RussEurope
Grèves, blocages et cohérence
Jacques Sapir

© Jacques
Sapir
Mercredi 25 mai 2016
Le Premier-ministre, le gouvernement
et la presse aux ordres se déchainent
contre la CGT et qualifient les grèves
qui touchent les raffineries de
« terrorisme social ». Le discours tenu
aujourd’hui par Manuel Valls est en
contradiction complète avec celui qu’il
tenait en 2010. Vérité dans
l’opposition, erreur dans la
majorité…Mais, l’inquiétant est que, par
sa pratique, comme une gestion
exclusivement policière du mouvement ou
par l’usage abusif de l’article 49-3
pour faire passer la loi « El Khomri »,
tout comme par son langage, il installe
un climat de guerre civile en France. Il
le fait alors que nous vivons, du moins
en théorie, dans l’état d‘urgence. Ce
comportement parfaitement irresponsable
constitue aujourd’hui une menace pour la
paix civile.
La rançon de
l’UE et de l’Euro
La vérité, niée par le gouvernement
mais aujourd’hui largement révélée par
de multiples déclarations de dirigeants
de l’UE, est que cette loi El Khomri est
la rançon qu’il nous faut payer à
Bruxelles, à l’Union européenne et à
l’Euro pour faire admettre un déficit
dépassant les normes[1].
On sait que les diverses instances
européennes reprochaient à la France son
« manque » de réforme et la menaçaient
de procédures disciplinaires. De fait,
cette loi est la stricte application de
la « stratégie de Lisbonne » et des
«Grandes Orientations de Politique
Économique» qui sont élaborées par la
direction générale des affaires
économiques de la Commission européenne[2].
C’est pour cela que le gouvernement y
tient tant et qu’il ne veut, ni ne peut,
revenir sur sa décision.
Nous sommes donc rançonnés, ce qui
est logique car nous ne sommes plus
souverains. Mais, cette loi ne constitue
plus précisément une partie de
la rançon. Déjà Emmanuel Macron,
Ministre de l’économie annonce un
politique de modération salariale, soit
la diète pour les salariés, au moment
même ou il s’oppose à une mesure
similaire pour les patrons. Beau
raisonnement d’un homme qui confond un
gouvernement avec un conseil
d‘administration. Car, dans l’esprit de
Monsieur le ministre, est intégré le
fait que la France ne pouvant plus
dévaluer, elle ne peut rétablir sa
compétitivité que dans une course au
« moins disant/moins coûtant » salarial.
La volonté de ramener toute négociation
dans le strict cadre des « accords
d’entreprise » au détriment des accords
de branches ou des accords nationaux,
affaiblissant de manière dramatique le
rapport de force des salariés face aux
patrons.
Rapport de
force et légitime défense
Rapport de force, voilà bien le mot
qui fâche, mais qui néanmoins s’impose.
Il n’est de bonne négociation qu’avec un
rapport de force construit et, bien
souvent, pour qu’il en soit ainsi il
faut faire intervenir des agents
extérieurs à la négociation. Ce qui nous
conduit directement à la question des
grèves et des blocages actuels. Il y a
conflit, cela est évident pour tout le
monde.
Ce conflit oppose le gouvernement, et
au-delà une large partie de la « classe
politique » de « gauche » comme de
droite, à une large majorité de la
population, les sondages donnant de 70%
à 74% d‘opposants à cette loi[3].
La montée des protestations ayant eu
quelques échos au sein du parti dit
« socialiste », le gouvernement se vit
privé de majorité, et décida d’engager
l’article 49-3, ce qui n’est – ni plus,
ni moins – qu’un détournement éhonté de
procédure[4].
De ce point de vue, le recours à des
formes de luttes plus violentes
s’apparente à une légitime défense.
Une légitime défense sociale,
assurément, contre des mesures contenues
dans une loi qui ont été imposées de
l’étranger et au mépris des règles de la
démocratie, mais cette légitime défense
sociale n’en est pas moins légitime.
Il est clair que ces formes de luttes
créent un désordre, et touche des
personnes qui ne sont pas directement
impliquées. Mais, ce désordre ne fait
que répondre à un désordre premier, qui
résulte de l’usage du 49-3. Prétendre
alors s’offusquer de la conséquence et
non de la cause relève de la plus pure
hypocrisie. On ne peut condamner les
blocages que si, au préalable, on
condamne l’usage du 49-3, et plus
généralement la tactique du gouvernement
qui n’apporte que des réponses
policières à un mouvement social.
De fait Manuel Valls se révèle un émule
de Jules Moch.
Hypocrisies
et cohérence
Cependant, ce ne sont pas les seules
hypocrisies suscitées par ce mouvement
de protestation. Comment qualifier ainsi
l’attitude de dirigeants d’un parti qui
proclame à qui veut l’entendre son
opposition aux pratiques et aux
politiques édictées par l’UE, mais qui
n’a que « l’ordre » à la bouche quant il
s’agit des blocages des raffineries et
des dépôts de carburant. Pourtant, que
l’on sache, ils ne condamnent pas la
légitime défense de manière
systématique. Qu’ils réfléchissent donc
sur l’origine des désordres qu’ils
prétendent condamner et ils verront
toute l’incohérence de leurs positions.
Il y a aussi beaucoup d’hypocrisie
dans les condamnations des blocages par
ces députés d’opposition qui sont les
premiers à s’indigner contre les mesures
européennes et contre la perte de
souveraineté qu’elles entraînent, mais
qui ont un haut-le-cœur quand des
travailleurs passent concrètement à
l’action contre ces mesures.
Il y a, enfin, une hypocrisie immense
dans le comportement de ces membres du P
« S » qui condamnent sans la condamner
la loi El Khomri, et qui refusent de
dire les choses telles qu’elles sont
parce qu’ils comprennent bien que
l’origine première de ces dites choses,
c’est l’Union européenne et l’Euro.
Ce qui menace aujourd’hui la France,
c’est la combinaison de deux phénomènes.
D’une part, l’entêtement de ce
gouvernement qui n’est plus que le fondé
de pouvoir d’une puissance étrangère et
qui, pour ne pas déplaire à ses
véritables maîtres est prêt à plonger le
pays dans la guerre civile. D’autre
part, c’est l’hypocrisie généralisée de
beaucoup, et le manque de cohérence que
révèle cette hypocrisie. Car, nos
adversaires, ceux de Bruxelles et de
Francfort, ceux qui cherchent à imposer
en France ce qu’ils ont déjà imposé en
Grèce, en Espagne et en Italie, eux,
sont cohérents.
[1] Voir
http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/05/17/31001-20160517ARTFIG00137-ce-que-la-loi-el-khomri-doit-a-l-union-europeenne.php
[2] Voir le « Rapport pour la
France » établi en février 2016 par les
services de la commission européenne,
pp. 82 et ssq.
http://ec.europa.eu/europe2020/pdf/csr2016/cr2016_france_fr.pdf
[3]
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1512903-les-francais-hostiles-a-la-loi-el-khomri-le-peuple-a-ete-et-reste-tres-mal-informe.html
[4] Voir Sapir J., « Nous y voilà
(49-3) » note publiée sur le carnet
RussEurope le 11 mai 2016,
https://russeurope.hypotheses.org/4941
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