne voulons plus
compter sur la dépendance économique. »
* Il mise sur l’éducation, la formations
des élites nationales :
« Pour parvenir à ce cap, cela passe par
la formation. A l’horizon 2020, nous
voulons que nos jeunes soient des
universitaires. Nous voulons laisser une
nation prospère à la postérité avec des
jeunes dynamiques, bien formés. Il faut
retenir que la Guinée équatoriale n’est
pas encore un pays émergent. Mais nous
aspirons à l’émergence qui ne viendra
pas facilement ou si nous croisons les
bras. Nous devons y travailler. C’est
dans cette optique que nous travaillons
pour développer tous les secteurs
d’activité, de l’agriculture à
l’éducation en passant par les
infrastructures de base et de
communication. »
* Enfin, il entend gérer les ressources
naturelles et l’après-pétrole :
« Le programme économique qui ambitionne
de faire de la Guinée équatoriale un
pays émergent en 2020 prend en compte la
nécessité de rechercher d’autres
alternatives. C’est pour cela que nous
mettons un accent particulier sur la
formation des jeunes, des ressources
humaines car il vaut mieux avoir un
peuple éduqué, bien formé qu’une nation
pourvue en ressources naturelles. Le
progrès dépend des compétences
nationales. Tous les plans de
développement sont la résultante de la
vision du peuple équato-guinéen. En
2020, on ne regardera plus le pétrole,
mais un pays développé. »
Le temps semble venu, avec cette vision
ambitieuse, et les moyens dont dispose
le pays, « nouvel eldorado pétrolier »,
d’un modèle équato-guinéen pour
l’Afrique …
Luc MICHEL
http://www.eode.org/eode-think-tank-analyse-geopolitique-panafricanisme-une-alternative-en-guinee-equatoriale/
https://www.facebook.com/notes/eode-think-tank/-eode-think-tank-analyse-geopolitique-panafricanisme-une-alternative-en-guinee-e/505496752838772
Notes et renvois :
(1) Cfr. LES ATLAS
DE L'AFRIQUE, GUINEE EQUATORIALE, Ed.
Jeune Afrique (Paris) ;
Jean-Claude Klotchkoff , LA GUINEE
EQUATORIALE AUJOURD'HUI, Les Editions du
Jaguar (Paris) ;
Et GUINEA ECUATORIAL , LA GUINEE
EQUATORIALE, Les Editions du Jaguar
(Paris).
(2) Samuel Denantes
Teulade, MALABO, GUINEE-EQUATORIALE : LE
NOUVEL ELDORADO PETROLIER DE L'AFRIQUE,
L’Harmattan, Paris, 2009.
(3) Cfr. Luc
MICHEL, GUINEE EQUATORIALE : ELECTIONS
LEGISLATIVES , SENATORIALES ET
MUNICIPALES LE 26 MAI 2013,
sur
http://www.eode.org/eode-international-elections-monitoring-guinee-equatoriale-elections-legislatives-senatoriales-et-municipales-le-26-mai-2013/
(4) Cfr. Luc
MICHEL, « VISIONARY AFRICA » : DIALOGUE
DES CULTURES ET COOPERATION ENTRE LES
UNIONS EUROPEENNE ET AFRICAINE !, « La
culture placée au cœur du dialogue
Afrique-Europe ! », in LIBYA NEWS &
FACTS, bulletin du CEREDD (Bruxelles et
Paris) n° 2.150, 25 octobre 2010.
Le sommaire de Luc Michel
Le
dossier Afrique noire
Les dernières mises à jour
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