Palestine
Le « Sentier biblique » israélien :
démolir des habitats palestiniens pour
créer des parcs nationaux
Jonathan Cook
Un abri
palestinien en train d’être démoli près
de la vieille ville de Jérusalem,
dans une zone décrétée parc national
(AFP)
Vendredi 15 avril 2016
Des milliers
d’habitants de Jérusalem-Est sont pris
dans ce piège urbanistique, et les
critiques accusent la municipalité de se
servir du patrimoine et du tourisme pour
permettre aux colons de s’approprier du
territoire.
JÉRUSALEM – Sur
la carte des projets d’urbanisme de
Jérusalem, la vue aérienne de la maison
d’Aref Totanji est masquée par de
l’encre verte : elle est incluse dans
une bande colorée qui encercle les murs
de la vieille ville de toutes parts.
Au cours des dix
dernières années, ces zones colorées ont
proliféré sur la carte de Jérusalem-Est,
créant un patchwork qui engloutit de
plus en plus de quartiers palestiniens
proches de la vieille ville.
Cette encre verte
semble inoffensive sur le papier, mais
pour Aref Totanji, âgé de 50 ans, elle
signale l’arrivée imminente de
bulldozers qui viendront détruire sa
maison à un étage, poussant ainsi à la
rue cette famille de seize personnes,
dont la petite-fille d’Aref âgée de 7
mois.
Tandis que les
autorités israéliennes donnent le statut
de « parcs nationaux » à des zones
résidentielles, des milliers de
Palestiniens vivant dans des quartiers
surpeuplés près de la vieille ville de
Jérusalem se retrouvent pris au piège
dans un même cauchemar urbanistique.
Les urbanistes et
les groupes de défense des droits de
l’homme accusent les autorités
israéliennes de se servir de plus en
plus de ces parcs comme d’un outil
permettant de s’approprier le contrôle
des terres palestiniennes et de démolir
des habitations sous le prétexte de la
préservation archéologique et du
développement du tourisme.
Enass Masri,
chercheuse de terrain au service de
Bimkom, un groupe d’urbanistes qui
aident les Palestiniens à négocier les
conditions du plan d’urbanisme
labyrinthique d’Israël, a déclaré que
l’objectif des parcs nationaux
israéliens était de préserver les
espaces verts et les sites patrimoniaux,
mais que cette politique avait mal
tourné.
« Il n’y a qu’à
Jérusalem-Est que les parcs nationaux
couvrent des zones résidentielles,
a-t-elle affirmé à Middle East Eye.
Il est monstrueux de pousser ces
familles à vivre dans la misère. »
Nulle part où
aller
Une décision de
justice rédigée en hébreu – langue qu’Aref
Totanji ne comprend pas – réclamait que
sa famille vide sa maison de quatre
pièces pour le 10 avril. Il a perdu en
appel le mois dernier.
« Ce n’est pas
seulement une maison qu’on détruit, mais
toute ma vie, a-t-il confié à MEE.
« Quand les soldats
sont venus récemment pour m’avertir que
je devais déplacer mes affaires avant le
début des travaux de démolition, je leur
ai demandé : ‘’Où est-ce que je suis
censé les emmener ? Nous n’avons nulle
part où aller’’. »
Selon Bimkom, la
municipalité de Jérusalem avait tenté de
transférer le contrôle d’un nombre
croissant de quartiers palestiniens à ce
qui semblait être une agence
environnementale connue sous le nom de
Direction israélienne de la nature et
des parcs.
Cela a eu des
conséquences désastreuses pour les
Palestiniens qui vivaient dans ces
parcs, a avancé Enass Masri, car ce
processus permet de mieux s’assurer que
les démolitions auront lieu.
Une telle perte de
terrain à Jérusalem-Est au profit des
parcs nationaux revient à priver les
Palestiniens de tout espoir de logement
pour la prochaine génération.
Jeff Halper, membre
du Comité israélien contre les
démolitions d’habitations, a déclaré à
MEE que « les parcs nationaux
sont un excellent moyen pour Israël de
dissimuler ses véritables intentions.
Ils sont perçus comme une chose
positive : ils sont écologiques et ne
font de mal à personne.
« Il est bien moins
facile de se rendre compte qu’ils
freinent le développement de la
communauté palestinienne, qu’ils
fragmentent l’espace résidentiel des
Palestiniens et qu’ils viennent
justifier la démolition d’habitations. »
Ouvrir la voie
pour le « Sentier biblique »
Quelque treize
autres familles vivent aux côtés d’Aref
Totanji dans le district de Sawaneh,
tout près du quartier palestinien de
Wadi al-Joz. Il y a seulement deux ans
qu’on a découvert qu’ils vivaient dans
les limites du parc des Murs de
Jérusalem, bien que celles-ci aient été
officiellement tracées il y a quarante
ans.
C’était le premier
parc à avoir été déclaré suite à
l’occupation de Jérusalem-Est par Israël
en 1967, en violation du droit
international.
Mais ce n’est que
l’an dernier que les habitants se sont
rendu compte que les autorités
israéliennes manifestaient de l’intérêt
pour leur quartier. Des études ont été
menées régulièrement, et des inspecteurs
ont émis l’ordre de vider les lieux.
Les voisins d’Aref
Totanji, Noureddine et Charif Amro –
deux frères aveugles – ont subi la
démolition partielle de leur habitation
l’année dernière, et notamment d’une
cuisine, d’un salon, d’un mur du jardin
et d’un poulailler. Des câbles
électriques et des conduits d’évacuation
ont également été endommagés.
Toutes les familles
ont reçu l’avertissement qu’elles se
trouvaient sur le tracé du projet de
« Sentier biblique », qui suit la limite
orientale du parc des Murs de Jérusalem.
Le terrain sur
lequel les habitations sont bâties est
la propriété privée de deux familles
palestiniennes.
Il n’a pas été fait
état de la présence de vestiges
archéologiques, que ce soit sous les
maisons de Sawaneh ou dans le vaste
espace vert situé à proximité, qui se
retrouve également dans les limites du
parc national.
Les familles
soupçonnent les autorités de s’en
prendre à leur quartier maintenant car
celui-ci comprend le plus grand parking
accessible à pied depuis la vieille
ville. Ce parking sert aux cars qui
transportent les milliers de
Palestiniens venant prier à la mosquée
al-Aqsa le vendredi.
Noureddine Amro,
directeur d’une école pour non-voyants à
Jérusalem, a affirmé que la Direction
des parcs semblait plus intéressée par
le développement à Sawaneh de ce qu’il a
qualifié de « tourisme colonial ».
« Les autorités se
préparent à créer ici un réseau de
sentiers et de centres touristiques afin
d’établir le lien entre les quartiers
colonisés et la vieille ville, a-t-il
soutenu. Les colons aimeraient bien
récupérer ce quartier. »
Il a remarqué au
passage que les groupes de colons
extrémistes avaient ouvertement
émis le souhait de détruire la
mosquée al-Aqsa, située dans la vieille
ville, et de la remplacer par un temple
juif.
S’emparer
d’habitations
Les habitations de
Sawaneh sont situées dans une vallée en
contrebas du Mont des Oliviers, à la
pointe nord de la Vallée de Gethsémani,
où Jésus aurait prié avec ses disciples
la nuit précédant sa crucifixion.
Les projets
touristiques proposés par les résidents,
qui comprennent la construction d’un
hôtel sur le site, ont été sommairement
refusés, selon les familles.
« Le problème, ce
n’est pas vraiment le tourisme, mais ce
type de tourisme qui nous force à
quitter nos maisons », s’est plaint
Noureddine Amro.
Les habitants
vivent non loin du quartier palestinien
de Silwan, situé dans ce même parc des
Murs de Jérusalem. Là-bas, des colons
ont reçu l’autorisation de s’emparer des
habitations et de creuser le sol en
dessous et autour des maisons pour en
faire un parc archéologique appelé la
Cité de David.
Silwan est
également devenu une poudrière où des
conflits éclatent régulièrement entre
d’un côté les résidents palestiniens, et
de l’autre les groupes de colons et la
police israélienne.
Les habitants de
Silwan affirment que les autorités
israéliennes aimeraient prendre
complètement le contrôle du quartier car
leurs maisons sont attenantes aux murs
situés en contrebas de la mosquée al-Aqsa.
Des intentions
secrètes
Le but de la
Direction des parcs, selon son site
internet, est « de protéger la nature et
les sites du patrimoine et d’en prendre
soin dans l’intérêt public ».
Dans un
rapport publié en 2012, Bimkom a
remarqué que la déclaration
d’établissement d’un parc national était
« une mesure extrême [qui] ne devait
être appliquée que dans des cas précis
où les questions de patrimoine naturel
ont une priorité absolue ».
Cependant, Enass
Masri a affirmé que la municipalité de
Jérusalem avait préféré transférer ses
espaces verts et ses quartiers
palestiniens à la Direction des parcs,
voyant là un moyen de contourner les
règles habituelles de l’urbanisme.
En tant
qu’organisme national, la Direction des
parcs n’est pas obligée de prendre en
compte le bien-être des habitants de
Jérusalem-Est dans ses décisions.
Elle a aussi le
pouvoir d’expulser des Palestiniens sans
avoir à confisquer leurs terres, évitant
ainsi des procès pour des questions de
propriété et les demandes de
compensation financière qui les
accompagnent.
Le recours à des
justifications environnementales ou
touristiques pour démolir des foyers
palestiniens ou limiter leur
développement a également moins de
chances de susciter les critiques de la
communauté internationale.
Samer Ercheid,
avocat représentant les familles de
Sawaneh, a déclaré que l’accès aux plans
directeurs avait été refusé aux
quartiers palestiniens de Jérusalem,
rendant ainsi impossible l’obtention de
permis de construire. Cela place les
familles résidant à l’intérieur des
parcs nationaux dans une situation
particulièrement difficile.
« La Direction des
parcs fait preuve d’agressivité pour
pousser à la destruction de ces
habitations, et il est bien plus
difficile d’espérer retarder ou annuler
les ordres de démolition », a affirmé
Samer Ersheid à MEE.
En lien avec les
colons
Les liens étroits
qui unissent la Direction des parcs et
les principaux groupes de colons sont un
secret de Polichinelle.
Shaul Goldstein,
ancien responsable du vaste groupe de
colonies de Goush Etzion en Cisjordanie,
est le directeur de cette organisation
depuis 2011.
À la tête du bureau
de Jérusalem de la Direction des parcs
se trouve Evyatar Cohen, ancien
haut responsable d’Elad, la
principale organisation de colons en
activité à Silwan.
« Selon cet
arrangement, les colons deviennent des
employés de la Direction des parcs, ce
qui leur donne toutes sortes de pouvoirs
supplémentaires, en toute indépendance
du gouvernement, de la municipalité ou
de la police, a expliqué Jeff Halper.
« La création de
projets touristiques dans ces parcs
nationaux, a-t-il ajouté, est également
un moyen très efficace de mobiliser les
juifs d’Israël et d’autres pays pour
qu’ils aident à légitimer les activités
des colons. »
Ni la Direction des
parcs ni la municipalité de Jérusalem
n’a souhaité émettre de commentaires à
ce sujet.
Lors d’une
conférence en 2006, Evyatar Cohen a
déclaré que l’objectif des parcs
nationaux de Jérusalem-Est était
d’empêcher la disparition du paysage de
la ville et de sa flore, et de restaurer
sa « gloire passée ».
Cependant, d’autres
déclarations officielles ont
sous-entendu des motivations
différentes.
En 2003, lors d’une
conférence du Conseil des parcs
nationaux, l’ingénieur municipal de
Jérusalem Uri Shitrit a reconnu que le
recours aux parcs nationaux risquait
d’être source de « confrontations
permanentes » avec les habitants
concernés. Cependant, il a alors ajouté
que ces parcs étaient utiles dans des
quartiers « habités par une population
hostile en perpétuelle expansion » : il
faisait référence aux Palestiniens de
Jérusalem.
Lorsqu’un an plus
tard, en 2004, le projet de Jérusalem a
été approuvé, des responsables
israéliens ont fait remarquer qu’une
« importante intervention
gouvernementale » serait nécessaire pour
remplir ces objectifs urbanistiques
visant à assurer une forte majorité
juive de 60 % dans la ville.
Selon Bimkom, les
parcs nationaux jouent un rôle
déterminant dans la réalisation de ces
objectifs démographiques.
Encercler la
vieille ville
D’après Jeff Halper,
des quartiers comme Sawaneh étaient
également les dernières portions de
territoire qui manquaient pour créer une
ceinture sous contrôle juif tout autour
de la ville.
Dans un
rapport récent, l’International
Crisis Group a noté que cette ceinture
avait été conçue pour pouvoir créer un
« mur de protection … qui empêcherait
[Israël] de se retirer complètement du
centre-ville » dans le cas d’un accord
de paix.
Jérusalem-Est est
revendiquée depuis longtemps par les
Palestiniens comme la capitale de leur
futur État. Cependant, Israël a annexé
Jérusalem-Est et la revendique comme
faisant partie de sa « capitale unie et
éternelle ».
Efrat Cohen-Bar,
urbaniste travaillant en partenariat
avec Bimkom, a affirmé qu’Israël avait
déjà annoncé deux parcs nationaux à
Jérusalem et qu’un autre grand projet de
parc était en attente de validation sur
le mont Scopus.
Ce nouveau parc,
situé sur des terres palestiniennes,
empêcherait toute extension des
quartiers d’Issawiya et d’At-Tur à
l’avenir, a-t-elle déclaré.
Mais Bimkom a
également pu voir une version des plans
directeurs de Jérusalem comportant trois
autres parcs nationaux à proximité de la
vieille ville, qui n’étaient pas compris
dans la carte publiée officiellement.
« Étant donné les
activités que nous constatons sur le
terrain, nous soupçonnons fortement que
ces quartiers sont en trains d’être
préparés pour le jour où ils seront
déclarés parcs nationaux », a-t-elle
déclaré à MEE.
Efrat Cohen-Bar
faisait référence à la
destruction la semaine dernière par
la Direction des parcs d’une aire de jeu
privée de Silwan située immédiatement à
l’extérieur du parc national des Murs de
Jérusalem déjà existant. Selon elle, le
plan directeur indiquait à l’origine que
la zone où était construite l’aire de
jeu serait incluse dans une extension du
parc.
Le 1er
avril, le Département d’État américain
a fait part de ses inquiétudes face
à ce qu’il a qualifié de « tendance à la
démolition, au déplacement et à la
confiscation de terres qui s’avère
dommageable » à Jérusalem-Est et en
Cisjordanie.
Poussés à partir
de nouveau
Les familles de
Jérusalem-Est qui ont résisté aux vagues
successives d’expansion israélienne ont
très peur que l’agrandissement des parcs
nationaux signifie que la bataille sera
perdue pour de bon.
Noureddine Amro,
habitant de Sawaneh, a indiqué que ce ne
serait pas la première fois que sa
famille – et bien d’autres personnes –
seraient contraintes de se déplacer.
« Ces maisons ont
été construites bien longtemps avant
l’arrivée d’Israël et l’institution des
parcs nationaux, a-t-il affirmé.
« Israël nous a
forcés à quitter nos maisons d’origine
et nous avons reconstruit notre vie ici
à Jérusalem-Est. Aujourd’hui, Israël
recommence à nous harceler pour nous
pousser encore une fois à partir. »
Parcs
nationaux de Jérusalem-Est
Traduction :
Parc national
officiel
Parc national en cours de préparation
Parc national supplémentaire*
Extension de parc naturel*
Limite de la ville
Barrière de séparation israélienne
*Selon la version de la Direction des
parcs nationaux du projet de l’an 2000
pour Jérusalem
Sheikh Jarrah
; Pentes du Mont Scopus ; Vallée de
Tzurim ; Bab as-Sahrah ; Mont des
Oliviers ; Vieille ville ; Alentours des
murs de la vieille ville ; Vallée du roi
Traduction de
l’anglais (original)
par Mathieu Vigouroux.
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