LUC
MICHEL’S GEOPOLITICAL DAILY
Du Golfe persique au Golfe de Syrte,
comment Doha finance l'expansion turque
Luc Michel
Vendredi 3 juillet 2020
L’AXE GEOPOLITIQUE
ET IDEOLOGIQUE TURQUIE-QATAR : DU GOLFE
PERSIQUE AU GOLFE DE SYRTE, COMMENT DOHA
FINANCE L’EXPANSION TURQUE
LUC MICHEL (ЛЮК
МИШЕЛЬ) & EODE/
Luc MICHEL pour EODE/
Quotidien
géopolitique – Geopolitical Daily/
2020 07 02/
« En créant sa
propre coalition dans le monde islamique
: Le Qatar sort de l'isolement (…) Un
tournant se profile à l'horizon dans la
campagne de pression sans précédent
lancée le 5 juin contre le Qatar par
l'Arabie saoudite et ses alliés. Le
ministre turc des Affaires étrangères
Mevlüt Cavusoglu s'est rendu hier en
visite dans l'émirat, après que le
président turc Recep Tayyip Erdogan a
critiqué l'isolement dont était victime
Doha. Plusieurs autres pays clefs de la
région ont également refusé de soutenir
la coalition anti-qatarie. Dans ce
contexte l'Arabie saoudite et l'Égypte,
qui donnent le ton dans la campagne
contre Doha, ont dû relacher la pression
sur l'émirat »
- Kommersant
(Russie, 21 juin 2017).
« Le Qatar, un des
rares pays arabes à ne pas avoir
condamné l’offensive d’Ankara en octobre
en Syrie », a rapporté l’agence de
presse officielle du Qatar. Par
ailleurs, Doha et Ankara sont les
principaux soutiens du gouvernerment
islamiste de Tripoli. Les liens entre
Doha et Ankara se sont consolidés depuis
que l’Arabie saoudite, les Emirats
arabes unis, le Bahreïn et l’Egypte ont
rompu leurs relations diplomatiques en
juin 2017 avec le Qatar. Le Qatar et la
Turquie, qui soutiennent tous deux
l’organisation des Frères musulmans, ont
renforcé leurs relations économiques et
politiques ces dernières années, dans le
sillage de l’isolement de Doha.
I-
ERDOGAN A DOHA POUR
UNE VISITE OFFICIELLE
POUR PARTICIPER A LA 5e
REUNION DU « COMITE STRATEGIQUE
TURCO-QATARI » (QNA)
Le président turc
Recep Tayyip Erdogan est arrivé ce jeudi
après-midi à Doha, la capitale du Qatar,
pour une visite officielle d'une
journée. Le ministre des Finances et du
Trésor, Berat Albayrak, et de la
Défense, Hulusi Akar, ainsi que le Chef
de la communication, Fahrettin Altun, le
porte-parole de la Présidence, Ibrahim
Kalin, et le chef des Renseignements
turcs (MIT), Hakan Fidan, accompagnent
le chef de l’État dans son voyage à
Doha. Erdogan rencontrera l’Émir du
Qatar, Cheikh Tamim ben Hamad al-Thani.
« Les deux leaders discuteront des
relations entre les deux pays amis et
frères. Ils aborderont également les
questions régionales et
internationales ». Erdogan doit signer
plusieurs accords visant à « renforcer
la coopération entre les deux pays »,
selon un communiqué de la présidence
turque. Au Qatar, M. Erdogan doit aussi
visiter une base militaire turque où
quelque 5 000 troupes sont stationnées,
selon la présidence turque. « La
fermeture de cette base fait partie de
13 conditions formulées par les
adversaires de Doha pour mettre un terme
à son isolement ».
L’AXE GEOPOLITIQUE
TURQUIE-QATAR SE FORGE EN JUIN 2017
Une semaine et
demie après qu'une crise diplomatique
très profonde avait éclaté en juin 2017
dans le Golfe, plaçant les alliés
d'autrefois du soi-disant « Printemps
arabe » des deux côtés des barricades,
le Qatar, isolé, avait bénéficié d'un
soutien explicite d’un acteurs clef de
la région: la Turquie. Le ministre turc
des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu
s'était alors rendu en visite à Doha
pour rencontrer son homologue qatari
Tamim Ben Jassem al-Thani. Après cet
entretien, la presse rapportait qu'il
s'était envolé vers l'Arabie saoudite.
Rappelons que Riyad avait été l'un des
principaux initiateurs de la démarche
diplomatique à laquelle plus de dix pays
arabes ont déjà adhéré à différents
degrés. Certains États ont rompu leurs
relations diplomatiques avec le Qatar,
d'autres ont annoncé une diminution du
niveau des relations diplomatiques.
Ces démarches
faisaient suite à la publication, sur le
site de l'agence de presse qatarie, d'un
communiqué au nom de l'émir al-Thani sur
la nécessité d'un rapprochement avec
l'Iran chiite - le principal adversaire
géopolitique des monarchies sunnites du
Golfe, mais aussi d’Ankara. A la veille
de la visite de Mevlüt Cavusoglu à Doha,
le président Erdogan s'était posé en
principal défenseur du Qatar. Devant les
membres du Parti de la justice et du
développement (AKP) au pouvoir, il avait
mis en garde les initiateurs du
blocus « contre les risques d'une telle
politique lourde de conséquences ».
Ainsi, malgré les relations extrêmement
tendues entre la Turquie et l'Iran, qui
conserve pratiquement des relations
d'allié avec le Qatar, n'ont pas empêché
Ankara de rejoindre le même camp que
Téhéran. Sachant que le président
Erdogan n'a pas seulement pris la
défense de l'émirat isolé en paroles
mais aussi en actes: il avait signé une
loi sur le déploiement au Qatar d'un
contingent turc « pour le maintien de la
stabilité dans la région » ; Comme en
Libye en 2020, la Turquie introduit
l’anarchie dans les relations
internationales et fait exploser les
lignes et les alliances géopolitiques
traditionnelles !
UN AXE IDEOLOGIQUE
DOUBLE L’AXE GEOPOLITIQUE DOHA-ANKARA :
LE SOUTIEN AUX FRERES MUSULMANS
Grigori Kossatch,
professeur à la faculté d'histoire, de
politologie et de droit de l'Université
d'État des sciences humaines de Russie,
soulignait dans ‘Kommersant en 2017 que
« le Qatar a des leviers de pression sur
les pays où il existe de puissantes
organisations représentant le mouvement
islamiste Frères musulmans ». En
Jordanie les membres de ce mouvement
sont représentés au parlement, et en
Turquie les racines de l'AKP –
islamo-conservatrice -
remontent aux Frères musulmans.
On comprend
aisément que pour Erdogan l’islamiste,
adepte de la Confrérie extrémiste des
Frères musulmans (dont l’AKP est la
version turque), « l’héritage laïc de
Mustapha Kemal doive être à tout prix
détruit et effacé. Suite à la
réislamisation de la Turquie qu’il est
parvenu à imposer depuis deux décennies,
on observe dans le pays l’imposition de
nouvelles règles de vie et une politique
discriminatoire à l’encontre des
chrétiens et des Kurdes ». Plus
largement, le Frère musulman Erdogan
souhaite « revitaliser le monde
islamique » dont il se présente comme le
défenseur. En effet, il ne cesse
d’œuvrer, depuis plus d’une décennie, à
la diffusion de la version archaïque et
sectaire de l’islam sunnite auquel il
adhère, partout dans le monde arabe.
Depuis les pseudo
“printemps arabes” de 2011, « Istanbul a
accueilli d’importantes communautés
musulmanes ayant fui leur pays, analyse
un expert français. Plusieurs centaines
de milliers de Syriens, d’Irakiens, de
Yéménites, de Libyens, d’Égyptiens, de
Libanais et de Magrébins sont
aujourd’hui présents dans la ville. La
Turquie leur offre la possibilité de
s’engager dans un militantisme politique
« frériste » en direction de leur pays
d’origine. Le pays est ainsi devenu un
foyer de prosélytisme et de subversion
au service de la Confrérie et Istanbul
est devenu un refuge pour les Frères
musulmans. L’État turc les soutient et
les aide à s’organiser ». « Des dizaines
de chaînes de télévision (Ndla : au
service du Soft power turc) – pour la
plupart affiliées à la Confrérie –
attestent de ce soutien étatique. C’est
dans la ville turque que se prennent les
décisions importantes du mouvement et
que la branche yéménite des Frères
musulmans a récemment élu son nouveau
chef ».
LE QATAR, RARE
ALLIE ARABE D'ANKARA
Les liens entre
Doha et Ankara se sont donc consolidés
depuis que l'Arabie saoudite, les
Emirats arabes unis, le Bahreïn et
l'Egypte ont rompu leurs relations
diplomatiques en juin 2017 avec le
Qatar. Le Qatar et la Turquie, qui
soutiennent tous deux l'organisation des
Frères musulmans, ont renforcé leurs
relations économiques et politiques ces
dernières années, dans le sillage de
l'isolement de Doha. Doha est le seul
pays membre de la Ligue arabe, avec la
Somalie, à avoir émis des réserves à un
texte condamnant «l'agression» turque
contre les forces kurdes dans le nord de
la Syrie le mois dernier.
Au Qatar, Erdogan
doit aussi visiter une base militaire
turque où quelque 5000 troupes sont
stationnées, selon la présidence turque.
La fermeture de cette base fait partie
de 13 conditions formulées par les
adversaires de Doha pour mettre un terme
à son isolement. Les relations entre
Ankara et Ryad se sont dégradées depuis
le meurtre du journaliste saoudien Jamal
Khashoggi par des agents saoudiens dans
le consulat de son pays à Istanbul en
octobre 2018.
II-
LA TURQUIE ET LE
QATAR DANS LA « GEOPOLITIQUE ENCHEVETREE
DU MOYEN-ORIENT »
Ce sujet complexe
est développé en Anglais dans le livre
«La Turquie et le Qatar dans la
géopolitique enchevêtrée du
Moyen-Orient» (de Birol Başkan chez
‘Palgrave’). Au milieu de la crise
actuelle, « de nombreuses personnes se
frottent frénétiquement au passé et au
présent des relations Turquie-Qatar ».
Certains se tourneront vers «La Turquie
et le Qatar dans la géopolitique
enchevêtrée du Moyen-Orient» de Birol
Başkan, professeur adjoint à la
Georgetown University School of Foreign
Service au Qatar. Le livre est une
amorce utile, mais plutôt sèche. Il vise
à répondre à la question de savoir
comment et pourquoi Ankara et Doha ont
développé une relation aussi spéciale
ces dernières années.
Le siège
diplomatique du Qatar par les États
arabes du Golfe dirigés par l'Arabie
saoudite a cimenté les liens entre la
Turquie et le petit mais super-État
pétro-étatique, au Soft Power puissant.
« L'alliance Ankara-Doha est l'une des
histoires les plus significatives de ces
dernières années et elle a été relancée
avec la campagne dirigée par l'Arabie
saoudite. Les deux pays ont des
relations diplomatiques, économiques et
sécuritaires de plus en plus solides, ce
qui les met souvent en désaccord avec
les États voisins du Golfe ».
Le livre se
concentre sur le paysage de l'après-11
septembre, « lorsque la Turquie et le
Qatar ont pu devenir des acteurs plus
influents au Moyen-Orient. Ils ont
profité de l'intensification de la
rivalité sectaire entre l'Arabie
saoudite et l'Iran, se méfiant de
l'influence croissante de l'Iran chiite
mais préférant également ne pas tomber
complètement dans l'orbite de l'Arabie
saoudite ». « En profitant du vide de
leadership dans le monde arabe contre un
Iran en hausse, mais en évitant
eux-mêmes d'être pris au piège dans la
rivalité saoudo-iranienne qui a repris
et s'est intensifiée dans la seconde
moitié des années 2000, la Turquie et le
Qatar pourraient devenir des acteurs
proactifs au Moyen-Orient. », Écrit
Başkan. Ils ont « rehaussé leur
visibilité grâce à des efforts
d'arbitrage dans un certain nombre de
conflits ». « L'Arabie saoudite et les
Émirats arabes unis sont restés prudents
mais tolérants à l'égard du profil
croissant de la Turquie et du Qatar au
cours des années 2000. Mais alors que
les manifestations contre les régimes
autocratiques ont déferlé sur la région
au printemps arabe de 2011, le soutien
d'Ankara et de Doha aux forces liées aux
Frères musulmans a posé un défi à la
sécurité du Golfe arabe. Ce soutien est
devenu de plus en plus énergique avec le
printemps arabe, des régimes troublants
qui voulaient maintenir le statu quo ».
LES FRERES
MUSULMANS :
AU CŒUR DE LA
GEOPOLITIQUE TRUCO-QATARIE
Contrairement à
d'autres États du Moyen-Orient, la
Turquie et le Qatar ont vu peu de
menaces dans la montée des Frères
musulmans, car tous deux ont développé
des relations avec eux tout au long des
années 2000. En Égypte, après la
destitution d'Hosni Moubarak, Ankara et
Doha sont devenus les principaux
soutiens financiers et politiques du
président Muhammed Morsi, soutenu par
les Frères musulmans. Lorsque Morsi
lui-même a été renversé en 2013 après un
an de mandat, la Turquie et le Qatar se
sont retrouvés isolés et confrontés à un
contrecoup régional, ce qui ne fait que
les rapprocher. Başkan décrit comment
tout cela s'est produit.
Mais les sections
de son livre sur la guerre en Syrie - où
la Turquie, le Qatar, l'Arabie saoudite
(à la fois en tant qu'États et par le
biais d'initiatives privées), sous
direction américaine, ont soutenu un
mélange d'opposition compradore et de
factions djihadistes - pourraient
bénéficier de plus de détails. Başkan
aborde la guerre en Syrie , mais il
pourrait certainement développer comment
ses alliances changeantes ont reflété
les relations entre la Turquie, le Qatar
et les autres États arabes du Golfe. Un
autre point faible est le manque
d'attention au développement des liens
économiques entre les deux pays, qui a
formaté les étapes des deux régimes à
mesure que leur alliance se resserre.
La campagne de 2017
contre le Qatar peut être considérée
comme l'aboutissement d'une longue
tempête. Doha paie le prix pour avoir
contesté le statu quo. Les autorités
turques ont claironné leurs efforts en
tant que médiateurs. Mais il ne fait
aucun doute que le régime turc considère
ses intérêts comme étant mensongers.
Comme les années précédentes, l'alliance
Turquie-Qatar est renforcée par
l'adversité. Le temps nous a démontré
depuis 2017 que c’était « suffisant pour
traverser la tempête ».
(Sources : Mehr Agency – AFP – Palgrave
- EODE Think Tank)
LUC MICHEL (ЛЮК
МИШЕЛЬ) & EODE
* Avec le Géopoliticien de l’Axe
Eurasie-Afrique :
Géopolitique – Géoéconomie –
Géoidéologie – Géohistoire –
Géopolitismes - Néoeurasisme –
Néopanafricanisme
(Vu de Moscou et Malabo) :
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