Palestine
L’encerclement d’al-Aqsa par Israël est
« presque total »
Jonathan Cook
Photo :
AFP / Ahmad Gharabli
Mercredi 4 novembre 2015
JÉRUSALEM – Bien
qu’il affirme chercher à apaiser les
tensions à Jérusalem, Israël accroît ses
actions visant à encercler la mosquée
al-Aqsa et à renforcer son contrôle sur
le lieu saint, a prévenu un groupe
d’archéologues israéliens la semaine
dernière.
Le groupe a tiré la sonnette d’alarme
alors que les États-Unis supervisent
l’initiative sur l’Esplanade des
Mosquées, connue sous le nom de Haram
al-Sharif (ou Noble sanctuaire), qui est
destinée à mettre fin à des semaines de
troubles palestiniens concentrés à
Jérusalem.
Le week-end dernier, le secrétaire
d’État américain
John Kerry a négocié un accord entre
Israël et la Jordanie, gardienne
officielle du lieu saint, qui prévoit
l’installation de caméras sur
l’esplanade des Mosquées.
Cependant, les archéologues affirment
que les menaces les plus pressantes pour
la mosquée, située sur une esplanade
surélevée au-dessus du mur occidental
dans la vieille ville de Jérusalem,
seront invisibles pour les caméras.
Ils accusent Israël de changer
rapidement le paysage autour d’al-Aqsa
afin d’obscurcir le caractère islamique
de la zone et de créer un « parcours
du combattant » de plus en plus
ardu pour les fidèles.
« Globalement, Israël affaiblit
la présence musulmane et palestinienne à
cet endroit pour que les juifs
israéliens puissent se persuader qu’ils
sont les véritables propriétaires du
site », a déclaré Yonathan Mizrachi,
à la tête d’Emek Shaveh, une
organisation d’archéologues israéliens
opposés à l’utilisation de l’archéologie
à des fins politiques.
Diverses activités archéologiques
israéliennes ont, a-t-il dit, presque
achevé l’encerclement du site d’al-Aqsa
par Israël, l’isolant des quartiers
palestiniens de Jérusalem-Est.
Surveillance
24 heures sur 24
Kerry a dit être convaincu que les
caméras persuaderont les Palestiniens
qu’Israël ne viole pas le « statu
quo » régissant le site depuis
l’occupation par Israël de
Jérusalem-Est, ainsi que des territoires
palestiniens de Cisjordanie et de Gaza,
en 1967.
Les ententes tacites sont censées
veiller à ce que l’administration
religieuse du site demeure la
responsabilité de l’autorité islamique
connue sous le nom de Waqf, tandis
qu’Israël exerce un contrôle policier
sur le site. Bien que les Juifs puissent
visiter la zone de la mosquée, ils ne
peuvent y prier.
Le Haram al-Sharif est appelé Mont du
Temple par les Juifs, qui font valoir
que les ruines des deux temples antiques
se trouvent sous al-Aqsa. Le Mur
occidental, vénéré par les Juifs
religieux, est considéré comme un mur de
soutènement du second Temple, détruit il
y a près de 2 000 ans.
Les vidéos des caméras enregistreront
24 heures sur 24, offrant une
« visibilité et transparence totale »,
selon Kerry.
L’initiative est surtout censée
rassurer les Palestiniens en leur
montrant que les Juifs
ultra-nationalistes, qui sont de plus en
plus nombreux à venir sur le site
escortés par des policiers israéliens
armés, ne s’y rendent pas pour prier.
Pour les détracteurs de cette
décision tels que Mizrachi, l’approche
de Washington focalisée sur les prières
juives à al-Aqsa ne parviendra pas à
apaiser les tensions, car elle néglige
les injustices plus larges de
l’occupation par Israël ainsi que
l’accès limité des Palestiniens à la
mosquée et les changements drastiques
qu’opère Israël aux abords immédiats du
site.
« Il ne s’agit pas seulement de
ce qui se passe sur l’esplanade, mais de
ce que fait Israël en dehors de
l’enceinte pour restreindre les droits
d’accès et de culte des musulmans et
pour modifier le caractère et
l’atmosphère de Jérusalem-Est et de la
vieille ville », a-t-il précisé à
Middle East Eye .
« Le gouvernement et les colons
travaillent main dans la main pour créer
l’impression que la vieille ville est au
cœur de l’histoire et de l’identité
juives et doit être placée sous la
souveraineté d’Israël. »
Davantage de
restrictions à l’entrée
Les dirigeants palestiniens se
plaignent depuis longtemps que, en
raison des barrages et check-points
israéliens, peu de Palestiniens de
Cisjordanie ou de Gaza peuvent encore se
rendre à Jérusalem ou ses lieux saints.
De plus en plus, même ceux qui vivent
à Jérusalem ou ceux qui appartiennent à
l’importante minorité d’Israël de
1,6 million de citoyens palestiniens
sont confrontés à des restrictions
d’entrée.
L’année dernière, selon les chiffres
officiels,
la police israélienne a imposé des
restrictions d’âge à 41 reprises,
empêchant souvent les Palestiniens de
moins de 50 ans de pénétrer sur le site.
Selon les observateurs des Nations
unies, pendant trois semaines, fin août
et en septembre, Israël a également
refusé l’entrée aux Palestiniennes le
matin pour permettre à des groupes juifs
d’accéder au site. Environ 500 enfants
musulmans qui étudient dans le site se
sont également vus refuser l’entrée.
En outre, a déclaré Mizrachi, des
activités israéliennes coupent le site
d’al-Aqsa de son environnement
palestinien. Parmi les dernières
modifications figurent :
* L’extension des fouilles et
excavations secrètes autour de
l’enceinte pour créer une « ville
juive souterraine » sur les flancs
ouest et nord du Haram al-Sharif ;
* Le transfert d’un parc
archéologique sur les murs ouest et
sud d’al-Aqsa à une organisation
extrémiste de colons juifs ;
* La fermeture forcée d’un
cimetière musulman historique mais
actif, le long du côté oriental du
site, refusant l’accès aux familles
palestiniennes sous prétexte qu’il
se situe dans un parc national
israélien.
Israël a également accru les
restrictions de sécurité pour les
Palestiniens sur l’artère principale de
la vieille ville menant du quartier
musulman à al-Aqsa, ce qui limite
davantage l’accès, a noté Mizrachi.
« L’objectif de tous ces
changements est de souligner le
caractère juif de l’environnement autour
d’al-Aqsa, à la fois en surface et dans
le sous-sol », a-t-il expliqué.
Engagement à cesser
les prières juives
Les responsables israéliens ont
rejeté les accusations selon lesquelles
ils porteraient préjudice au contrôle
islamique du site. Le Premier ministre
Benjamin Netanyahou a déclaré le mois
dernier : « Israël
n’est pas le problème sur le mont du
Temple ; il est la solution. Nous
maintenons le statu quo. »
Sous la pression de Washington, le
bureau de Netanyahou a discrètement
publié un communiqué il y a une semaine,
tard dans la nuit et uniquement en
anglais :
« Israël continuera à appliquer sa
politique de longue date : les musulmans
prient sur le mont du Temple ; les
non-musulmans visitent le mont du
Temple. »
Netanyahou a mis les semaines de
troubles à Jérusalem et en Cisjordanie
sur le compte de ce qu’il appelle
« l’incitation [à la violence] »
des dirigeants palestiniens.
Toutefois, des signes montrent qu’en
Europe et aux États-Unis, on craint de
plus en plus que les mesures
israéliennes fragilisent le statu
quo.
Un des porte-parole de Kerry, John
Kirby, a provoqué une tempête
diplomatique en déclarant à des
journalistes le mois dernier :
« Il est certain que le statu quo n’a
pas été observé, ce qui a conduit à un
grand nombre de violences. » Suite à
des plaintes israéliennes, il est revenu
sur sa déclaration.
Dans le même temps, l’UNESCO
a approuvé une résolution condamnant
Israël pour ses restrictions concernant
la liberté de culte des musulmans et
pour sa gestion des lieux saints sous
son contrôle.
Washington et Israël ont rejeté
une proposition française visant à
placer des observateurs internationaux
sur l’esplanade des Mosquées.
De nombreux Palestiniens craignent
qu’Israël finisse soit par diviser
physiquement le site pour créer un
espace de prière pour les Juifs, soit
par insister sur des temps de prière
séparés pour les Juifs. Des dispositions
similaires sont imposées par Israël à la
mosquée Ibrahimi à Hébron depuis les
années 90.
La ministre adjointe aux Affaires
étrangères d’Israël, Tzipi Hotovely, a
ajouté aux préoccupations la semaine
dernière en disant à la télévision
israélienne :
« Je rêve de voir le drapeau israélien
flottant sur le mont du Temple. C’est le
lieu le plus saint du peuple juif. »
D’autres ministres ont demandé
la construction d’un troisième temple à
la place d’al-Aqsa. Le quotidien
Haaretz a indiqué la semaine
dernière que les extrémistes appelant à
la destruction de la mosquée avaient
maintenant les « centres de pouvoir »
au sein du Likoud de Netanyahou et de
son principal partenaire de coalition,
le Foyer juif.
Tunnel secret
Yonathan Mizrachi a
affirmé qu’al-Aqsa
n’était pas seulement menacée par les
activités de quelques
ultra-nationalistes, mais par les
actions combinées des partis politiques
traditionnels d’Israël,
des archéologues et des autorités
religieuses juives.
Selon lui, le gouvernement, l’Autorité
des antiquités d’Israël et le
Fonds du patrimoine du Mur
occidental travaillent tous en
secret sur des fouilles à côté de
l’enceinte de la mosquée pour créer un
réseau d’espaces souterrains.
L’objectif de l’excavation n’est pas
clair, a-t-il dit. « Cependant, il
est inévitable que, puisqu’elle est
menée de manière si secrète, elle
alimente des inquiétudes parmi les
Palestiniens, qui craignent que les
travaux puissent se prolonger sous la
mosquée ou endommager ses fondations. »
Mizrachi a ajouté qu’Israël
poursuivait les fouilles sur le flanc
ouest du site d’al-Aqsa, découvertes par
le public lors de l’ouverture des
tunnels du Mur occidental en 1996,
durant le premier mandat en tant que
Premier ministre de Netanyahou.
L’ouverture des tunnels a conduit à des
affrontements qui se sont soldés par des
dizaines de morts palestiniens et des
centaines de blessés.
En outre, un tribunal israélien a
ordonné le mois dernier que le contrôle
d’un parc archéologique, le centre
Davidson, sur les flancs ouest et sud du
site d’al-Aqsa,
soit transféré à Elad, une organisation
de colons.
Elad contrôle déjà de grandes parties
du quartier palestinien de Silwan, au
sud de l’Esplanade des Mosquées, où elle
développe un parc à thème archéologique
juif, appelé la Cité de David, au
détriment des habitants palestiniens.
Pour Yonathan Mizrachi, le rôle d’Elad
au centre Davidson est « inquiétant »
car il amène le groupe de colons au pied
du complexe al-Aqsa. Elad, a-t-il
ajouté, essaie de relier son complexe de
Silwan au centre Davidson, un moyen de
renforcer une version exclusivement
juive de l’histoire de Jérusalem.
En septembre,
l’Autorité des parcs nationaux d’Israël
a interdit l’accès au cimetière de Bab
al-Rahmeh, un ancien cimetière
islamique situé du côté oriental de la
mosquée, empêchant les enterrements et
l’accès des Palestiniens à l’aide de
barbelés.
Emek Shaveh a prévenu que cette
initiative est la conclusion d’une « longue
lutte entre les colons et les
Palestiniens pour le contrôle du mur
oriental de l’esplanade. »
Pendant les dernières semaines de
troubles à Jérusalem,
Israël a fortement restreint l’accès des
Palestiniens à la rue al-Wad dans le
quartier musulman de la vieille ville.
Il s’agit d’une zone dont les colons
juifs cherchent à prendre le contrôle
depuis longtemps puisqu’elle rejoint
également le Mur occidental.
« Ce qui se passe, c’est qu’au
fil du temps, le Haram est de plus en
plus isolé de ses environs arabes et
islamiques », a déclaré Mizrachi.
L’accès refusé aux
dirigeants palestiniens
Les changements physiques autour
d’al-Aqsa ont été assortis de
restrictions israéliennes de plus en
plus strictes concernant l’accès au site
des dirigeants politiques et religieux
palestiniens, ont noté les observateurs.
L’Autorité palestinienne (AP) est
bannie de Jérusalem depuis le
déclenchement de la deuxième Intifada en
2000. Le mois dernier, Netanyahou a
également interdit à tous les membres du
parlement israélien, y compris aux
représentants de la minorité
palestinienne d’Israël, de pénétrer sur
l’Esplanade des Mosquées.
Basel Ghattas, un membre
palestinien du parlement israélien
appartenant à la Liste unifiée qui
a dû se déguiser la semaine dernière
pour franchir le contrôle de la police
israélienne et accéder à
l’esplanade, a déclaré à MEE :
« Je ne reçois pas d’ordres de
Netanyahou me disant si je peux ou non
me rendre à al-Aqsa. »
Il a ajouté : « Si la police
israélienne détermine qui pénètre dans
al-Aqsa et qui ne le peut pas, il est
évident qu’ils sont les vrais maîtres,
pas le Waqf. »
Ghattas, comme d’autres dirigeants
palestiniens, craint qu’Israël utilise
les nouvelles caméras pour identifier
les militants palestiniens et les
arrêter ou les bannir du site. Les
caméras, dit-il, donneraient le contrôle
à Israël sur al-Aqsa « 24 heures sur
24 ».
Israël a également empêché à
plusieurs reprises la visite de chefs
religieux musulmans à Jérusalem et à al-Aqsa
– notamment le cheikh Raed Salah, chef
de la branche nord du Mouvement
islamique en Israël.
D’autres personnalités religieuses de
Jérusalem, y compris les dirigeants
politiques du Hamas dans la ville, ont
été emprisonnées ou déplacées de force
en Cisjordanie.
Salah a fait du statut d’al-Aqsa une
problématique majeure et a essayé de
faire venir des milliers de musulmans
vivant à l’intérieur d’Israël pour prier
sur le site, en vue de compenser la
diminution du nombre de fidèles
palestiniens des territoires occupés se
rendant à Jérusalem.
Le mois dernier, le Premier ministre
Netanyahou a annoncé son intention
d’interdire le Mouvement islamique de
Salah.
Zahi Njeidat, porte-parole de Salah,
a déclaré que le statu quo à
al-Aqsa était dénué de sens. « La
réalité est qu’Israël décide de tout, à
la fois dans le Haram et à l’extérieur,
car il est l’occupant. Voilà le seul
statu quo voulu par Netanyahou et
Kerry. »
Njeidat a annoncé que le calme ne
reviendrait pas sur le site avant que
l’occupation de Jérusalem prenne fin et
que les Palestiniens puissent librement
visiter et prier à al-Aqsa.
Publié le 3 novembre 2015 sur
Middle East Eye, édition française
Traduction de l’anglais (original)
par VECTranslation.
Jonathan
Cook vit à Nazareth et est
lauréat du prix spécial Martha
Gellhorn de journalisme.
Ses ouvrages récents sont «
Israel and the Clash of
Civilisations: Iraq, Iran and the
Plan to Remake the Middle East
» (Israël et le choc des
civilisations : l’Irak, l’Iran et le
plan de remodelage du Moyen-Orient)
(Pluto Press) et Disappearing
Palestine: Israel’s Experiments in
Human Despair (La disparition
de la Palestine : expérimentations
israéliennes autour du désespoir
humain) (Zed Books).
Son site web personnel est :
www.jonathan-cook.net.
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