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La marche triomphale de François Fillon
?
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Lundi 28 novembre 2016
François Fillon vient donc d’être élu
candidat de la droite par plus de 67% de
voix au deuxième tour de la « primaire »
de la droite et du centre. Il devance de
manière spectaculaire son adversaire,
Alain Juppé. Pourtant, la campagne pour
le second tour avait été marquée par des
attaques multiples, des insinuations
déplaisantes, des calomnies. La faute en
revient principalement à Alain Juppé, et
le moins que l’on puisse en dire est
qu’il n’a pas pris sereinement sa
position d’outsider, lui qui était
persuadé d’être le favori de l’opinion
et des sondages. Les insinuations
d’Alain Juppé posent d’ailleurs un
véritable problème à la vie
démocratique. De même en est-il de son
appel, fort mal déguisé, aux électeurs
de « gauche » de venir le soutenir dans
la primaire de la droite et du centre.
Cela revenait à vouloir faire choisir le
candidat d’un camp par l’autre camp.
Le
premier tour de cette primaire avait vu
M. François Fillon enregistrer plus de
44,1% des 4,2 millions d’électeurs qui
se sont déplacés pour cette primaire,
devançant de loin Alain Juppé (28,6%) et
Nicolas Sarkozy (environ 20,4%). Le
second tour, qui a donc vu ce résultat
largement confirmé, restera quant à lui
marqué par la détestable campagne
d’Alain Juppé. Il a vu près de 4,5
millions d’électeurs se déplacer, ce qui
est à la fois beaucoup pour une
« primaire », et en réalité peu quand on
compare ce chiffre au corps électoral
français. Les commentateurs auraient
tort de l’oublier. Quand on sait que 36
millions d’électeurs s’étaient déplacés
pour l’élection Présidentielle de 2012,
on mesure que ce ne sont que 12,5% de ce
nombre que l’on retrouve lors du vote de
ce dimanche 27 novembre. François Fillon
a triomphé de son adversaire, mais sur
un électorat limité.
Les
racines de ce succès
Le
triomphe de François Fillon témoigne de
la victoire d’une certaine clarté sur
les choix ambiguë d’Alain Juppé, sur
l’excitation vaine de Sarkozy. Car,
François Fillon a produit un véritable
programme, qui a sa cohérence. Il ne
s’est pas réfugié dans le clair-obscur
du clientélisme, ni dans l’agitation
brouillonne et désordonnée. Les
électeurs de droite lui en ont tenu gré.
Ils ont retrouvé, dans le projet
présenté par François Fillon,
l’expression claire des thèmes d’une
droite conservatrice, qui a été
abusivement présentée comme « ultra-libérale ».
Cette
victoire est aussi la défaite de
l’idéologie néoconservatrice atlantiste
qui s’est répandue en France depuis la
victoire de Nicolas Sarkozy et qui
infecte tant la « gauche » que la
droite. François Fillon veut revenir à
une position plus conforme avec la
tradition gaulliste, en reconnaissant le
rôle essentiel tant de la Russie que de
l’Iran pour le règlement de nombreux
conflits. Cette position lui a valu de
nombreuses attaques, mais elle
correspond bien aux intérêts de la
France, et ceci les électeurs votant à
la « primaire » l’ont compris.
Il
faut ici noter que 15% des électeurs de
cette « primaire » étaient dits « de
gauche » (soit qu’ils aient votés pour
François Hollande en 2012, soit qu’ils
aient émis des préférences pour la
« gauche ») et 9% des électeurs avaient
des sympathies pour le Front National.
Cela était possible en raison même du
mécanisme électoral de la « primaire ».
On a donc eu 25% des électeurs qui
n’étaient pas de la famille politique
dite « de la Droite et du Centre ». Sans
être décisif, ce nombre n’’est pas
marginal. Il a pu expliquer l’échec de
Nicolas Sarkozy au premier tour de la
« primaire », mais n’a visiblement pas
eu d’influence sur le second tour.
Un
autre facteur doit ici être mentionné :
les médias s’étaient largement focalisés
pour le premier tour sur Nicolas Sarkozy
et Alain Juppé ; ils avaient maintenu
une large préférence pour Alain Juppé
pour le second tour de cette
« primaire ». Or, ces médias sont
aujourd’hui tellement déconsidérés,
tellement considérés pour ce qu’ils
sont, soit des instruments de propagande
au point que l’on peut parler de
« caste » entre une partie des acteurs
politiques et une large partie des
journalistes, que les électeurs ont
réagit à l’inverse de ce que
disaient ces mêmes médias. Ces médias
ont ainsi tellement galvaudé des
étiquette politiques, comme « ultra-libéral »
ou « extrême-droite », que ces mots ont
largement perdu leur sens, et n’ont
certainement plus le pouvoir répulsif
qu’ils pouvaient avoir avant.
Le
naufrage politique d’Alain Juppé
Cette
victoire de François Fillon est aussi la
défaite, et on peut même dire le
naufrage, de son adversaire, Alain
Juppé. Défaite politique, assurément :
le score final est sans appel. Mais
aussi naufrage moral car Alain Juppé
s’était propagé en insinuations diverses
contre son adversaire, au point de
provoquer dans son propre camp des
remous visibles. François Fillon est
catholique et il n’en a pas fait
mystères. Son adversaire veut en faire
ce que l’on appelle un « intégriste » et
met en doute ses propos sur
l’avortement. Bernard Debré, soutien de
Fillon et chirurgien connu, mais aussi
frère et fils d’autres Debré fameux dans
la vie politique, a répondu à Alain
Juppé sur son blog [1]:
« Comment oser affirmer que François
Fillon soit contre l’avortement et
veuille en abolir la loi ? Dis-toi bien
que s’il en avait été ainsi, je ne
l’aurais pas soutenu, moi qui suis
chirurgien et qui ai vu les ravages
mortels de l’avortement clandestin. J’ai
vu mourir des jeunes filles aux urgences
de l’hôpital qui s’étaient faites
avorter dans des arrière-boutiques de
faiseuses d’anges. Ton affirmation est
non seulement fausse, mais aussi et
surtout nauséabonde ».
Au-delà, les insinuations vipérines
d’Alain Juppé et ses prises de positions
outrancières, convoquent la religion
dans un domaine où elle n’a rien à
faire. Que Monsieur Alain Juppé ait
voulu faire référence au pape dans un
débat politique[2]
est d’une rare stupidité. Il aurait du
pourtant savoir que le principe de
laïcité s’oppose à cela[3].
Ces
attaques furent goulument relayées par
les éditorialistes de la « gauche »,
dont l’exemple le plus éclairant est M.
Laurent Joffrin, dans Libération
du 21 novembre dernier, qui écrit : « Le
révérend père Fillon s’en fait le
prêcheur mélancolique. D’ici à ce qu’il
devienne une sorte de Tariq Ramadan des
sacristies, il n’y a qu’un pas »[4].
Au-delà de la stupidité qu’il y a à
comparer François Fillon à Tariq
Ramadan, il y a là une volonté de
confessionnaliser le débat politique.
Alain Juppé en porte la responsabilité,
et c’est irresponsable de sa part. Mais,
la « gauche » boboïsée, dont Monsieur
Joffrin, saute sur l’occasion pour nous
montrer comment elle est passée du droit
à la différence à la différence des
droits. C’est très précisément le type
de propos qui explique la perte de
crédibilité des médias. Et cela est en
réalité tragique de par les conséquences
que cela peut avoir. Le principe de
laïcité s’impose si l’on veut un débat
et non une guerre civile.
Le
choix mortifère de François Fillon
Mais,
le projet de François Fillon n’est pas
sans poser de graves problèmes, en
particulier dans ses aspects économiques
et sociaux. Et l’on doit critiquer ces
propositions et les projets comme on l’a
fait ces derniers jours[5].
François Fillon veut en réalité adapter
complètement la France au cadre de
l’Euro et, de ce point de vue, ses
propositions sont cohérentes, qu’elles
concernent l’âge de la retraite, la
durée du travail, l’alourdissement de la
fiscalité, la diminution drastique du
nombre des fonctionnaires, ou la réforme
de la sécurité sociales. Mais, si ses
propositions sont cohérentes, elles sont
aussi catastrophiques en réalité non
seulement pour la France mais au-delà
pour les pays européen qu’elles
enfonceront encore un peu plus dans la
dépression[6].
Elles entraîneraient une forte hausse du
chômage en France et auraient des
répercussions désastreuses dans toute
l’Europe. Il ne faut pas oublier que la
France reste la seconde économie de la
zone Euro. L’entrée de la France dans
une récession qui devient probable avec
le projet de François Fillon aura des
conséquences néfastes sur les autres
économies de la zone.
Ces
propositions sont équivalentes à ce que
fut la politique de Pierre Laval en
France, de Ramsay MacDonald en
Grande-Bretagne, du Chancelier Brünning
en Allemagne dans les années trente. Ces
politiques ont eu des effets cumulatifs,
car les échanges économiques étaient
importants entre ces trois pays et elles
ont conduit à des catastrophes tant
économiques que politiques.
François Fillon a pour point de vue que
l’Euro est irréversible et qu’il nous
permet de construire un cadre commun en
Europe. Je pense, et je le dis depuis
des années, que rien n’est irréversible,
et que l’Euro conduit en réalité
l’Europe à sa destruction, d’abord
économique, mais aussi politique. L’Euro
détruira, si on le laisse faire, ce qui
existe de coopération économique mais
aussi et surtout de coopération
politique en Europe. Je précise que je
ne suis pas le seul à le dire, qu’il
s’agisse de collègues économistes[7],
ou d’un prix Nobel comme Joseph Stiglitz[8].
La
cécité dont François Fillon fait preuve
à cet égard est assez étonnante pour un
homme qui s’était, à l’époque, opposé au
traité de Maastricht. Elle provient, en
réalité, de ce qu’il ne veut, et ce
sous aucun prétexte, remettre en
cause la monnaie unique. Cet attachement
à l’Euro donne toute sa cohérence à ses
propositions. Or, l’existence d’un écart
lié à la fois à la sous-évaluation
de la monnaie allemande dans le cadre de
l’Euro et à la surévaluation de
la monnaie française est indéniable. Une
étude du FMI l’évalue à 21%[9],
ce qui semble un chiffre minimal, et
probablement sous-évalué. Sans un écart
du taux de change d’au moins 25% entre
l’Allemagne et la France (et sans doute
plus, de l’ordre de 30%), la France
n’est pas compétitive. Mais, comment
peut on obtenir un tel écart dans un
régime qui fixe les parités monétaires,
tout comme l’étalon-Or des années vingt
et trente du vingtième siècle le
faisait ?
L’austérité ou l’Euro
On
critiquera donc sans relâche François
Fillon sur ce qu’il propose. Non pas
parce que ses propositions mais parce
qu’elles conduiraient à un désastre, non
seulement économique mais aussi social.
Ce désastre entraînera des conséquences
politiques incalculables et risque bien
de tuer définitivement l’esprit de
coopération qui régnait en Europe, et
qui est en train de disparaître. La
politique de François Fillon est
anti-européenne non pas parce qu’il
veut réduire, à raison, les prérogatives
de la commission mais parce que les
conséquences de sa politique
entraîneront un éclatement à terme de
tous les cadres de coopération. Telles
sont donc nos divergences. En l’état,
elles sont irréconciliables.
Mais,
ces divergences n’autorisent personnes,
et encore moins des gens qui en réalité
partagent les positions de
François Fillon sur l’Euro et ne
présentent que des versions
hypocrites de la politique qu’il a au
moins le courage de présenter
clairement, à déformer, dénaturer ses
propos et à calomnier ce dernier.
François Fillon aurait mieux fait de
rester fidèle aux idées de Philippe
Séguin, auquel il rendit un hommage
appuyé et émouvant à l’Assemblée
Nationale, mais dont il trahit
aujourd’hui la pensée.
D’autres ont fait un choix inverse,
votant pour le traité de
Maastricht pour reconnaître, quelques
années après qu’ils s’étaient trompés et
en tirer toutes les implications.
Jean-Luc Mélenchon est de ceux là.
D’autres, enfin, se sont toujours
opposés, et pour des raisons
argumentées, à la montée d’une Union
européenne supranationale, dont on voit
bien aujourd’hui qu’elle est
anti-démocratique et liberticide, mais
dont surtout on peut constater qu’elle
mène les peuples à la misère et à la
régression sociale. Plus que jamais,
l’élection présidentielle qui s’annonce
sera celle ou le choix de l’Euro ou de
l’austérité sera le plus clair. Elle
opposera deux visions de l’avenir de la
France, et deux cohérences.
Cette
cohérence reste cependant largement à
construire chez les opposants à cette
politique, soit de Nicolas
Dupont-Aignan, de Jean-Luc Mélenchon et
de Marine le Pen. Que cela soit possible
n’est pas encore certains. Le choix fait
par les 4,5 millions d’électeurs ce
dimanche 28 novembre a eu l’immense
mérite de faire émerger un projet
cohérent, mais qui sera mortel s’il
devait être appliqué. Il est donc du
devoir de ceux qui s’opposent à ce
projet de se hisser au même niveau de
cohérence afin que les français, dans
quelques mois, puissent choisir projet
contre projet.
Il
faudra donc construire une cohérence
alternative, en montrant à la fois tout
ce que l’euro impose mais aussi – et
surtout – tout ce qu’une sortie de
l’euro permet. Il faudra établir une
cohérence entre la macroéconomie et la
microéconomie, qui, elle, parle aux
français. Il faudra aussi établir une
cohérence entre cette sortie de l’euro
et les comptes sociaux, et montrer
comment un retour à une forte croissance
conduira au rééquilibrage et à la
stabilisation de ces dits comptes. Il
faudra, enfin, tirer toutes les
conséquences de cette sortie de l’euro
quant aux lois sociales, et en
particulier abolir la fameuse « loi
travail » dite encore loi el Khomri.
Sur la
base d’un projet cohérent, qui articule
à la fois le volet économique et le
volet social, qui redonne à la France sa
dynamique dans le concert des Nations,
et lui permet de faire de véritables
propositions tant par rapport aux
conflits qui aujourd’hui ensanglantent
le monde que par rapport à la nécessaire
coopération entre les Nations
européennes, on pourra s’opposer au
projet de François Fillon, le
déconstruire, et finir par le battre.
Tel doit être l’objectif.
Une
gauche en déshérence
Alors
que la « gauche » institutionnelle est
aujourd’hui clairement en morceaux, avec
l’affrontement désormais clairement
ouvert entre Manuel Valls et François
Hollande, les électeurs de gauche sont
en déshérence. Ce n’est certes pas la
candidature d’Emmanuel Macron qui
pourrait les attirer, ce dernier se
situant dans le même cadre, mais avec un
discours tout différent, de François
Fillon. Le simple fait qu’à Marseille,
Emmanuel Macron ait reçu le soutien de
Guérini devrait ouvrir les yeux à tous
ceux qui s’émerveillent sur la candeur
et la nouveauté du personnage. Il est en
réalité l’instrument d’une politique
vieille comme le monde, et d’intérêts
qui ne le sont pas moins.
Ce
n’est pas non plus une candidature
potentielle de Manuel Valls ou d’Arnaud
Montebourg qui pourra répondre aux
besoins et attentes de cet électorat.
Quant à une possible candidature de
François Hollande, elle apportera la
touche de ridicule final à cette
mandature commencée sous le signe de la
banalité et qui s’achève dans la
tragédie.
Ces
électeurs de gauche, qui ont été trompés
et méprisés par le parti « socialiste »,
il faut les réunir autour de ce projet
cohérent et leur montrer qu’il n’y a
plus de perspectives de progrès si l’on
reste dans la zone Euro. La dissolution
de cette dernière devient aujourd’hui la
question qui fera clivage entre la
gauche et la droite. Mais, pour arriver
à cela, il importe que la gauche
retrouve le sens de la République et
celui de la Nation, et qu’elle se
défasse définitivement des habitudes
clientélistes dans lesquelles le P « S »
l’a maintenu trop longtemps.
[1]
http://www.bernarddebre.fr/2016/11/22/lettre-ouverte-a-alain-juppe-2/
[2]
http://www.bfmtv.com/breves-et-depeches/contrairement-a-fillon-juppe-est-plus-proche-du-pape-francois-que-de-la-manif-pour-tous-1062000.html
[3] Voir mon ouvrage
Souveraineté, Démocratie, Laïcité,
Paris, Editions Michalon, 2016.
[4]
http://www.liberation.fr/france/2016/11/21/sacristie_1530009
[5] Voir Sapir J.,
« François Fillon, clarté et
incohérences », note postée sur le
carnet RussEurope, le 22 novembre
2016,
https://russeurope.hypotheses.org/5446
et Sapir J., « François Fillon, de
Gaulle et Jean Monnet », note postée sur
le carnet RussEurope, le 21
novembre 2016,
https://russeurope.hypotheses.org/5440
[6] Sapir J., L’Euro
contre la France, l’Euro contre l’Europe,
Paris, éditions du Cerf, 2016.
[7] Coll., L’Euro
est-il mort ?, Paris, Editions du
Rocher, 2016
[8] Stiglitz J.E.,
L’Euro : comment la monnaie unique
menace l’avenir de l’Europe, Paris,
Les Liens qui Libèrent, 2016.
[9] IMF, 2016
EXTERNAL SECTOR REPORT,
International Monetary Fund, juillet
2016, Washington DC, téléchargeable à :
http://www.imf.org/external/pp/ppindex.aspx
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