RussEurope
Les leçons de l’Autriche
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Lundi 23 mai 2016
La victoire du candidat des « Verts »
à l’élection présidentielle en Autriche,
et l’échec (de peu) du candidat du FPÖ,
avec une différence d’environ 30 000
voix sur 4,5 millions de votants (soit
0,66%), pourrait apparaître comme
anecdotique. Elle l’est d’une certaine
manière. Mais, ce scénario révèle un
problème récurrent pour les partis
populistes, que ce soit en Autriche, en
France, ou ailleurs. On dira que la
progression du candidat du FPÖ a été
impressionnante entre le premier et le
second tour. Mais, elle ne lui a pas
permis de gagner. Et, en un sens, cela
recoupe le constat que l’on pouvait
faire à l’occasion des élections
régionales en France, en décembre
dernier[1].
L’union des
contraires
Un premier constat doit être dressé :
les partis populistes, surtout quand ils
sont issus de l’ancienne extrême-droite,
continuent de faire peur. Ceci reste
vrai quel que soit le chemin qu’ils ont
parcouru. On peut l’expliquer de
plusieurs façons : la première est le
stigmate « extrême-droite » qui leur
reste collé, à tort ou à raison ; ce
stigmate est régulièrement ravivé par
des déclarations de certains membres de
ces dits partis. Notons que des
déclarations tout aussi scandaleuses
peuvent être faites par des
représentants des autres partis, et ne
pas avoir les mêmes conséquences
politiques[2].
La seconde raison provient de
positionnement clivant sur des sujets
« sociétaux ». Or, une partie importante
de l’opinion est particulièrement
sensibles à ces sujets, non qu’elle y
attache une valeur fondamentale mais
simplement parce-que ces sujets
constituent des « marqueurs » dans une
société ouverte. Ainsi, les sujets
sociétaux n’entraineront jamais un vote
d‘adhésion mais tout ce qui pourrait
paraître comme des positions
intolérantes inquiète suffisamment une
partie majoritaire de l’électorat.
Le problème pour ces partis
populistes consiste donc à ne pas
transformer en adversaires des électeurs
qui pourraient, en d’autres
circonstances se révéler sensibles aux
thématiques politiques qu’ils
développent. Car, et le paradoxe n’est
ici qu’apparent, c’est sur le terrain
politique que ces partis ou mouvements
enregistrent leurs plus grands succès.
C’est sur la base d’une
décrédibilisation massive du discours
politique traditionnels, mais couplés à
un besoin d’un nouveau discours
politique que ces partis prospèrent. Ce
qui, en passant, impliquent qu’ils sont
le symptôme d’une crise de la
politique et non du politique.
De fait, ils se situent pleinement dans
un espace démocratique au moment ou
certains des partis traditionnels en
sortent, comme on peut le constater en
France.
La
contradiction du populisme
Mais, il faut aussi faire un autre
constat. Le discours « on est contre… »,
et ce quel que soit le sujet, et même si
une opposition est parfaitement légitime
et justifiée, que ce soit contre l’UE,
contre l’Euro ou contre la loi El Khomri,
ne convainc pas. Ou, plus précisément,
ce message d‘opposition, s’il convainc
une partie de l’opinion en effraie une
autre qui, tout en mesurant les
problèmes que posent certaines
institutions, voire en les
désapprouvant, se révèle emplie de
crainte face à l’inconnu. De ce point de
vue le principal adversaire des partis
et mouvements populistes c’est le
conservatisme d’une partie de l’opinion.
Il est d‘ailleurs frappant de voir à
quel point les politiciens des appareils
traditionnels utilisent cette peur de
l’inconnu. Elle est, aujourd’hui le seul
argument qu’il leur reste.
Ce conservatisme ne serait pas
désarmé mais au contraire renforcé par
une « modération » des volets politiques
du programme. Ce n’est donc pas tant
dans la direction d’une soi-disant
« modération » que ces partis peuvent
espérer trouver la solution face au
problème qu’ils affrontent : des succès
de premier tour et un échec au final
lors du second. C’est au contraire en
levant le voile de l’incertitude de ce
que serait leur politique s’ils étaient
en mesure de l’appliquer qu’ils pourront
résoudre ce problème. Mais, cela
implique de ne plus se situer uniquement
dans le registre de la dénonciation. Or,
cette importance de la dénonciation est
l’une des caractéristiques du populisme.
C’est là où git la contradiction.
Penser cette
contradiction
Il convient donc de revenir aux bases
fondamentales de la situation. Que ce
soit en Autriche, en Grande-Bretagne ou
en France, le constat de carence et
d‘échec des diverses institutions, de
l’Euro à l’UE en passant par le système
fiscal, le système éducatif et les
pratiques et les modes de gouvernement,
est largement dressé par une part
majoritaire de la population. Mais,
cette dernière attend de savoir ce que
l’on mettra à sa place. Bien sûr, les
attentes peuvent être opposée, voire
contradictoires. Mais, un programme
annoncé, structuré et cohérent, même si
l’on peut avoir à son égard des
désaccords, est bien moins inquiétant
que la perspective d’un saut dans
l’inconnu.
C’est sur la base d‘un tel programme
que des alliances pourront être
élaborées et concrétisées. Car, faute
d’un véritable programme, ces alliances
desserviraient ces partis ou mouvements,
même si elles peuvent permettre à
certains de leurs membres de faire une
carrière personnelle. Dans le cas
français, ce qu’attendent les électeurs
c’est un programme qui les assure que la
politique économique changera
véritablement et servira le plus grand
nombre et non une minorité, c’est un
programme qui les assure que l’Etat
social sera défendu, c’est un programme
qui les assure que ce qui fait
l’identité françaises sera préservé,
c’est un programme qui les assure que la
politique étrangère française retrouvera
son indépendance et la France son rôle
international.
C’est donc sur la base d’un tel
programme que des alliances pourront
être noués et que les préventions d’une
partie de l’électorat pourront être
désarmées.
Le question qui est donc posée par le
résultat de l’élection présidentielle
autrichienne est de savoir si les partis
et mouvements populistes qui aujourd’hui
se développent en Europe sauront, et
pourront, dépasser ce populisme et
présenter à leurs électeurs un programme
cohérent, articulé, et répondant aux
aspirations de la majorité de leurs
électeurs. Ceux qui y parviendront
briseront de manière définitive ce
« plafond de verre » sous lequel on
entend les cantonner.
[1] Sapir J. « Résultats et
conséquences », note publiée sur
RussEurope le 15 décembre 2015,
https://russeurope.hypotheses.org/4568
[2] Sapir J., « Guerre et Concorde
civile », note publiée sur
RussEurope le 20 décembre 2015,
https://russeurope.hypotheses.org/4573
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