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Questions sur Nice (suite)
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Dimanche 24 juillet 2016
La polémique autour de l’attentat de
Nice vient de rebondir après les
déclarations au Journal du Dimanche
de la responsable de la police
municipale[1],
et la réaction, extrêmement (et
anormalement) violente du Ministre de
l’Intérieur qui menace cette personne
d’un procès en diffamation[2].
Cela déplace les questions que l’on
pouvait raisonnablement se poser sur le
terrain politique. Y-a-t-il une
tentative du Ministre de l’Intérieur
d’étouffer les interrogations légitimes
que l’on peut avoir au sujet des
conditions de sécurité ayant entouré le
feu d’artifice du 14 juillet ?
Il convient de bien préciser ce dont
il est question.
I. Les faits
Rappelons ici que c’est le journal
Libération qui a lancé le débat
dans un article du 21 juillet[3].
Or, il apparaît que seuls 2 policiers
municipaux assuraient le contrôle du
périmètre au point où le camion du
meurtrier est entré dans la partie
piétonne de la promenade des anglais et
ceci contrairement au communiqué du 16
juillet du Ministre de l’Intérieur qui
dit : «La mission périmétrique était
confiée pour les points les plus
sensibles à des équipages de la police
nationale, renforcés d’équipages de la
police municipale. C’était le cas
notamment du point d’entrée du camion,
avec une interdiction d’accès
matérialisée par le positionnement de
véhicules bloquant l’accès à la
chaussée. Le camion a forcé le passage
en montant sur le trottoir.»
[4].
De plus, aucune chicane en béton
susceptible d’arrêter, ou du moins de
ralentir, le camion du terroriste
n’était déployée, ni à cet endroit ni
370 mètres plus loin, là où se trouvait
la patrouille de 4 hommes de la police
nationale. Or ces chicanes sont des
instruments standards tant de la police
municipale que de la police nationale.
Dès lors se pose la question de
savoir pourquoi une telle chicane
n’avait pas été déployée. Si la Mairie
de Nice ne l’a pas décidée (ce qui est
une faute grave) pourquoi le Préfet des
Alpes-Maritimes, qui est l’autorité de
dernière instance en matière de sécurité
d’événements publics, n’a-t-il pas exigé
que cela soit fait ? Le Préfet avait
autorité pour interdire cet
événement s’il considérait que les
conditions de sécurité n’étaient pas
remplies. S’il ne l’a pas fait, cela
signifie qu’il considérait les
conditions de sécurité comme
« suffisante ». Il porte donc une
responsabilité directe dans le
drame qui s’est déroulé. Sa démission
s’impose.
II. Les
témoins
Que dit maintenant la responsable de
la vidéosurveillance de Nice[5] :
« Je me rappellerai toute ma vie de
cette heure-là : 22h33. J’étais devant
les écrans du CSU avec les équipes. Nous
recevons alors des policiers municipaux
positionnés sur la promenade le
signalement d’un camion fou. Nous
récupérons tout de suite son image à
l’écran et nous demandons son
interception. Le camion était lancé à
90 km/h, sans phares, sans qu’on
l’entende à cause du bruit. Il contourne
le barrage de la police municipale. Les
équipes n’ont pas pu l’arrêter. On ne
crève pas les pneus d’un 19 tonnes avec
un revolver! À ce moment-là, d’autres
policiers municipaux sont en civil dans
la foule, qui se retrouvent face à lui.
S’ils avaient été armés comme nos
collègues de la police nationale, une de
nos revendications, ils auraient pu le
stopper. Le poids lourd se retrouve
finalement face aux policiers nationaux,
qui tirent et le neutralisent. Il est 22
h 34. » Notons que si des tirs
d’armes de poing sont effectivement
inefficace sur les pneus du camion, ils
peuvent toucher le moteur, le mettre
hors d’usage, et surtout tuer le
conducteur. Nous avons ici un indice que
la police municipale n’était pas
préparée psychologiquement ni
matériellement à ce type d’intrusion.
Cela confirme que ce scénario n’avait
pas été envisagé, en dépit de
précédents. Mais il n’était pas envisagé
non plus par la police nationale, et le
préfet, non plus !
Quand on lui pose la question
Étiez-vous préparée à une telle attaque?,
elle répond : « J’avais dispensé à
mes équipes des formations pour détecter
les comportements suspects et savoir
réagir en cas d’attaque terroriste.
Heureusement! Le camion est repéré vingt
secondes après son entrée sur la
promenade par la police municipale. Il
n’y a pas un moment où, à l’écran, mes
agents vont le lâcher. Je suis sidérée
par les accusations sur notre travail,
sur le fait que nous ne l’ayons pas
détecté en amont lors de ses repérages
sur la promenade les jours précédents.
Ce soir-là, le terroriste est neutralisé
en une minute, contre deux heures au
Bataclan – je suis désolée pour la
comparaison malheureuse. Nos équipes ont
été incroyablement réactives, pleines de
sang-froid alors qu’elles ont vu et subi
l’horreur. Il faudrait leur dire merci».
Si les équipes de la police municipale
ont effectivement été réactives, ce type
d’attentat n’avait cependant pas été
anticipé. Très clairement on s’attendait
à une bombe, ou qu’un terroriste
actionne une ceinture explosive mais pas
à l’attaque à l’aide d’un véhicule alors
que l’on sait que c’est une tactique
possible, et qu’elle a été déjà utilisée
en France. Et c’est là le problème
mettant en cause tant les autorités
municipales que le préfet.
III. Une
tentative d’étouffer la vérité ?
Venons-en maintenant à la partie
« politique » qui met en cause
directement le Ministre de l’intérieur,
M. Bernard Cazeneuve. Il est clair qu’il
y a de sérieuses différences entre ce
que dit le Ministère de l’Intérieur et
la réalité. La responsabilité du préfet
n’est pas reconnue. De plus, la demande
de la justice et de la sous-direction
antiterroriste de la Police Judiciaire
(SDAT), qui réclament donc l’effacement
complet des enregistrements pris entre
le 14 juillet 22h30 et le 15 juillet
18 heures pour toutes les caméras ayant
une vue sur la scène de l’attentat dans
le souci (respectable) « d’éviter la
diffusion non contrôlée de ces images »
et en particulier le risque que ces
images ne soient utilisées sur des sites
djihadistes[6]
apparaît comme surprenante. Ces images
sont sous séquestre et ne peuvent être
utilisée QUE par la justice. Est-on en
présence, comme le dit l’avocat de la
ville de Nice Philippe Blanchetier, dans
une déclaration à l’agence Reuters[7],
d’une « réquisition aux fins
d’effacement de preuves (…).
L’argument avancé de risque de fuite ne
tient pas. » ?
Dans ce contexte, si ce que dit la
responsable de la vidéosurveillance,
Sandra Bertin, policière municipale et
secrétaire générale du Syndicat autonome
de la fonction publique territoriale
(SAFPT) de Nice, est vrai, soit : « Le
lendemain des attentats, le cabinet du
ministre de l’Intérieur a envoyé un
commissaire au CSU qui m’a mise en ligne
avec la Place Beauvau. J’ai alors eu
affaire à une personne pressée qui m’a
demandé un compte rendu signalant les
points de présence de la police
municipale, les barrières, et de bien
préciser que l’on voyait aussi la police
nationale sur deux points dans le
dispositif de sécurité. Je lui ai
répondu que je n’écrirais que ce que
j’avais vu. Or la police nationale était
peut-être là, mais elle ne m’est pas
apparue sur les vidéos. Cette personne
m’a alors demandé d’envoyer par e-mail
une version modifiable du rapport, pour
« ne pas tout retaper ». J’ai été
harcelée pendant une heure, on m’a
ordonné de taper des positions
spécifiques de la police nationale que
je n’ai pas vues à l’écran. À tel point
que j’ai dû physiquement renvoyer du CSU
l’émissaire du ministère! J’ai
finalement envoyé par e-mail une version
PDF non modifiable et une autre
modifiable. Puis, quelques jours plus
tard, la sous-direction antiterroriste
m’a demandé d’effacer les bandes des
six caméras que j’ai mentionnées dans
mon rapport, celles qui ont filmé la
tuerie [8]»,
l’affaire devient très grave. Le
principe « le Prince couvre le sujet »
s’applique. Il impose la démission du
Ministre de l’intérieur M. Bernard
Cazeneuve.
Au-delà les réactions du gouvernement
apparaissent pour le moins curieuse, et
la déclaration de J-M Le Guen[9]
pose un véritable problème de morale et
de politique. Une commission d’enquête
parlementaire s’impose. Ses conclusions,
si elles confirmaient que l’on est en
présence d’une tentative organisée
d’étouffer la vérité, devraient
entrainer la démission de l’ensemble du
gouvernement.
[1]
http://www.lejdd.fr/Societe/La-policiere-responsable-de-la-videosurveillance-a-Nice-accuse-le-ministere-de-l-Interieur-798751
[2]
http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/07/24/nice-cazeneuve-porte-plainte-pour-diffamation-apres-les-accusations-d-une-policiere-municipale_4974023_1653578.html
[3]
http://www.liberation.fr/france/2016/07/20/securite-a-nice-370-metres-de-questions_1467531
[4] Cité d’après Libération,
http://www.liberation.fr/france/2016/07/20/securite-a-nice-370-metres-de-questions_1467531
[5]
http://www.lejdd.fr/Societe/La-policiere-responsable-de-la-videosurveillance-a-Nice-On-m-a-mise-en-ligne-avec-le-ministere-de-l-Interieur-798793
[6]
http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/07/22/la-justice-ordonne-a-la-ville-de-nice-de-supprimer-les-images-de-l-attentat-la-mairie-refuse_4973376_3224.html
[7]
http://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKCN1020UJ
[8]
http://www.lejdd.fr/Societe/La-policiere-responsable-de-la-videosurveillance-a-Nice-On-m-a-mise-en-ligne-avec-le-ministere-de-l-Interieur-798793
[9]
http://www.bfmtv.com/politique/attentat-de-nice-pour-jean-marie-le-guen-critiquer-l-etat-est-dangereux-pour-la-democratie-1009413.html
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