Al Jazeera
Israël bloque l’accès à ses archives
Jonathan Cook
Jeudi 16 juin 2016
Jérusalem - Israël
bloque l’accès à des millions de
documents officiels pour empêcher que la
lumière ne soit faite sur les périodes
les plus sombres de son histoire,
affirment des militants de droits
civiques et des universitaires, alors
que les archives étatiques du pays sont
informatisées.
Ils affirment que des officiels du
gouvernement dissimulent au public des
documents vitaux, indispensables à la
recherche historique, souvent en
violation de la loi israélienne, afin de
protéger l’image d’Israël.
L’armée israélienne prétend depuis
longtemps être l’armée « la plus
morale » du monde.
L’accusation d’intensifier la
politique du secret est venue ternir la
semaine de célébration du 49e
anniversaire de la guerre de 1967, grâce
à laquelle Israël a pris et occupé la
péninsule du Sinaï, la bande de Gaza, la
Cisjordanie et le plateau du Golan.
Beaucoup des dossiers dont l’accès
est refusé portent sur cette guerre et
sur les premières années du régime
militaire israélien imposé aux
Palestiniens de Jérusalem, de
Cisjordanie et de Gaza.
Menachem Klein, professeur de
politique à l’université Bar Ilan, près
de Tel Aviv, a dit que les chercheurs
avaient besoin de ces documents pour se
faire une image plus claire des
événements survenus il y a 50 ans, des
objectifs des décideurs, et des
violations des droits de l’homme. « Nous
avons progressivement réussi à faire la
lumière sur une partie de ce qui est
arrivé en 1948 [la guerre qui a créé
Israël], mais il y a encore très peu de
matière disponible pour nous aider à
comprendre la guerre de 1967, » a-t-il
déclaré à Al-Jazeera.
« Toute l’histoire de la
société israélienne et de son conflit
avec les Palestiniens se trouve dans les
archives. Il est impossible de
comprendre et d’analyser cette histoire
sans accès aux documents ». Lior Yavne,
co-auteur du rapport Akevot
Dans le cadre des commémorations de
cette semaine, les Archives de l’Etat
hébreu ont publié des témoignages de
commandants militaires de 1967.
Cependant, les médias locaux a noté que
des pages entières avaient été censurées
pour des « raisons de sécurité ».
Néanmoins, des documents déclassifié
ont permis des découvertes révélatrices.
On y a trouvé des paroles d’Uzi Narkiss,
qui dirigeait le commandement central de
l’armée à l’époque, suggérant que lui et
d’autres commandants espéraient nettoyer
ethniquement la plus grande partie du
territoire sous couvert des combats. Il
a dit à ses collègues officiers : « Dans
les trois jours qui viennent, nous
allons chasser tous les Arabes de
Cisjordanie ».
La campagne pour ouvrir au public les
archives d’Israël est dirigée par
l’Institut Akevot, un groupe israélien
de défense des droits humains, des
avocats et des chercheurs qui tentent de
documenter l’histoire du conflit
israélo-palestinien. Dans leur nouveau
rapport, le point sur l’accès aux
archives, ils notent que seulement 1 %
des 400 millions de pages de documents a
été rendu public.
La plupart des fichiers auraient dû
être accessible au bout de 15 ans. Dans
de nombreux cas, selon Akevot, le statut
« classifié » des documents a expiré,
mais ils n’ont toujours pas été rendus
public. Les motifs du refus d’accès sont
rarement donnés.
Dans d’autres cas, des documents qui
ont déjà été déclassifiés - certains
d’entre eux, il y a des décennies - ont
été scellés à nouveau et sont maintenant
indisponibles.
En dépit du renforcement du secret,
des crimes de guerre historiques sont
dévoilés.
En mars, le plus grand massacre connu
des Palestiniens par l’armée israélienne
pendant la guerre de 1948 qui a fondé
Israël, et que les Palestiniens
appellent al-Naqba - a été révélé, en
dépit des efforts officiels pour cacher
cette monstruosité depuis près de 70
ans.
Ce qui a mis fin au secret, c’est la
publication de la lettre d’un soldat
dans le journal Haaretz, détaillant
l’exécution de centaines de
Palestiniens, hommes, femmes et enfants
dans le village de Dawaymeh, près
d’Hébron. « Toute l’histoire de la
société israélienne et de son conflit
avec les Palestiniens se trouve dans les
archives, » a déclaré Lior Yavne,
co-auteur du rapport, à Al-Jazeera. « Il
est impossible de comprendre et
d’analyser cette histoire sans y avoir
accès. » Et il a ajouté : « Dans la
pratique, la plupart des archives
d’Israël sont définitivement fermées. »
Selon Akevot, Israël a mis en place
un nouveau programme pour faire des
copies numériques des fichiers papier
existants pour augmenter leur
protection.
Les Archivistes sont actuellement en
train de scanner et de télécharger les
documents pour créer une base de données
complète - un projet qui est susceptible
de prendre plus de 25 ans. Le site des
Archives est entré en service en avril.
Cependant, le caractère public de la
base de données signifie que des
centaines de milliers de dossiers de
sécurité nationale ont été soumis pour
la première fois à un organisme officiel
qui joue le rôle de censeur militaire.
Jusqu’à présent, ses pouvoirs avaient
été principalement limités à la
surveillance des médias israéliens,
selon Yavne.
Selon le rapport, le censeur refuse
d’ouvrir au public un grand nombre de
documents, il en caviarde d’autres et il
reclasse en documents secrets de
nombreux documents qui étaient
auparavant accessibles aux chercheurs.
L’accès de dizaines de milliers de
fichiers, en attente d’être examinés et
dont le nombre ne cesse d’augmenter, a
été également interdit aux chercheurs,
selon Akevot.
Les demandes d’accès aux documents
peuvent se voir refusées si elles
risquent de nuire à la sécurité
nationale, aux relations internationales
ou à la vie privée. Selon Yavne, l’accès
aux dossiers dont le délai de protection
a expiré est régulièrement refusé sans
appui légal. Il semble que des dossiers
demeurent inaccessible quand des
officiels craignent qu’ils ne « mettent
en lumière des violations des droits de
l’homme ou ne révèlent des affaires
sordides. »
Le rapport note que les dossiers
concernant les décisions
gouvernementales appartiennent au
public, mais sont traités comme « un
secret qui doit lui être caché ».
La tendance actuelle à la
dissimulation contraste avec l’ouverture
d’une partie des archives de la guerre
de 1948, à la fin des années 1980.
Une poignée d’historiens israéliens,
notamment Benny Morris, Ilan Pappe et
Avi Shlaim, avaient alors révélé qu’une
grande partie de l’histoire officielle
d’Israël de la fondation de l’Etat était
fondée sur des informations erronées.
Ces « nouveaux historiens » avaient
réuni les preuves de massacres à grande
échelle de Palestiniens, de viols et
d’expulsions forcées. Ils avaient
également montré que des assomptions
courantes sur la guerre – comme par
exemple que c’étaient leurs dirigeants
qui avaient ordonné aux Palestiniens de
fuir – avaient été inventées plus tard
par Israël pour échapper aux critiques
internationales.
Un universitaire israélien, Shay
Hazkani, estime qu’au moins un tiers des
documents relatifs à la guerre de 1948,
qui avaient été déclassifiés, ont été à
nouveau scellés. Étant donné le grand
nombre de documents, beaucoup d’entre
eux n’avaient pas encore êté examinés
par les chercheurs.
Nur Masalha, un historien palestinien
basé au Royaume-Uni qui a révélé des
preuves, puisées dans les archives
israéliennes, d’une politique
d’expulsion, ou de « transfert », de
Palestiniens entre 1948 et 1967, a
déclaré à Al Jazeera que l’interdiction
d’accéder aux documents faisait partie
d’un plus large système de répression en
Israël.
Elle reflète, selon lui, l’inquiétude
croissante d’Israël qu’on fasse le lien
entre son passé et les atrocités dont le
pays se rend coupable aujourd’hui.
« Israël fait face à une condamnation
internationale croissante pour ses
crimes de guerre à Gaza, au moment où
les Palestiniens, y compris ceux qui
vivent en Israël, se montrent de plus en
plus déterminés à attirer l’attention
sur la Nakba. »
Certains des dossiers les plus
classifiés - qui sont sous les verrous
depuis 70 ans - devraient normalement
être ouverts au public dans moins de
deux ans. Cela tournerait les
projecteurs vers les événements les plus
controversés de la fondation d’Israël.
Or, selon Akevot, on ne voit aucun signe
que les agences de sécurité les plus
secrètes d’Israël, le service de
renseignement du Shin Bet et l’agence
d’espionnage du Mossad, se préparent à
ouvrir leurs archives.
Le rapport indique que l’accès aux
archives « sera probablement refusé »
dans le proche avenir. Selon Yavne, le
Shin Bet a déjà ignoré son engagement à
rendre accessibles une partie de ses
archives au bout de 50 ans.
Ces documents mettraient en lumière
la politique du Shin Bet dans les
premières années de l’État, quand un
cinquième de la population d’Israël
appartenant à la minorité palestinienne
a été placée sous un gouvernement
militaire.
Des détails sur cette période serait
embarrassants à la fois à cause des
violences subies par les Palestiniens
sous le régime militaire et aussi parce
que ce modèle de gouvernement militaire
a ensuite été exporté dans les
territoires occupés, selon Klein.
Les documents d’archives pourraient
mettre en évidence les pratiques de
détention et de torture du Shin Bet, la
manière dont il piège et fait chanter
les Palestiniens pour les contraindre à
devenir informateurs, et la manière dont
il harcèle les dirigeants palestiniens.
« Le Shin Bet a toujours fonctionné en
dehors de la loi », a-t-il dit.
Le bureau du premier ministre
israélien, qui supervise les archives et
le Shin Bet, a refusé de faire un
commentaire.
Yavne dit que Akevot, qui a été créé
il y a 18 mois, aide les universitaires
et les chercheurs qui ont souvent peur
de protester contre les restrictions
croissantes. Selon lui, « ils craignent
de se voir encore plus restreindre
l’accès aux archives s’ils critiquent la
politique d’archivage ».
Il a ajouté que Akevot était en train
de créer une base de données alternative
de documents pour aider les chercheurs à
comprendre l’histoire du conflit
israélo-palestinien.
Parmi les documents top-secrets
récemment mis au jour par le groupe il y
en a un qui fait état d’un ordre du
gouvernement, immédiatement après la
guerre de 1967, de supprimer la ligne
verte marquant la frontière
internationalement reconnue d’Israël de
toutes les cartes utilisées dans les
écoles israéliennes.
Klein a déclaré que le but était
« d’enraciner dans l’esprit des
Israéliens l’idée que les territoires
palestiniens occupés faisaient partie
d’Israël » pour qu’il devienne très
difficile de les rendre aux
Palestiniens.
D’autres documents classifiés de
l’époque montrent que le principal
conseiller d’Israël sur le droit
international, Theodor Meron, a prévenu
les autorités que les Conventions de
Genève s’appliquaient au comportement
d’Israël dans les territoires occupés.
Or Israël a toujours nié publiquement
qu’il était lié par ces conventions. Il
y a eu une série de révélations
similaires sur la guerre de 1948.
En janvier, Haaretz a rapporté que
les Archives refusaient toujours l’accès
à la transcription d’une réunion du
cabinet en 1949 où les ministres avaient
discuté de la profanation généralisée
des églises de l’année précédente.
La discussion, cependant, a pu être
reconstruite à partir d’autres sources.
Il est écrit que le ministre des
Affaires étrangères de l’époque, Moshe
Sharett, avait dit que les soldats
israéliens s’étaient comporté « comme
des sauvages », en déféquant dans les
églises et en volant des icônes. Sharett
a suggéré de verser une grosse indemnité
au Vatican pour « acheter son silence ».
Le correspondant militaire israélien,
Amir Oren, a récemment écrit qu’on avait
trouvé dans les archives la preuve que
la vague actuelle d’exécutions de
Palestiniens par des soldats israéliens
n’était pas un phénomène nouveau.
Selon Oren, la guerre de 1948, « a
présenté le catalogue des assassinats,
des viols, des pillages et du mépris de
la vie humaine » de l’armée israélienne.
Jonathan Cook
Traduction : Dominique Muselet
Source:
»» http://www.aljazeera.com/news/2016/06/israel-blocking-access-archives-...
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