Le retour à la guerre froide oblige à la
suspension
de l'accord russo-américain sur la
destruction
du surplus de plutonium militaire
Karine Bechet-Golovko
Mardi 4 octobre 2016
En 2000, les Etats Unis et la Russie
signent un accord bilatéral les
obligeant à détruire le surplus de
plutonium enrichi issus de la guerre
froide, la normalisation des relations
est-ouest conduisant à l'inutilité d'un
potentiel nucléaire de cette ampleur. Il
ne s'agit pas de l'enterrer ou de le
mettre en attente, mais bien de le
détruire. Au fur et à mesure des années,
des protocoles additionnels et du virage
agressif de la politique extérieure
américaine, le contexte justifiant cet
accord a disparu. La Russie en a pris
acte, son exécution est suspendue, en
attendant que cette nouvelle guerre,
espérons froide, prenne à son tour fin.
Décision qui a provoqué la colère des
structures américaines, qui n'ont
pourtant toujours pas mis en œuvre cet
accord tel que négocié et officialisent
la dimension stratégique du conflit.
A
l'approche de l'hiver, un froid glacial
s'empare des relations américano-russes.
De provocations en cynisme, les Etats
Unis ont atteint leur but : la patience
pourtant légendaire de la Russie a
atteint les confins de l'acceptable pour
le pays et elle répond d'égal à égal.
Avec l'officialisation de la guerre
froide latente depuis 2014, lorsque la
Russie a osé faire prévaloir son intérêt
stratégique national sur la géopolitique
américaine à court terme, le monde
bipolaire est ouvertement réinstallé.
Ceci est le premier, et non le moindre,
des effets collatéraux de
l'irraisonnable politique internationale
américaine ces dernières années.
A
l'époque où la Russie ne prétendait pas
encore à la défense de ses intérêts
stratégiques à l'extérieur, un accord
bilatéral fut signé avec les Etats Unis.
Il prévoyait la destruction de 34 tonnes
de plutonium enrichi, ce qui correspond
à quelques milliers de têtes nucléaires,
de part et d'autres de l'Atlantique. Si
les accords initiaux prévoyaient la
possibilité d'enterrer une partie infime
de ce plutonium, dès 2010 de nouvelles
négociations conduirent à la décision de
la destruction de la totalité des 34
tonnes et de leur transformation à des
fins civiles. Pour cela, chaque pays
devait construire une usine spécialement
équipée. Les travaux en Russie eurent
lieux, ils trainèrent tant et si bien
aux Etats Unis, qu'ils n'en sont qu'au
stade de la discussion et la Caroline du
Sud ne voit toujours rien venir.
Finalement, les Etats Unis décident de
changer le mode de "destruction", à
savoir d'enterrer leur excédent de
plutonium. Ce qui est une violation
directe de l'accord. Lorsque ce plan est
présenté à la commission du Congrès,
celle-ci le qualifie de stupide et ne
voit pas pourquoi les russes devraient
l'accepter. En effet, ça ne passe pas.
Voir la vidéo :
Enterrer ce qui met plus d'un millier
d'année à disparaître n'est pas un
processus de destruction. Il suffit, au
moment voulu, de le ressortir et de
l'utiliser. Par oukase, le Président
russe a tout d'abord immédiatement
suspendu l'application de l'accord
bilatéral, car il n'a aucun sens s'il
est appliqué unilatéralement. La Russie
devrait détruire, seule, le plutonium,
réduisant d'autant sa capacité nucléaire
et créant de son plein gré un
déséquilibre au profit des Etats Unis,
qui eux vont simplement l'enterrer et
peuvent donc le réutiliser plus tard.
C'est un suicide que l'Etat russe
n'envisage pas.
Afin
de faire comprendre le message, le
Président V. Poutine a déposé un
projet de loi à la Douma expliquant
les conditions auxquelles la Russie
accepte de reprendre les négociations.
La lettre explicative l'accompagnant est
très claire à ce sujet, en voici un
extrait :
"Dans
la période ayant suivie l'entrée en
vigueur de l'accord bilatéral, les Etats
Unis ont pris toute une série de mesures
remettant en cause la situation sur le
plan de la stabilité stratégique.
Sous prétexte de crise en Ukraine, l'on
voit le développement de la présence
militaire des Etats Unis en Europe de
l'Est, notamment dans les pays qui ont
accepté des bases de l'OTAN après 2000,
date de l'entrée en vigueur de l'accord.
En 2015, il y a 6 nouveaux points
avancés de commandement des forces
militaires basées en Bulgarie, Lettonie,
Lituanie, Pologne, Roumanie et Estonie.
Leur but principal - assurer l'accueil
de forces supplémentaires de l'OTAN en
Europe de l'Est. Les forces militaires
américaines présentes dans les pays
baltes ont également été renforcées par
l'aviation sur les aérodromes de l'OTAN.
En Ukraine, des instructeurs venant des
Etats Unis forment les membres de
l'organisation interdite en Russie de
Secteur droit.
Parallèlement aux mesures prises pour
modifier l'équilibre des forces
militaires stratégiques, les Etats Unis
ont pris des mesures destinées à porter
atteinte à l'économie russe et aux
droits des citoyens russes. Notamment,
en 2012, les Etats Unis ont adopté la
loi dite Magnitsky, selon laquelle les
Etats Unis ont ouvertement pris le parti
de la criminalité économique en Russie
et en 2014 la loi concernant le soutien
apporté à la liberté en Ukraine, qui
prévoit une immixtion dans les affaires
intérieures de notre pays. Par ailleurs,
en 2014, les Etats Unis ont adopté des
sanctions à l'égard de la Fédération de
Russie, de certains de ses territoires,
de certaines personnes morales et
physiques."
Selon,
le texte du projet de loi, ces actions
prises par les Etats Unis ont totalement
changé la donne et justifient de jure
la suspension de l'accord bilatéral.
La réponse asymétrique avancée par la
Russie est tombée extrêmement juste,
évitant ainsi de tomber dans le piège de
la course à l'armement pour compenser un
déséquilibre artificiellement créé. De
plus, si la Russie stoppe le programme
de destruction du plutonium militaire,
elle interdit son utilisation dans un
but militaire. Il sera stocké en
attendant des jours meilleurs ... ou du
jour terrible où il risquerait d'être
nécessaire.
Le
ministre des affaires étrangères S.
Lavrov, a parfaitement complété
l'explication de texte : parler à la
Russie sur le ton de la menace et
collaborer avec elle uniquement lorsque
cela sert les intérêts des Etats Unis
n'est pas acceptable.
Ainsi,
si les Etats Unis se retirent
militairement de l'Europe de l'est au
niveau existant en 2000, annulent les
lois Magnitsky et sur le soutien de
l'Ukraine, annulent les sanctions prises
sans oublier de payer une compensation
pour le préjudice causé, dans ce cas, la
Russie est prête à reprendre les
négociations sur la destruction du
plutonium, à condition évidemment que
les Etats Unis remplissent réellement
leurs obligations.
Evidemment les
Etats Unis se sont déclarés choqués,
car ils remplissent toutes leurs
obligations et ont parfaitement
conscience du danger des armes
nucléaires. Il est vrai qu'ils sont les
seuls à en avoir une expérience
pratique. En plus du Japon, mais les
victimes semblent ne pas compter,
puisque les Etats Unis ont toujours
refusé de présenter leurs excuses
officielles - ou même officieuses. En
mesure de rétorsion, ils se retirent de
l'accord de coopération sur la Syrie,
accord que de toute manière ils
n'appliquaient pas et dont ils voulaient
sortir. Et pour continuer, ils accusent
la Russie de s'attribuer des mérites
qu'elle n'a pas dans la lutte contre le
terrorisme, car elle n'aurait atteint
aucun de ses buts.
L'ambassadeur russe à l'ONU qualifie
cette sortie de "manque de tact". C'est
le moins que l'on puisse dire.
Comment analyser la réaction des uns et
des autres ?
La
Russie, en verbalisant des conditions
aussi fortes, ce à quoi elle ne nous
avait pas habitué ces dernières années,
change sa stratégie diplomatique.
Elle prend acte d'un changement
géopolitique profond qui n'a rien de
conjoncturel. C'est pourquoi
l'élection américaine ne changera pas
a priori la donne ou une énième
conversation entre Lavrov et Kerry ne
règlera pas le conflit. Pour cela, il
faut revenir à un type de relations
non-conflictuelles. Ce qui implique la
levée des mesures de rétorsions prises
contre la Russie et le retrait militaire
au niveau auquel il se trouvait au
moment de la signature de l'accord.
Sans changement géopolitique, cet accord
n'a pas de sens.
Du
côté des Etats Unis, en se retirant de
l'accord de coopération sur la Syrie en
guise de réponse, ils confirment l'état
des lieux des relations internationales.
Le conflit entre la Russie et les
Etats Unis est officiellement porté sur
le plan stratégique et non conjoncturel.
Il ne pourra donc être résolu que par la
victoire ou le renoncement d'une des
parties. Donc, les jeux continuent.
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