Tunisie
Explosif : Noah Feldman est le père
spirituel de la constitution tunisienne
Karim Zmerli
Photo:
Johnny Hung
Samedi 11 janvier 2014
Il travaillait depuis novembre 2012 à la
rédaction d’un projet de constitution
pour la Tunisie. Son premier voyage à
Tunis, il l’a effectué avec Radwan
Masmoudi en septembre 2012, où il a
rencontré Rached Ghannouchi et un
certain nombre d’intellectuels dont
Iyadh Ben Achour et Hichem Djaït.
Disciple de John Esposito et admirateur
de Bernard Lewis, cet israélo-américain
est un défenseur connu de la cause
islamiste, depuis des années. Il a été
conseiller constitutionnel de
l’«Autorité provisoire de la coalition
en Irak », pour rédiger la constitution
de ce pays sous occupation et a joué le
même rôle en Afghanistan. Il a effectué
la même mission en Egypte, sous le
gouvernement éphémère des Frères
musulmans. Qui est Noah Feldman,
s’interrogeait hier radio Mosaïque FM.
Nous allons y répondre, comme tout bon
journaliste d’investigation qui se
respecte.
Tous le monde semble découvrir un
« intrus américain » pour certains, un
« espion du Mossad » pour d’autres,
alors que nous avons déjà évoqué, ici
même, ce nom depuis octobre 2012.
L’intrus a été dévoilé par le député
Mohamed Néjib Khila, qui a récemment
quitté l’Alliance démocratique. En
pleine séance de l’ANC, aujourd’hui 10
janvier 2014. Il s’est écrié : « Nous
avons vu hier le dénommé Noah Feldman,
un américain connu pour ses nombreux
écrits sur l’islam. Cet homme est en
réalité suspect et il a participé à la
constitution de l’Irak et de
l’Afghanistan. Je demande à tous mes
collègues députés de faire preuve de
vigilance dans leurs relations avec cet
homme » (voir vidéo en bas de cet
article).
Mohamed Néjib khila se trompe. L’homme
qu’il accuse a tout à fait le droit de
suivre les travaux de l’ANC. Sa présence
est même plus « utile » et plus
« légitime » que la sienne ou celle des
217 pantins de l’ANC. Et pour cause : sa
contribution à la constitution
tunisienne est bien plus importante que
celle des 217 pantins, qui s’accrochent
plus à leurs salaires qu’à leur honneur.
Il n’était donc pas à l’ANC comme simple
observateur ou invité, comme beaucoup
d’autres européens, mais comme principal
instigateur de la constitution. Il y
était aussi pour étudier, comme les
ethnologues occidentaux du XIXe siècle
étudiaient les sociétés primitives, les
« élus » du peuple tunisien en plein
débat « démocratique ». Qui est donc cet
homme, accusé de tous les péchés
d’Israël ?
Il est né en 1970 à Boston, au sein
d’une famille juive orthodoxe. Il a fait
des études islamiques à Oxford et des
études de droit à Yale. Son professeur
en études islamiques a été John Esposito,
un professeur qui aime beaucoup
l’islam…et l’argent ! Ouvertement
pro-islamiste depuis des années, il a
été aux Etats-Unis parmi les avocats les
plus acharnés des Frères musulmans, là
où ils se trouvent, de l’Egypte au
Pakistan, en passant par le Maghreb.
Dans son unique livre, Rached Ghannouchi
le cite comme « un fidèle compagnon qui
a rendu à l’islam des services plus que
beaucoup de musulmans ».
Son disciple, Noah Feldman, sera encore
plus « fidèle » à la cause islamiste
(voir les critiques de Martin Kramer sur
le site Sandbox). Plus exactement
islamo-sioniste, puisque M.Feldman a la
double nationalité américaine et
israélienne, et que son dévouement au
sionisme ne s’est jamais démenti, dans
tous ses articles publiés entre 2002 et
2010, dans le New York Times, le Wall
Street Journal, le Jérusalem Post et
Maariv.
Agé de 44 ans, Noah Feldman est
aujourd’hui professeur de droit à la New
York University of Law, membre de la
« New America Foundation » et membre du
« Council on Foreign Relations » (CFR),
qui est considéré comme l’un des think
tanks les plus influents en politique
étrangère américaines et dont le
financier et président a été dans les
années 1970 David Rockefeller. Pour
certains proches de la « John Birch
Society », le « Council on Foreign
Relations » serait contrôlé par « un
groupe de personnes issues des sociétés
secrètes d'étudiants des universités
Yale et Harvard : le Skull and Bones et
le Scroll and Key. Ces personnes, après
leur prétendue intégration dans un
groupe d'élite appelé « JASON Society »,
seraient élues par leurs pairs pour
constituer le comité exécutif du CFR. La
« John Birch Society » soutient que le
Conseil des relations étrangères se voue
à la formation d'un gouvernement
mondial. En 1980, l'un des membres du
Congrès des États-Unis, Larry McDonald,
a tenté de lancer une enquête
parlementaire sur le Conseil des
relations étrangères ainsi que la
Trilatérale ».
Auteur du livre « After Jihad : America
and the Struggle of islamic Democracy »,
Noah Feldman a écrit plusieurs articles
de presse dans lesquelles il ne
tarissait pas d’éloges pour ses amis
islamistes. Notamment son article « Islamists
Victory in Tunisia a win for Democracy »
(La victoire des islamistes en Tunisie
est une victoire pour la démocratie),
publié le 31 octobre 2011 sur son site
bloomberg, soit une semaine après les
élections truquées du 23 octobre, dans
lequel il dit : « Les démocrates
islamistes, comme le leader intellectuel
d’Ennahda Rached Ghannouchi, étaient
presque les seules voix de résistance au
régime dans les 20 dernières années…Les
islamistes reflètent les idéaux de la
démocratie et ce phénomène remonte à 20
ans, en Algérie ». C'est-à-dire avec le
très pacifique mouvement du FIS et son
très démocrate chef, Abbassi Madani ! En
sommes, Noah Feldman est la version
américaine d'un François Burgat ou d'un
Vincent Geisser.
Selon son adversaire et critique, Martin
Kramer, « Noah Feldman fait une fixation
bizarre sur l’islamiste gourou Rachid
Ghannouchi, en plaçant cette foi-ci la
barre très haute : Ghannouchi a émergé
comme la version islamique de Nelson
Mandela. Si cela est vrai, le monde
islamique serait totalement vissé. Mais
c’est juste une autre envolée romantique
et fantaisiste pro-islamiste de Feldman » ! Martin
Kramer réagissait à l’article que Noah
Feldman a publié sur son site bloomberg,
le 5 juillet 2013.
http://www.bloomberg.com/news/2013-07-05/don-t-blame-islam-for-the-failure-of-egypt-s-democracy.html
Ce qui est encore plus intéressant dans
le parcours de Noah Feldman, c’est le
rôle « constitutionnel » qu’il a joué en
Irak et auprès du Proconsul Paul Bremer.
Voici ce que disait la Direction
nationale du parti Baath socialiste
arabe, dans un communiqué du 12
septembre 2005 : « Aujourd’hui le
complot de diviser l’Iraq et d’effacer
son identité arabe est entré dans sa
phase cruciale et dangereuse par le fait
d’imposer une constitution séparatiste
étasunienne, basée sur le
confessionnalisme et le racisme, une
constitution écrite par le sioniste Noah
Feldman, alors que Paul Bremer, le
gouverneur civil, l’avait déclarée comme
base légale pour l’Iraq occupé ». Nous
savons depuis ce qui est advenu de
l’Irak : un pays qui décompte entre 30
et 100 morts par jours et dont les
richesses sont partagées entre les
Iraniens, les Américains et les
Israéliens.
Mais nous ne savons pas ce que le
penseur palestinien Edward Saïd avait
écrit dès 2003, dans Al-Ahram du 22 mai
2003, dans un article intitulé « La
condition arabe » : « Il a été annoncé
récemment dans la presse américaine que
de ses 32 ans, professeur adjoint de
droit, Noah Feldman, de l'Université de
New York, serait responsable de la
production d'une nouvelle constitution
irakienne. Il a été mentionné dans tous
les comptes rendus des médias de ce
grand rendez-vous que Feldman était un
expert extraordinairement brillant dans
la loi islamique, avait étudié l'arabe
depuis qu'il avait 15 ans, et a grandi
comme un Juif orthodoxe. Mais il n'a
jamais pratiqué le droit dans le monde
arabe, jamais été en Irak, et ne semble
pas avoir l’expérience pratique réelle
dans les problèmes de l'après-guerre en
Irak. Quel camouflet non seulement pour
l'Irak lui-même, mais aussi pour les
légions de juristes arabes et musulmans
qui auraient fait un travail tout à fait
acceptable dans le service de l'avenir
de l'Irak. Mais non, l'Amérique veut le
faire par un jeune homme frais, de
manière à être en mesure de dire, "nous
avons donné à l'Irak sa nouvelle
démocratie". Le mépris est assez épais à
couper au couteau »
http://weekly.ahram.org.eg/2003/639/op2.htm
Puisque nous avons évoqué l’Iran, il
convient de rappeler que Noah Feldman a
écrit un article fort intéressant, qui a
été publié dans l’International Herald
Tribune, le 28 octobre 2006, sous le
titre évocateur de « Weighing the threat
of an Islamic A-bom » (Mesurer les
risques d’un bombe A islamique). Nous
allons laisser le soin à Alain Gresh,
qui est pourtant aussi pro-islamiste que
Noah Feldman, de le commenter, dans
l’article qu’il avait publié à l’époque
(le 29 octobre 2006) dans Le Monde
Diplomatique : « Etrange texte en
vérité : il est à la Une du journal (on
notera que sur le site du journal, le
texte a un autre titre : « Nuclear
holocaust : A risk too big even for
martyrs ? ») et il n’est pas l’œuvre
d’un journaliste puisque Noah Feldman
est professeur de loi à l’université de
New York et un membre du Council on
Foreign Relations, un important think-tank
américain. Il est exceptionnel de voir
un article d’un non journaliste faire la
Une du Herald. Mais ce qui frappe le
plus c’est l’argumentation utilisée et
la manière de débattre de la
prolifération dans la région. En
laissant entendre que les dirigeants
d’un Etat islamique (concept qui n’est
jamais vraiment défini) pourraient
fonctionner selon des logiques
suicidaires, l’article apporte une
contribution à l’argumentation de
l’administration Bush en faveur d’un
bombardement de l’Iran et de ses sites
nucléaires »
http://blog.mondediplo.net/2006-10-29-L-etrange-concept-de-bombe-atomique-islamique
Après son œuvre civilisationnelle en
Irak, terre originelle de la
civilisation universelle, notre
constitutionnaliste-ethnologue ira
expérimenter sa science islamologique et
sa recette de l’islam compatible avec la
démocratie libérale en Afghanistan. Il y
passera trois mois et laissera à ce
pays, qui a connu la modernité dans les
années 1960, une constitution qui
satisfait aussi bien les Talibans que
les pions que les Américains ont placés
au pouvoir, après l’assassinat du
commandant Massoud et l’invasion de
l’Afghanistan.
Mais c’est le « printemps arabe » qui
donnera au professeur Noah Feldman
l’occasion de généraliser sa recette
constitutionnelle. Il agira
simultanément en Egypte, en Libye et en
Tunisie, où il se rendra pour la
première fois en septembre 2012, en
compagnie du mercenaire Radwan Masmoudi,
et où il rencontrera Rached Ghannouchi,
l’ami de John Esposito, ainsi que Hichem
Djaït et Iyadh Ben Achour. C’est en
tombant sur le site et sur la page
facebook de Martin Kramer que nous avons
découvert cette information. Cet
écrivain américain, qui traque
l’activisme islamiste de Noah Feldman,
écrivait à l’époque ce statut sur sa
page facebook « Donc, Noah Feldman de
l'Université Harvard est à Tunis, à
distribuer des conseils à Rachid
Ghannouchi… »
http://www.martinkramer.org/facebook/2012/09/15/so-harvards-noah-feldman-is-in-tunis-dishing-out-advice-to-rashid-ghannouchi-e/
Il ne s’est pas contenté de donner
quelques conseils au chef des Frères
musulmans tunisiens, mais il lui a remis
un projet clef en main de la future
constitution tunisienne. Selon un membre
de l’ANC, élu sur la liste d’Ennahda,
qui veut aujourd’hui soulager sa
conscience, la rencontre a eu lieu au
domicile de Rached Ghannouchi, le 18
septembre 2012, en présence de Radwan
Masmoudi, Saïd Ferjani, Rafik Bouchlakha
et Noureddine Bhiri, un membre actif de
Freedom House. C’est ce jour-là que Noah
Feldman, remettra à Rached Ghannouchi un
projet de constitution en arabe et en
anglais, à titre
« d’ébauche d’inspiration », lui dira
t-il. Mais, Feldman reviendra à Tunis
fin août 2013, pour rencontrer d’urgence
Rached Ghannouchi, pour lui remettre un
autre projet, qui n’est plus une
« ébauche d’inspiration», mais un projet
dont il faudrait absolument tenir
compte. Que s’est-il passé entretemps ?
Le changement inespéré et brutal en
Egypte, bien évidemment.
C’est que les employeurs de Noah Feldman
ne pouvaient plus se permettre de perdre
la face en Tunisie, laboratoire
expérimental du « printemps arabe »,
après avoir essuyé un humiliant revers
au pays de Nasser. L’Egypte, où Noah
Feldman contribuait de très près à la
rédaction de la future constitution des
Frères musulmans. Mais le sursaut
patriotique du peuple égyptien a mis fin
aux menées subversives de ce professeurs
aux multiples facettes, fonctions et
missions ! On apprendra plus tard, sur
le site francophone « Bonjour Egypte »
que la vice-présidente du parquet
administratif, la conseillère Noha el-Zeiny,
a affirmé que « le sioniste Noah Feldman,
professeur de droit à l’Université de
Harvard, qui avait participé à la
rédaction de la constitution, est un
espion israélien ». Et à la magistrate
égyptienne, qui a été convoqué par le
juge d’instruction Magdi Hussein
Abdelkhalek, en octobre 2013, pour
témoigner, d’ajouter cette information
capitale pour nous, les Tunisiens : « Feldman
a fait la navette entre le Caire, Tunis,
Tripoli et Ankara. Ils conseillaient les
Frères musulmans de ces pays pour le
compte d’Israël et des Etats-Unis
d’Amérique. Avec deux autres jeunes
personnes qui l’accompagnaient, il
s’occupait des constitutions en cours de
rédaction ». http://bonjouregypte.com/news.php?id=16024
Pour comprendre la pensée très
sophistiquée du professeur Noah Feldman,
ainsi que les visées de ses employeurs,
voici un article qu’il a signé dans le
New York Times, le 13 novembre 2013 :
"Dans son remarquable discours de la
semaine dernière, George W. Bush a
reconnu soixante ans d’erreurs
américaines et a annoncé une nouvelle
politique, encourageant la démocratie
plutôt que la dictature dans le monde
musulman. Il a cependant négligé de
mentionner que beaucoup de musulmans
choisiront des régimes tournés vers
l’islam plutôt qu’un régime séculier,
comme le démontre le cas de la
constitution afghane, qui intègre les
valeurs islamique autant qu’elle
garantie les libertés basiques. Cette
constitution soulève la question de la
compatibilité de l’islam avec la
démocratie et les Droits de l’homme".
"Les trois premiers articles de la
constitution afghane font du pays une
république islamique, de l’islam la
religion officielle et prévoient un
contrôle par la Cour suprême de la
compatibilité des lois avec les valeurs
de l’islam. Le nouveau drapeau fait
référence au credo de l’islam et l’école
a pour vocation d’éliminer les
traditions contraires à l’islam. Dans le
même temps, la constitution est
démocratique, garantie les droits des
citoyens et s’engage à respecter les
droits garantis par les traités
internationaux dont l’Afghanistan est
signataire. Notamment, la convention sur
l’élimination de toute forme de
discrimination contre les femmes (ces
dernières doivent d’ailleurs occuper au
moins 16,5 % des sièges de la chambre
haute afghane). La constitution
reconnaît aux croyants d’autres
religions le droit d’exercer leur foi.
Ce texte comporte encore des tensions
que la Cour suprême devra trancher comme
l’obligation des partis politiques à se
doter d’un programme compatible avec
l’islam ou la constitutionnalité de la
loi demandant aux femmes de s’« habiller
modestement ». La constitution afghane
est une chance de promouvoir une
démocratie islamique. Les États-Unis et
l’ONU doivent soutenir le gouvernement
politiquement et économiquement pour
qu’elle ne reste pas qu’un symbole. Les
régimes autocratiques séculiers dans les
pays musulmans ne doivent pas être
soutenus au dépend des démocraties
islamiques. Il ne faut pas imposer la
sécularisation en Afghanistan et en
Irak, pays dans lequel il faut démontrer
que la Coalition laissera les Irakiens
se gouverner eux-mêmes »
http://www.voltairenet.org/article11099.html
Ce que le professeur Noah Feldman dit de
la constitution afghane et de la
« démocratie » afghane, vaut pour la
constitution tunisienne et la
« démocratie » tunisienne. Il nous reste
à espérer que ce beau modèle
démocratique, imposé à la Tunisie, ne
produise pas les mêmes conséquences
tragiques qu’en Afghanistan et en Irak.
En priant Allah et en invoquant la
bénédiction du saint prophète, Noah
Feldman, auteur de notre nouveau Coran
constitutionnel, nous échapperons
peut-être au sort que le peuple irakien
a subi !!!TunisieSecret
Karim Zmerli
Copyrith (c) 2012 Tunisie Secret
Publié le 16 janvier 2014
Le dossier
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