Russie politics
Les leçons de Palmyre
Karine Bechet-Golovko
Lundi 12 décembre 2016
Palmyre est retombée entre les mains de
l'Etat islamique. Le coup porté, comme
le reconnaît à l'unanimité la presse
russe, est particulièrement dur en terme
d'image. Certainement plus que
militairement. Après le concert de la
paix, après les discussions sur la
reconstruction de la cité antique.
Effaçant immédiatement, dans les
esprits, la victoire d'Alep. Palmyre
rappelle une réalité presque violente
sous cet éclairage: on ne fait pas de
grande parade avant la fin de la guerre.
Mais comment "Palmyre" fut possible?
Alors que pendant le week end,
l'aviation russe aide efficacement
l'armée syrienne à repousser l'attaque
d'environ 500 terroristes de Daesh
contre
Palmyre, ceux-ci changent de
stratégie et se replient vers les
quartiers habités et les zones
historiques, que l'aviation ne peut pas
pilonner. Par ailleurs, de très
importants renforts, environ 5000
personnes, se regroupent sur différents
fronts et reprennent simultanément
l'attaque des hauteurs stratégiques, des
routes d'accès et finalement de la ville
elle-même. L'armée syrienne, devant
l'avancée des groupes terroristes,
évacue 80% de la population, les
réserves d'armes et les moyens
militaires stockés en vue de l'attaque
de Deir ez-Zor et Rakka. Hier soir, les
forces syriennes reconnaissent avoir
laissé la ville aux mains de l'Etat
islamique.
D'où viennent ces 5000 terroristes
sortis du désert?
Ils
viennent de différents points
géographiques, qui ont pour point commun
d'être soi-disant dans les zones de
combat de la coalition américaine.
Ils
viennent de Deir ez-Zor et Rakka, où la
coalition
américaine a décidé depuis une
semaine environ de lever le pied, avec
l'effet attendu. Ils viennent également
d'Irak, où l'on a vu environ 5000
combattants envoyé vers la Syrie.
Rappelons que
l'aviation américaine a, évidemment
par erreur, bombardé l'armée irakienne
qui combat justement à Mossul, faisant
90 morts et une centaine de blessés. Les
terroristes ont pu être très
efficacement exfiltrés. Le Plan B,
réalisé en urgence suite à la libération
d'Alep, a fonctionné à merveille.
Comment
ont-ils pu tranquillement traverser le
désert?
Pourtant, ce plan n' a pu fonctionné que
suite à une série d'erreurs, comme le
souligne la
presse russe . Ainsi, se pose la
question du renseignement: qui était
responsable du renseignement militaire?
Parce que faire traverser le désert, où
il est difficile de se cacher des
satellites ou des drones, avec armes et
bagages, blindés et autres véhicules et
artillerie lourde, sans se faire
remarquer, pose la question non plus de
l'efficacité du renseignement militaire
dans la zone, mais de son existence
même.
Et de
remarquer que le plus dangereux est
quand une certaine euphorie gagne les
troupes, lorsque l'on ne veut plus voir
certains faits, lorsqu'on les interprète
comme l'on aimerait et non comme il se
doit. Il est dangereux de célébrer la
victoire avant terme.
Palmyre est un symbole. Un symbole qui
est tombé. Il y aura certainement encore
une bataille pour la ville, il est même
possible qu'elle soit reprise et à
nouveau libérée, mais l'image ne sera
pas rétablie, elle est tombée avec la
ville. Il n'y a victoire qu'une seule
fois, c'est pourquoi il est souhaitable
qu'elle soit la dernière bataille.
Quelle
est cette stratégie "post-moderne"?
La
réaction de l'ancien chef d'état major
des forces armées russes (2004-2008), le
général Yuri Baluevsky, est très
révélatrice de la rupture stratégique
des guerres dites "post-modernes":
"C'est encore un coup porté au prestige,
notamment à notre prestige. Que les
combattants n'allaient pas arrêter le
combat, c'était évident. Mais ce que
nous faisons, nous, aujourd'hui, j'avoue
que, comme militaire, j'ai du mal à
comprendre, ces pauses humanitaires par
exemple ..."
En
effet, je ne me souviens pas de
corridors humanitaires lors de la
Seconde guerre mondiale, lors de la
guerre du Vietnam, lors de la guerre
l'Algérie ... de corridors par lesquels
les gentils ennemis pouvaient
sortir, être amnistiés, s'ils laissaient
leurs armes. Voire, pouvaient sortir
avec leurs armes.
Comme
l'expérience le montre, ils ne se
"dissolvent" pas d'eux-mêmes,
naturellement, dans le paysage, ils se
regroupent, reprennent les armes et
repartent évidemment au combat.
Le
mythe de la fin des guerres
"traditionnelles"
Ces
"corridors" et autres amnisties viennent
du mythe selon lequel, ces guerres ne
sont pas des guerres "traditionnelles",
car elles ne se déroulent pas entre
armées régulières d'états souverains,
mais entres des "civils qui ont pris les
armes" et des soldats. Donc, les
armées régulières n'ont pas le droit de
guerroyer de la même manière que contre
d'autres soldats.
On ne
tue pas l'ennemi, on négocie. On ne fait
pas de prisonniers, on ouvre des
corridors humanitaires. Puisqu'il s'agit
simplement de "civils", certes armés
jusqu'aux dents, mais de "civils",
certes qui savent se servir de
lance-missiles, de l'artillerie lourde,
mais des "civils". Le mythe de David
contre Goliath, même si nous sommes très
loin du lance-pierre.
Il
faut donc parlementer avec ces civils,
qui doivent, une fois revenus à la
raison, rentrer pacifiquement dans la
vie civile et s'occuper de leur famille
et de leur jardin.
Sauf
que ces "civils" sont des combattants
entraînés par des professionnels et que
beaucoup d'entre eux ne sont pas
syriens. Que ces combattants sont dans
une logique terroriste qui en fait
justement des "combattants" et non
d'innocents civils. Les innoncents
civils, eux, sont pris en otage par ces
groupes extrémistes pour se protéger de
l'armée.
Le
mythe des guerres "propres"
Pourtant, l'Occident a détourné les yeux
de ces simples réalités, car il préfère
se voiler la face avec le mythe des
guerres propres. Des guerres
technologiques, faites du ciel, avec des
drones et des jeux vidéos à quelques
milliers de km des opérations, des
guerres déshumanisées menées par un
Occident qui ne veut plus se salir les
mains.
Après
les horreurs de la Seconde guerre
mondiale (sans même parler du génocide,
l'on n'oubliera pas les milliers de
villes et villages brûlés, des
populations massacrées), après les
bombes atomiques lancée presque
gratuitement par les Etats Unis sur le
Japon, après le Napalm dans la guerre du
Vietnam et toutes le exactions contre
les populations civiles, après les
tueries de la guerre d'Algérie, l'on
veut des guerre propre, l'on ne veut
plus de guerre. Car une guerre, c'est
sale. Par essence. A la guerre on tue.
Les
populations ont besoin de se sentir
lavées, propres, totalement désinfectées
de ces époques "barbares", faites de
sang et de chair. Mais comme les
pouvoirs ne peuvent survivre sans
guerres, ils vendent des "guerres
propres" à des populations délavées
prêtent à ingurgiter pour avoir l'esprit
tranquille.
Ce
mythe n'est possible qu'avec un contrôle
total de l'information qui:
-
conditionne l'opinion publique à accepter les "erreurs" de
tirs comme des erreurs regrettables,
mais ne remettant pas en cause le
bien-fondé de l'action menée et
justifiée par leur société,
-
bloque toute possibilité d'une transparence de l'information
sur ce qui se passe réellement sur
le terrain.
Lorsque, plus tard, l'information passe,
le temps a passé. Les Etats Unis ont pu
faire un rapport sur la torture qu'ils
pratiquent, ils ont trouvé cela
regrettable, l'opinion publique a
applaudi à tant de transparence
démocratique, et la vie continue - et la
torture aussi. Et personne ne sait ce
qui se passe à Mossul, quand la campagne
russe se déroule sous caméras.
Le
problème de la Russie est qu'elle a fait
le choix des guerres "post-modernes"
avec corridors et pauses humanitaires,
tout en menant une véritable guerre
contre les terroristes sur le terrain,
sans pour autant maîtriser l'espace
médiatique, jouant réellement la carte
de la transparence. Par là-même, elle a
eu Palmyre et l'urgence de revoir sa
stratégie. Vue la réaction de la presse,
le message est passé.
Le sommaire de Karine Bechet-Golovko
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|