RussEurope
Nice: révélations embarrassantes pour le
gouvernement
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Vendredi 30 septembre 2016
L’émission Quotidien a
révélé des informations qui remettent en
question la version donnée par les
autorités du Ministère de l’intérieur
sur l’attentat qui eut lieu le 14
juillet 2016 à Nice[1].
Les points concernés vont du nombre de
policiers réellement présents au déroulé
de l’attentat[2].
Ces informations, qui seraient issues
d’une fuite du dossier d’enquête de la
sous-direction antiterroriste de la
police judiciaire, confirment les
questions que nous posions le 22 juillet.
Le débat sur
la sécurité du 14 juillet à Nice
Sur le déroulé de l’attentat montre
que la police, qu’elle soit nationale ou
municipale, a été complètement surprise.
Il est dit : « Le véhicule de police
se retrouve bloqué par les personnes
ayant réussi à s’échapper. La
progression des policiers n’est donc pas
aisée, devant “zigzaguer” entre les
personnes apeurées et blessées. À 22
heures 34 minutes et 45 secondes: le
véhicule de police est derrière le
fourgon à une distance d’environ 60
mètres, bloqué », dans un extrait
du dossier. Plus loin, le dossier, cité
par Quotidien, ajoute : «
le camion terroriste cale. Il ne
repartira plus. 43 secondes plus tard,
les policiers se trouvent derrière le
camion. La fusillade dure 1 minute et 15
secondes. » Il semble aussi qu’une
seule voiture bloquait la Promenade des
Anglais ce qui montre un dispositif
clairement insuffisant.
Rappelons que c’est le journal
Libération qui avait lancé le débat
dans un article du 21 juillet[3].
Il apparaît que seuls 2 policiers
municipaux assuraient le contrôle du
périmètre au point où le camion du
meurtrier est entré dans la partie
piétonne de la Promenade des Anglais
contrairement au communiqué du 16
juillet du Ministre de l’Intérieur qui
dit : «La mission périmétrique était
confiée pour les points les plus
sensibles à des équipages de la police
nationale, renforcés d’équipages de la
police municipale. C’était le cas
notamment du point d’entrée du camion,
avec une interdiction d’accès
matérialisée par le positionnement de
véhicules bloquant l’accès à la
chaussée. Le camion a forcé le passage
en montant sur le trottoir.»
[4].
De plus, aucune chicane en béton
susceptible d’arrêter, ou du moins de
ralentir, le camion du terroriste
n’était déployée, ni à cet endroit ni
370 mètres plus loin, là où se trouvait
la patrouille de 4 hommes de la police
nationale. Or ces chicanes sont des
instruments standards tant de la police
municipale que de la police nationale et
elles avaient été employées lors du
championnat d’Europe de football pour
sécuriser la « FanZone » de Nice.
Des
omissions inquiétantes
Cela pose la question de savoir
pourquoi une telle chicane n’avait pas
été déployée. Si la Mairie de Nice ne
l’a pas décidée (ce qui est une faute
grave) pourquoi le Préfet des
Alpes-Maritimes, qui est l’autorité en
dernière instance en matière de sécurité
d’événements publics, n’a-t-il pas exigé
que cela soit fait ? Le Préfet avait
autorité pour interdire cet
événement s’il considérait que les
conditions de sécurité n’étaient pas
remplies. S’il ne l’a pas fait, cela
signifie qu’il considérait les
conditions de sécurité comme
« suffisante ». Il porte donc une
responsabilité directe dans le
drame qui s’est déroulé. Mais, la
responsabilité du Ministre lui-même,
Bernard Cazeneuve, et celle du Maire de
Nice, sont aussi engagée.
Il est clair qu’une commission
d’enquête parlementaire s’impose. Nous
le devons aux victimes, nous le devons
aux survivants de cet ignoble attentat,
nous le devons aussi à la sécurité des
futurs événements qui auront lieu à
l’avenir.
Cinq
questions pour une future commission
d’enquête
Cette commission se devra d’établir
les faits soit :
- Les effectifs de police
étaient-ils (a) suffisants et (b)
correctement déployés pour une
manifestation de cette importance ?
C’est le journal Libération
qui a lancé le débat sur ce point[5].
Contrairement à ce qu’affirme le
communiqué du 16 juillet du Ministre
de l’Intérieur il semble bien que
c’était des policiers municipaux qui
assuraient la sécurité du premier
périmètre.
- Comment un camion de 19
tonnes a-t-il pu circuler à Nice,
alors que les rues de cette ville
sont interdites à ce genre de
véhicule ? On sait qu’à
toute interdiction correspond des
exemptions, de fait ou de droit.
Mais, le soir du 14 juillet la
circulation d’un tel engin aurait pu
et dû mettre les forces de Police en
alerte.
- Toutes les conditions de
sécurité étaient-elles remplies et
pourquoi aucun obstacle artificiel
(chicanes en béton, grilles
anti-véhicules) n’avait été déployé
aux entrées de cette manifestation ?
On savait, depuis l’attentat à la
voiture-bélier à Nantes le 22
décembre 2014[6]
que ce type de méthode pouvait être
utilisée. Des obstructions mobiles
étaient disponibles, et avaient été
utilisées lors de l’Euro-2016.
- Quel était le niveau de
préparation des responsables tant
municipaux que nationaux à un
attentat ? Il est clair que
la sécurité s’était focalisée sur
une bombe ou l’usage de ceintures
explosives. Mais croire que l’ennemi
va être routinier et va agir comme
on le pense est une énorme erreur.
Le décideur doit tenir compte de ce
que l’ennemi peut faire et non de ce
que l’on croit qu’il va faire. D’où
découle une question cruciale quant
à l’attentat de Nice. Compte tenu
des informations raisonnablement
disponible sur le degré et les
natures possibles des menaces
terroristes à la veille du 14
juillet, les responsables de la
Police Nationale, et de l’Etat, à
Paris comme à Nice n’ont-ils pas
pêché par un sentiment
injustifié d’une immunité quant à
une attaque survenant après
l’Euro-2016 ?
- Le Ministère de
l’Intérieur a-t-il fait pression sur
la responsable de la
vidéosurveillance, Sandra Bertin,
policière municipale et secrétaire
générale du Syndicat autonome de la
fonction publique territoriale
(SAFPT) de Nice ? Les
accusations portées par cette
dernière sont trop graves pour être
récusées d’un revers de main, comme
affecte de le faire le Ministre de
l’intérieur M. Bernard Cazeneuve. Il
est bien établi qu’elle a parlé le
15 juillet avec une responsable du
Ministère, le numéro 3 de
l’état-major de la direction
centrale de la sécurité publique
(DCSP)[7].
Il est possible qu’elle ait confondu
cette personne avec un membre du
cabinet du Ministre.
Géographiquement, ce n’est pas
complètement absurde car la
Direction Centrale de la Sécurité
Publique est abritée dans un
bâtiment adjacent à celui du
ministère, précisément rue des
Saussaies à Paris. Et, comme
l’ensemble de ces directions
également, la DCSP est rattachée
directement au Ministre.
Le rapport de la sous-direction
antiterroriste de la police judiciaire
confirme que des erreurs graves ont été
commises dans la planification des
mesures de sécurité pour le feu
d’artifice du 14 juillet à Nice. Il faut
les rendre publiques, il faut aussi en
comprendre l’origine, qu’elle provienne
du sentiment de sécurité provenant du
succès des mesures de sécurité pour
l’Euro-2016, ou qu’elle provienne d’une
autre cause.
[1]
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/09/30/97001-20160930FILWWW00127-attentat-de-nice-de-nouveaux-elements-sur-le-deroule.php
[2]
http://www.20minutes.fr/societe/1934063-20160930-attentat-nice-emission-quotidien-demonte-version-autorites
[3]
http://www.liberation.fr/france/2016/07/20/securite-a-nice-370-metres-de-questions_1467531
[4] Cité d’après Libération,
http://www.liberation.fr/france/2016/07/20/securite-a-nice-370-metres-de-questions_1467531
[5]
http://www.liberation.fr/france/2016/07/20/securite-a-nice-370-metres-de-questions_1467531
[6]
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/12/22/01016-20141222ARTFIG00352-une-camionnette-fonce-dans-la-foule-du-marche-de-noel-a-nantes.php
[7]
http://www.marianne.net/nice-commissaire-qui-echange-sandra-bertin-est-ndeg3-etat-major-dcsp-100244658.html
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