Russie politics
L'échec des frappes en Syrie et
la fin
d'un ordre mondial
Karine Bechet-Golovko

Dimanche 15 avril 2018
A l'appel des
Etats-Unis, malgré les hésitations de
Trump, Macron et May ont mis nos pays à
la solde des intérêts atlantistes. Sans
accord du Conseil de sécurité de l'ONU,
en conséquence d'une rumeur à la
réalisation de laquelle la
Grande-Bretagne a elle-même contribué.
Finalement, une centaine de missiles a
été envoyée en Syrie, les deux tiers
détruits par le système de défense
aérien syrien et des bâtiments vides ont
terminé en poussière. La Russie cherche
encore la participation française, qui
n'est pas apparue sur leurs radars ...
L'on craignait une Troisième Guerre
mondiale, l'on a eu une petite revanche
d'egos surdimensionnés. Le sursaut d'un
système condamné. Et qui le sait. Les dernières
déclarations de D. Trump et de ses
porte-paroles, qui annonçaient que
différentes options étaient à l'étude,
laissaient planer un doute sur la
réalisation des frappes aériennes,
surtout que les experts de l'OIAC se
sont finalement décidés à aller en Syrie
voir ce qu'il en était de la fameuse
attaque chimique de Douma. Et c'est à ce
moment que les USA, accompagnés de la
France et de la Grande-Bretagne,
décident de tirer. Justement lorsque ces
experts sont à la frontière syrienne,
comme s'il fallait à tout prix les
empêcher d'entrer et de voir. Alors,
dans la nuit, une centaine de missiles
sont envoyés sur le pays. Mais la
perspective de la guerre fait peur, la
Russie est largement présente sur le sol
syrien. La France prévient donc la
Russie des frappes, des lieux, des
heures. Et tous en coeur de répéter, les
uns à la suite des autres, dans une
litanie macabre et lassante: la
Russie est coupable, Assad est un
monstre, nous ne voulons pas la guerre
contre la Russie, les frappes n'étaient
pas dirigées contre Assad.
Ces pays
lancent des avions, des navires de
guerre dans un conflit sans vouloir la
guerre. Ils bombardent sans vouloir
tuer. Mais qui sont ces dirigeants
d'opérette? Ces dirigeants
twitterisés, facebookés. Des dirigeants
incapables d'appréhender le réel dans sa
complexité.
Pourquoi? Des
besoins intérieurs, des exigences
d'images
Chacun des trois
protagonistes avait besoin de ces
actions. Elles ont donc eu lieu. Et cela
n'a rien à voir avec l'utilisation
présumée et non prouvée d'armes
chimiques, les droits de l'homme ou
autres fétiches du jour.
Macron a
voulu revêtir les oripeaux des chefs de
guerre. Pour le plus grand
bonheur de la presse française, qui
s'est pâmée dans un orgasme collectif.
Et faire ainsi oublier la contestation
populaire montante.

May s'est embourbée
dans son Skripal, il faut faire montrer
la pression pour faire oublier les
échecs passés. Quant à Trump, pas très
chaud dans les actes, brûlants en
parole, il ne pouvait plus perdre la
face et lâche du mou à l'international
en espérant pouvoir un minimum gouverner
à l'intérieur.
Des frappes
illégales
Mais le Conseil de
sécurité n'a pas suivi, la Russie et la
Chine n'ont pas autorisé les frappes. Ce
qui irrite totalement le ministre des
affaires étrangères français, si l'on en
croit la bande-annonce de
pure propagandre justifiant
l'intervention militaire française. Un
relent de Maréchal nous voilà!

Donc sans
autorisation du Conseil de sécurité, qui
rappelons-le, prend ses décisions non
pas à la majorité mais à l'unanimité,
seule garantie de la souveraineté des
Etats, trois des membres permanents sont
partis en guerre.
Des frappes
illégitimes
Faute de légalité,
nos joyeux lurons ont voulu jouer la
carte de la légitimité, c'est-à-dire de
la conformité des actions non pas au
droit, mais aux valeurs. Assad attaque
son peuple aux armes chimiques et est
protégé par la Russie, il faut agir.


Le seul problème
est que ces frappes interviennent juste
après que le ministère de la défense
russe ait démontré lors de son briefing
devant la presse le montage de l'affaire
des soi-disant victimes à Douma par les
Casques blancs et l'organisation
médicale américano-syrienne. Avant déjà,
la porte-parole du ministère des
affaires étrangères russe, Maria
Zakharova, avait signalé que la Russie
s'était adressée aux ONG en question
pour savoir dans quels hôpitaux étaient
soignées les victimes, où étaient les
corps de ces victimes et quelle en était
la liste. Aucune information. A part la
bande vidéo virale qui s'est emparée du
net et des médias.
Or, il apparaît que
la Russie a
retrouvé un des soignants qui s'était
trouvé sur les lieux et qui déclare que
tout à coup, des inconnus sont entrés
dans l'hôpital en criant à l'attaque
chimique, tenant des caméras. Les gens
se sont précipités pour s'arroser d'eau.
Les médecins de l'hôpital de leur côté,
ont déclaré qu'il n'y avait aucune trace
d'arme chimique. Le ministère de la
défense russe a ajouté qu'il détenait
des preuves de l'implication de la
Grande-Bretagne dans la mise en oeuvre
de cette provocation sordide.
Donc, pas de
décision internationale qui donnerait un
cadre légal, ni de fondement moral
puisque l'attaque est un Fake.
Peut-être est-ce
pour cela que finalement, l'acte de
guerre n'a pas été très ... guerrière.
Que la Russie a été prévenue, selon les
dires de la France.
Une opération
militairement ratée
Selon les acteurs
de cet acte de bravoure sans précédent
(il faut quand même beaucoup de courage
pour bombarder de nuit), l'opération est
un grand succès.

Position répétée à
loisir par les "alliés". Pourtant, un rapport du
ministère de la défense russe entre
désagréablement - pour nos amis
bellicistes - dans le détail. Et comme
disait J.-P. Sartre, une guerre racontée
en détail, on ne sait plus ce qui la
différencie d'une défaite.
L'on apprend ainsi
que les systèmes de défense syriens, qui
datent encore de l'époque soviétique,
ont descendu les deux tiers des missiles
lancés contre le pays, qu'aucun
aérodrome n'a été touché. Que des cibles
civiles ont été touchées, notamment
trois bâtiments qui servaient, avant
qu'Israël ne commence à les prendre pour
cible, à la recherche et à
l'enseignement. Mais justement en raison
des différents raids d'Israël, ces
bâtiments étaient totalement vides. Les
USA, la Grande-Bretagne et la France
peuvent se féliciter de les avoir
détruits.
En ce qui concerne
plus particulièrement la participation
de la France, des questions se posent.
Dans les médias,
les déclarations, nous sommes au sommet.
Pour 16 millions d'euros, quand même:
Sur les 105
missiles tirés sur des installations
syriennes par la France, les États-Unis
et le Royaume-Uni, 12 l'ont été par les
forces tricolores. Dans le détail, 9
missiles Scalp, d'une portée de 250 km,
ont été tirés par les 9 avions Rafale
engagés et 3 missiles missiles de
croisière navals MdCN, d'une portée de
1.000 km et "d'une précision de l'ordre
du métrique", ont été tirés par la
frégate multimissions Aquitaine,
déployée en Méditerranée orientale.
Et maintenant, si
l'on compare avec le
rapport présenté par les forces
russes. Eux n'ont malheureusement pas
remarqué la participation annoncée des
forces françaises ... Ils nous font le
décompte des missiles britanniques et
américains qui sont arrivés vers la
Syrie, aucun des missiles tirés par les
avions n'a pu être aperçu ... car les
avions eux-mêmes n'ont pas été
remarqués. Quant aux 3 missiles tirés
depuis la frégate... les autres
bâtiments de "nos alliés" sont bien
cités, mais lui ... également absent.
Et pour ceux qui
ont des doutes quant à la véracité de la
destruction des "missiles démocratiques
et salvateurs", dont les médias
occidentaux ne disent un mot, les
réseaux sociaux commencent à sortir des
photos, mais qui elles étrangement ne
sont pas reprises par nos journalistes,
tant avides de justice:

Réaction mesurée
de la Russie
Face à cela, la
Russie a décidé de réagir mesurément: on
ne déclenche pas une guerre mondiale
pour 5 blessés (puisque les 103 missiles
ont fait ... 5 blessés) et des bâtiments
vides détruits.
Le
président russe a qualifié les
frappes menées par les USA, la
Grande-Bretagne et la France d'acte
d'agression contre un pays souverain, à
l'avant-poste de la lutte contre le
terrorisme, acte commis en violation du
droit international. Le ministre des
affaires étrangères S. Lavrov souligne
le danger de destruction du système
international sous l'effet de la
violation constante de ses règles
élémentaires.
La réunion du
Conseil de sécurité n'a évidemment
débouché sur aucune résolution: les
trois pays agresseurs criant à la
légitimité de viser "le régime syrien".
Comme s'il ne s'agissait pas d'un pays
avec des gens, mais d'une chose
abstraite, "un régime", et forcément
mauvais. Pour reprendre les paroles du
représentant russe Nebenzia, en quoi
bombarder les aérodromes d'un pays
luttant contre le terrorisme va aider à
la lutte contre le terrorisme, ce n'est
pas très clair ...
Pour sa part, le
ministère de la défense russe
envisage à nouveau la possibilité de
livrer à la Syrie et à d'autres Etats se
trouvant en difficulté le système de
protection aérien S300.
Le résultat de
cette opération est plus que mitigé.
A ce niveau, il n'est pas mitigé, il est
simplement déplorable. En ce qui
concerne la Syrie, ne supportant de voir
leur défaite et leur mise à l'écart du
processus de règlement politique, les
Etats-Unis aidés par les pays dont les
dirigeants en avaient le plus besoin sur
le plan intérieur, ont voulu reprendre
la main. Même si l'OTAN et l'UE les
soutiennent, car ils soutiennent la
position atlantiste, dans les pays
européens (et ailleurs), les forces
politiques se divisent.
La France a
remplacé l'Allemagne dans le coeur des
atlantistes et s'est allongée comme
une prostituée toute enjouée. La
Grande-Bretagne a désespérément besoin
d'un ennemi, rien de tel que la Russie,
pour faire oublier les scandales
intérieurs et la dégradation. D'une
manière générale, l'on assiste à la
dégradation du politique, car nos
populistes ont oublié que la politique
est une affaire de professionnels, pas
de business man, pas de la société
civile, mais de professionnels.
Sur le plan
intérieur, Trump a voulu sauver la
face sans faire réellement la guerre.
Il ne s'agit pas d'une action
d'envergure de plusieurs jours comme le
demandaient les militaristes, ni d'une
intervention au sol. Le conflit direct
avec la Russie fait peur, il ne veut pas
d'une guerre, Mattis non plus, mais veut
garder la face faute de pouvoir
réellement diriger ce pays, tenu par des
élites qui le rejettent. Il tente le
compromis à l'extérieur pour garder la
main sur la politique intérieure.
Que ce pari soit un pari gagnant, il y a
peu de chances. Qu'il tente de limiter
les dégâts à l'international en faisant
plus de gesticulations que de réelles et
dangereuses actions, oui. Mais il n'a
objectivement ni la force ni les moyens
de mettre en place une véritable
politique extérieure, il n'y a aucune
stratégie, seul de l'empêchement.
Le problème est que
le véritable ennemi reste la Russie, pas
la Syrie, ou les terroristes. Il faut
continuer à la discréditer pour
reprendre la main. Mais en
radicalisant le discours et le
comportement, l'Occident se discrédite
de plus en plus. Se renie.
Finalement,
c'est la fin d'un monde. Sans qu'un
nouveau ne soit arrivé. En effet, l'ONU
ou l'OTAN sont en échec. Mais l'on ne
change pas un système international
lorsque le conflit existe. Car même sans
tanks et avec de fausses attaques, le
conflit existe réellement. A la fin de
celui-ci, l'on pourra mettre en place un
nouvel ordre international. Pour
l'instant, les acteurs principaux se
battent pour gagner leur place dans un
hypothétique schéma à venir. Tout cela
semble d'autant plus chaotique qu'ils ne
savent pas ce qu'il sera. Mais sans
combat aujourd'hui, ils seront absents
demain.
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