Algérie
Administrés ou sujets de droit?
Lahouari Addi

Jeudi 2 juillet 2020
La mise en liberté provisoire de Karim
Tabou, d'Amira Bouraoui et d'autres
détenus d'opinion renseigne sur la
nature du régime et sur sa conception du
droit et des droits des gens. La police
arrête des personnes qui ont critiqué
les détenteurs de l'autorité publique,
reprochant aux agents de l'Etat de faire
un mauvais usage de cette autorité
censée être au service du public.
Ensuite, ces personnes, mises en prison
un certain temps, sont libérées
provisoirement. Elles seront jugées
quelques mois plus tard par un tribunal
qui tiendra compte de leurs déclarations
durant la période de liberté provisoire.
Le mécanisme est malicieux: on vous
enlève un droit inaliénable, et après,
on vous le prête comme s'il ne vous
appartenait pas. Prenons un exemple plus
concret. Vous êtes évincé d'une maison
qui vous appartient et l'administration
décide de vous la prêter. Vous habitez
votre propre maison mais vous pouvez
être mis dehors à tout moment si vous
critiquez le Prince usurpateur de
propriétés.
Cela signifie clairement que le régime
algérien considère les Algériens comme
des administrés et non comme des SUJETS
de DROIT. Ce concept est constitutif de
la modernité juridique et de l'Etat de
droit. Il signifie que toute personne, à
la naissance, possède des droits
inaliénables qui ne proviennent d'aucune
institution, y compris l'Etat; ils
proviennent de la nature. Le droit de
marcher librement, le droit de faire du
commerce, le droit d'exprimer son
opinion, le droit de croire ou de ne pas
croire en une divinité, etc. sont des
DROITS NATURELS que seuls les régimes
tyranniques ne reconnaissent pas. L'Etat
moderne est né pour protéger ces droits
sans lesquels l'homme ne peut pas vivre
dans la dignité. Bien sûr, ces droits
peuvent être conflictuels et ont besoin
de coexister pour assurer l'ordre public
protégé par la LOI. Karl Marx dit qu'ils
sont formels, mais il reconnaît que
c'est un progrès par rapport à l'ordre
féodal où les serfs sont la propriété
des seigneurs.
Les hirakistes qui contestent le régime
crient haut et fort que les Algériens ne
sont pas la propriété de l'Etat et
qu'ils voudraient être reconnus comme
les propriétaires de l'Etat. Dawla
ta'ana ou dirou rayna. C'est ce que
disent Karim Tabou, Amira Bouraoui et
d'autres hirakistes, arbitrairement
détenus. En exprimant cette
revendication, ces détenus ont exercé un
droit naturel: celui de critiquer le
détenteur de l'autorité publique. Ils
disent que cette autorité est exercée en
Algérie par des personnes
frauduleusement élues, donc non
représentatives, et qu'elle a besoin
d'être exercée par des personnes élues
qui ont le souci du BIEN PUBLIC. Ils ont
osé remettre en cause le mécanisme de
désignation des élites qui dirigent les
institutions, commettant ainsi, aux yeux
du Prince, un délit de lèse-majesté.
Pour le régime, ni Tabou, ni Bouraoui,
ni personne n'a le DROIT de critiquer le
fonctionnement des institutions. Sans
jeu de mot, c'est tabou. La principale
caractéristique politico-juridique du
régime algérien est qu'il ne reconnaît
pas les Algériens comme des SUJETS de
DROIT. Il estime que leurs droits
proviennent gracieusement de l'Etat et
non de la nature. Ils sont libres
seulement parce que le régime, dans son
infinie générosité, le veut. La liberté
de l'administré provient de
l'administration; celle du sujet de
droit provient de la nature.
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