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Contre-spéculation sur le rouble
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mardi 23 décembre 2014
La journée de lundi 22 a vu se
poursuivre le mouvement à la hausse du
rouble. Elle a même été marquée par une
spéculation POUR le rouble et CONTRE le
dollar américain USD ainsi que le
prouvent les mouvements sur le marché
des changes. C'est donc à un
renversement spectaculaire par rapport à
la situation de la semaine dernière que
l'on assiste. Ce renversement laisse
tout les "experts" qui tels des oiseaux
de mauvaise augure ne cessaient de
prévoir le pire pour l'économie russe
sans voix. Il confirme la confiance que
l'on peut avoir dans les fondamentaux de
l'économie russe qui restent très sains.
Une petite explication de ce qui est
survenu aujourd'hui s'impose néanmoins.
La journée commence en effet avec un
taux de change de 58 roubles pour 1 USD.
Les spéculateurs vendent leurs dollars
et achètent massivement du rouble avant
l’ouverture de la séance, ce qui fait
chuter le taux de change en quelques
minutes à 56 r/1USD marquant ainsi une
appréciation du rouble. Il
remonte après ces achats puis commence à
s’apprécier à nouveau et atteint 54,5
roubles pour 1 USD vers 15h. Les
spéculateurs vendent alors leurs roubles
pour acheter du dollar provoquant une
remontée du taux de change vers 56r/1USD
mais la demande pour le rouble est telle
que cette dépréciation du rouble
ne dure pas et il revient, en fin de
séance vers les 54r/1USD.
Graphique 1
Mouvements du rouble face au dollar le
22/12
Ce processus est, bien entendu le
résultat de la contre-attaque des
autorités depuis mercredi dernier. Il
correspond aussi à l’officialisation de
l’annonce du soutien de la Banque
Centrale de la Chine (la PBOC) qui
garantit à la Banque Centrale de Russie,
dont les réserves sont déjà importantes
(420 milliards de dollars) qu’elle
pourra compter sur l’immense masse de
manœuvre de la PBOC (dont les réserves
sont estimées à 4000 milliards de
dollars). Il n’y a très clairement plus
d’avenir à une spéculation contre
le rouble. Mais, il y a toujours des
spéculateurs sur le marché. Ces derniers
ont donc décidé de jouer désormais
pour le rouble. On peut, et on doit,
considérer cela comme un signe positif,
mais il faut cependant rappeler
plusieurs choses :
- Une spéculation pour le
rouble signale néanmoins le maintien
d’anticipations spéculatives sur le
marché des changes. Le calme n’est
donc pas encore revenu.
- Cette spéculation pour le
rouble pourrait entraîner le rouble
trop loin. S’il est bon de revenir à
un taux de change compris entre 50
et 55 roubles pour 1 USD il ne
faudrait pas que le rouble monte
au-delà de 50 (peut-être jusqu’à
42-45) car, en ce cas, cela poserait
des problèmes fiscaux au
gouvernement. Tant que le prix du
baril de pétrole restera compris
entre 55 USD et 60 USD le taux de
change normal pour la rouble se
situera entre 50 et 55 roubles pour
1 USD. Pour que le rouble puisse
remonter au-delà de 50r/1USD il
faudra attendre que le baril de
pétrole monte au-delà de 70 USD, ce
qui devrait survenir vers mars-avril
de 2015.
- Le problème risque de se poser
avec acuité dès le début du mois de
janvier. Les remboursements des
entreprises et des banques seront
très faibles en janvier par rapport
à ce qu’ils étaient en décembre. Les
achats de produits importés (en USD)
vont se tarir après les fêtes de
Noël. Tout se met en place pour une
remontée brutale du rouble qui
pourrait être aussi déstabilisatrice
que sa baisse brutale. Bien sûr, un
tel mouvement peut se contrôler par
la Banque Centrale qui achètera des
dollars (et vendra des roubles).
Mais, si ce mécanisme peut lui
permettre d’augmenter ses réserves
il aboutit à injecter des roubles
dans l’économie, et cela en période
où l’inflation sera forte.
Ces différents facteurs font que la
question d’un possible contrôle des
capitaux reste posée aujourd’hui en
Russie. Le gouvernement ne veut pas
entendre parler du contrôle des
changes, et il a très probablement
raison dans la situation actuelle. Mais,
le contrôle des capitaux revient
à laisser le marché des changes
fonctionner librement tout en régulant
les quantités de capitaux qui, dans un
sens ou dans un autre, viennent sur ce
marché. D’ailleurs, c’est déjà ce qu’a
fait la Banque Centrale de Russie en
modifiant temporairement sa
réglementation prudentielle pour les
banques le 17 décembre afin de limiter
leurs besoins en dollars. L’introduction
d’une réglementation portant sur les
mouvements de capitaux à court terme, à
l’entrée comme à la sortie, serait alors
une mesure complémentaire aux mesures
déjà prises. Le gouvernement dispose de
deux à trois semaines pour prendre ces
mesures. Elles auraient l’immense
avantage de déconnecter le taux
d’intérêt du marché des changes. Ceci
permettrait de faire baisser le taux
d’intérêt à un niveau plus compatible
avec l’investissement, c’est à dire en
le ramenant vers 10,5% alors qu’il est
actuellement de 17%. Sinon, le
gouvernement sera contraint, s’il ne
veut pas sacrifier l’investissement,
d’user de méthodes administratives
(comme des subventions d’investissement
ou des crédits bonifiés) afin de
compenser un taux d’intérêt bien trop
élevé.
La Russie a traversé une grave
attaque spéculative et semble tirée
d’affaires désormais. Mais, ceci ne
garantit pas encore un retour à une
situation normale. Si le gouvernement
veut limiter le choc sur la croissance
de cette attaque le plus possible et
mettre en place les conditions qui
permettront à l’activité de se
développer en profitant des avantage
d’une large dépréciation du rouble qui
redonne à l’économie sa compétitivité,
il doit impérativement agir de manière
décisive dans les semaines qui viennent.
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