RussEurope
Ici repose François Hollande
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Samedi 29 octobre 2016
Les manifestations « illégales » des
policiers qui se sont tenues ces
dernières nuits dans plusieurs villes de
France ont confirmé ce que l’on pouvait
pressentir : le Président François
Hollande apparaît désormais comme
politiquement mort. C’est le résultat,
bien entendu, de la multiplication des
erreurs et des fautes qui ont été
commises depuis les quatre ans et demi
qu’il exerce son mandat. Quand il a
décidé de faire voter le Traité sur la
Coopération et la Gouvernance, le TSCG,
en septembre-octobre 2012, il a mis de
lui-même sa tête sur le billot. C’est le
produit de sa pratique, dénoncée par
l’un de ses anciens ministres, Arnaud
Montebourg pour le nommer ici, qui
consiste à mentir en permanence à tout
le monde, ou plus précisément à dire à
chacun ce qu’il croit que cette personne
veut entendre même si cela n’a aucun
rapport avec ce que pense en réalité
François Hollande. C’est aussi la
conséquence du profond mépris dans
lequel il tient les français et que
révèle les propos qui lui sont attribués
dans plusieurs livres, et qu’il n’a pas
démentis. Les conséquences de cette
situation, alors que la France traverse
une crise politique grave, sont
potentiellement dramatiques.
La mort politique de François
Hollande
Le Président François Hollande apparaît
comme politiquement mort non pas tant en
raison des désastreux résultats des
derniers sondages[1],
mais pour des raisons profondes. Bien
sûr, une proportion de seulement 4% de
français se disant satisfaits de son
action est calamiteuse. Elle est
inconnue jusqu’alors et correspond au
plus mauvais sondage de l’ensemble des
présidents de la Vème République. Elle
l’est d’autant plus que l’on se rappelle
les déclarations de François Hollande
lui-même sur la nécessaire base de
popularité qu’il faut à un président
pour pouvoir gouverner. Mais, ce n’est
pour cela que François Hollande apparaît
désormais comme politiquement mort.
Son incapacité à conserver le
contrôle sur le parti dit socialiste,
comme en témoigne les réaction du
président de l’Assemblée Nationale,
Claude Bartolone, ou celle du Premier
Ministre M. Manuel Valls, l’écoeurement
et la désaffection de ses plus proches
amis et alliés politiques, apparaît
comme beaucoup plus significative. Car,
l’on peut être un Président
particulièrement impopulaire et
conserver au moins la capacité d’influer
sur qui sera son successeur, si ce n’est
à la Présidence de la République mais du
moins dans son propre camp. Or, cette
capacité, il semble bien que François
Hollande l’ait perdue de manière
décisive dans ces derniers jours. Non
seulement il se révèle dans
l’impossibilité d’imposer un candidat
aux « socialistes » mais il voit sous
ses yeux ce parti se déliter à une
vitesse accélérée.
Un échec
complet
Il apparaît désormais que, quelque
soit la personne qu’il cherche à
appuyer, il entraînera cette dite
personne dans sa chute. Ont peut gloser
des pages entières sur la fidélité des
uns, l’ingratitude des autres, ce fait
s’impose désormais de manière massive.
Au-delà, même de ce cercle, des
personnes ayant rompu publiquement avec
François Hollande mais qui peuvent être
de quelque manière que ce soit associées
à son action subissent, en tout ou
partie, le discrédit qui le frappe.
François Hollande apparaît donc comme le
pestiféré de la gauche, le porte-poisse.
Cela va cependant bien plus loin que
de simples questions de personnes, et
l’on sait pourtant à quel point ces
dernières comptent dans un espace où la
politique se réduit justement à une
personnalisation excessive. Que François
Hollande touche à une idée, et il la
discrédite elle aussi. Qu’il s’empare
d’une proposition et cette dernière
devient un repoussoir. Avec François
Hollande disparaîtra de la scène
politique française ce que l’on peut
appeler le « social-libéralisme » ou la
tendance à produire une idéologie
similaire à celle de Tony Blair en
France. Son échec personnel est aussi
celui de la « synthèse » qu’il avait
tenté d’imposer au P « S ». Il n’a, de
plus, pas pris la mesure du rejet très
profond dans les classes populaires du
discours européiste. On devine qu’il ne
restera rien de François Hollande, ni en
termes d’idées politiques, ni en termes
de personnel politique, et encore moins
en matière de style politique. Sa
présidence s’avèrera un échec complet.
Il y aurait bien quelque chose de
tragique dans la situation de l’actuel
occupant de l’Elisée si celui-ci n’était
profondément ridicule.
Le gros chat
et le fauve
On pourrait comparer cette situation
à celle que connaissait François
Mitterrand dans les dernières années de
son second mandat. Et il est clair que
François Hollande espère jouer de cette
comparaison. Mais, on ne compare pas un
gros chat lymphatique avec un grand
fauve. Il y avait chez François
Mitterrand, dont l’expérience politique
allait de la guerre à la fin du
gaullisme, un cynisme que n’excluait pas
une vision – quoi que l’on en pense – de
la France. C’est ce qui justifiait ses
méthodes de Machiavel. Mais, François
Hollande s’il est homme de combinaisons
ne s’est guère hissé au-dessus de celles
d’un président de conseil général. Il
aura réussi à inverser ce qui était l’un
des résultats obtenus par François
Mitterrand, l’hégémonie du P « S » sur
la gauche, acculant le PCF à des
stratégies suicidaires et condamnant la
véritable gauche à la marginalisation.
Aujourd’hui, le fait que dans la
totalité des sondages François Hollande
ou le candidat « socialiste » soit battu
par Jean-Luc Mélenchon en dit long sur
son bilan.
On dira que le style c’est l’homme ;
et il est vrai François Hollande paye au
prix fort son incompréhension pour ce
qu’exige la fonction. Il n’y a pas de
président « normal », et encore moins de
président qui puisse céder à son bon
plaisir sans avoir à en payer le prix.
François Hollande, quand il affirmait
vouloir faire une présidence
« normale », a confondu le « normal »
avec le « commun ». Il aurait dû, il
aurait pu, choisir le registre de la
simplicité personnelle. Mais, cette
simplicité, qui est une vertu
républicaine, entrait en contradiction
avec ses aspirations et son style de
vie. De cette erreur, il ne s’est jamais
relevé dans l’esprit des français qui
comprennent bien intuitivement, à quel
point il dégrade la fonction
présidentielle. Sa fascination pour les
journalistes le confirme. Il apprend,
mais au peu tard et à ses dépens, que la
fonction de Président n’est pas un
métier de la communication, que l’on
n’occupe pas l’Elysée pour le plaisir
narcissique de la revue de presse
matinale.
Un président
zombie ?
François Hollande est donc
politiquement mort, mais il l’a bien
cherché. Il ne doit donc s’en prendre
qu’à lui-même. Il pourrait cependant
trouver une voie honorable dans cette
déplorable situation. En actant
publiquement de sa mort politique, en
reconnaissant rapidement qu’il ne peut
prétendre se représenter aux suffrages
des français, en disant de manière
claire qu’il n’interfèrera en aucune
manière avec le choix d’un futur
candidat issu de son propre camp, en se
contentant politiquement d’expédier les
affaires courantes pour laisser à son
successeur une place aussi nette que
possible, il pourrait retrouver si ce
n’est une autorité, du moins une
dignité. Encore faudrait-il qu’il
comprenne les causes du mal qui le
frappe.
De cela, il est possible d’en douter.
L’homme s’avère incapable de véritable
autocritique, comme on a pu le mesure
ces dernières années. Il cherchera donc
jusqu’à la fin à « exister »
politiquement, à rester dans le registre
de la combinaison à double fond, celle
où l’on finit plus par tomber sur un
soutien-gorge que sur une véritable
solution, à confondre le
politique avec la politique et
la politique avec la
manipulation. Il est alors appelé à
devenir un président-zombie. Il est
condamné à cette déchéance parce qu’il
n’a pas de projet autre que sa propre
promotion ; il ne choisit pas, il gère.
Il gère à la petite semaine, il gère au
coup par coup, sans conscience ni
volonté de penser aux lendemains comme
aux conséquences. Les lamentables
acrobaties auxquelles il s’est livré sur
la question du chômage, sa réaction face
aux problèmes de l’usine Alstom en
témoignent.
Réduit à l’état de cadavre politique,
mais incapable d’en prendre acte et de
se laisser politiquement enterrer avec
dignité, François Hollande va continuer
à répandre ses miasmes dans la vie
politique française, que ce soit en
politique intérieure ou en politique
internationale. Le discrédit qui le
frappe est évident, et désormais il
contamine la France qui n’est plus
écoutée, à défaut d’être entendue –
comme l’on peut le constater sur divers
dossiers internationaux – qui n’est plus
respectée et dont l’Etat s’effrite de
plus en plus vite, comme on a pu le
constater avec les manifestations
illégales des policiers.
Vers un
retournement de la politique française
François Hollande est donc devenu un
véritable problème pour la France. Il
est l’origine de cette perte de
légitimité de l’Etat, perte qu’il
conforte par l’ambiguïté de ses actions.
On n’évoquera que pour mémoire
l’hypothèse du « hollandisme
révolutionnaire » que certains avaient
formulés au printemps 2012, tant il
était évident dès cette époque qu’elle
n’avait aucune chance de se réaliser.
Mais, le « hollandisme » pourrait bien,
« à l’insu de son plein gré » selon la
formule consacré, être le vecteur par
réaction d’une véritable révolution. Le
fait que le souverainisme, à travers ses
différents candidats, soit aujourd’hui
majoritaire en France, montre bien que
nous sommes à un point de retournement
majeur de la vie politique en France.
On mesure aussi tout ce qu’un « hollandisme »
2.0, comme avec Alain Juppé, ou un autre
des potentiels candidats des
« Républicains », poserait comme
problèmes et couterait à notre pays.
L’exaspération d’une large partie de la
population française est aujourd’hui un
phénomène patent. L’élection d’un clone
de François Hollande ou celle de la
« momie », ce politicien failli
incapable de porter lui-même un
quelconque projet novateur et qui ne
surnage pour l’instant que par
l’addition des petites peurs et des gros
intérêts, pourrait bien porter cette
exaspération à incandescence.
L’enjeu de l’élection présidentielle
de 2017 va donc bien plus loin, et plus
profond, qu’un changement d’homme, ou
qu’une inflexion de politique. Cet enjeu
est bien celui d’une véritable
refondation de notre système politique
et de notre Etat. Mais, la nécessaire
reconstruction de l’Etat impose que l’on
revienne au principe de la souveraineté
populaire, qui est à la base de la
démocratie.
En un sens, la présidence de François
Hollande aura largement contribué à
enterrer une Vème République devenue
illisible à force d’avoir été
transformée et dénaturée. C’est bien
pourquoi le problème de la
reconstruction de l’Etat, et donc celui
de la souveraineté, est posé. On
pourrait donc à son propos paraphraser
l’oraison funèbre de Félix Faure
prononcée par Georges Clemenceau : « Il
se prenait pour Mitterrand mais il ne
fut qu’une pâle copie de René Coty »[2].
Nous sommes dans une situation qui, à
bien des égards, rappelle celle de 1958.
[1] Bouthier B., « 4% de satisfaits:
Hollande peut-il tomber jusqu’à zéro
? », Libération, le 25/10.2016,
http://www.liberation.fr/auteur/12359-baptiste-bouthier
[2] Dont on connaît le mot
assassin : « Il se prenait pour César,
il mourut Pompée ».
Le sommaire de Jacques Sapir
Le
dossier politique
Les dernières mises à jour
|