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Hollande, un prix et l’indignité
Jacques Sapir
Mercredi 21 septembre 2016
Le Président François Hollande est allé
chercher le 19 septembre 2016 un prix
décerné par une fondation américaine.
Ainsi, huit ans après
Nicolas Sarkozy,
François Hollande a été désigné
« homme d’État de l’année » par la
fondation The appeal of conscience
et a reçu sa distinction ce lundi à New
York des mains de l’ancien Prix Nobel
Henry Kissinger et du rabbin Arthur
Schneier[1].
Il est humain de céder aux honneurs.
Après tout Nicolas Sarkozy avait reçu ce
prix avant lui, ce qui n’est pas
nécessairement une référence. Mais il
est sage de chercher à en savoir un peu
plus sur qui vous honore.
Une indignité
Cette fondation a été créée en 1965
par le rabbin Arthur Schneier pour
défendre la liberté religieuse et les
droits de l’homme à travers le monde[2].
Rassemblant le monde des affaires et des
responsables religieux, elle cherche à
promouvoir les dirigeants qui ont promu
la paix, la tolérance, et qui ont œuvré
pour la résolution des conflits. Jusque
là, il n’y a rien à dire. Mais, la
première chose qui dérange est le
précédant récipiendaire de la
distinction « d’homme de l’année ». Ce
n’était autre que le Président du
Mexique, M. Enrique Peña Nieto. Qui ne
s’est pas spécialement distingué dans la
paix, la tolérance, et la résolution des
conflits.
Et puis, la présence à la cérémonie
d’Henry Kissinger, suscite plus qu’un
trouble. Rappelons, pour les jeunes
générations, qu’Henry Kissinger, alors
ministre des affaires étrangères
(Secrétaire d’Etat) de Richard Nixon, a
été l’homme qui a suscité le coup d’Etat
de 1973 au Chili et la prise de pouvoir
des généraux argentins en mars 1976, qui
s’est accompagnée de ce que l’on appelle
la « sale guerre ». Ces coups d’Etat ont
fait des centaines de milliers de
victimes et encore aujourd’hui le
souvenir des « disparus », torturés et
assassinés par ces dirigeants militaires
hante la mémoire du Chili et de
l’Argentine. Lors de son récent voyage à
Buenos-Aires le président Barack Obama a
été accueilli par des manifestants qui
demandaient aux Etats-Unis des
explications pour leur implication dans
ce qui reste comme l’un des chapitres
les plus sombre de l’Argentine. Jon Lee
Anderson, dans le NewYorker
pose la bonne question : Henry Kissinger
a-t-il une conscience[3] ?
Et la réponse, bien évidemment, est non.
Henry Kissinger avait apporté son
soutien à ces généraux, tout comme il
avait soutenu les généraux chiliens. A
sa demande, le Congrès des Etats-Unis
avait voté des budgets incluant une aide
militaire importante pour les généraux
argentins. Les mains d’Henry Kissinger
sont tachées du sang des argentins et
des chiliens, mais aussi de bien
d’autres, car durant les années où il a
exercé les fonctions de ministre des
affaires étrangères des Etats-Unis, il
n’a eu de cesse de promouvoir la plus
brutale et la plus sanguinaire des
politiques.
Une liste a été établie par Dan
Froomkin (et traduite par Laurent
Schiaparelli) qui a a été publiée sur le
site du
SakerFrancophone
- Il a inutilement prolongé la
guerre du Vietnam de cinq années.
- Il a fait bombarder illégalement
le Cambodge et le Laos.
- Il a poussé Nixon à mettre sur
écoute ses équipes et des
journalistes.
- Il porte la responsabilité de
trois génocides, au Cambodge, au
Timor oriental et au Bangladesh.
- Il a encouragé Nixon à
poursuivre Daniel Ellsberg pour
avoir publié Les papiers du
Pentagone, déclenchant ainsi un
enchaînement d’événements qui ont
précipité la chute du gouvernement
Nixon.
- Il a renforcé l’ISI, les
services secrets pakistanais, et les
a encouragés à utiliser un islam
politique pour déstabiliser
l’Afghanistan.
- Il a été à l’origine de la
politique, addictive pour les
États-Unis, de pétrole-contre-armes
avec l’Arabie saoudite et avec
l’Iran avant sa révolution.
- Il a encouragé d’inutiles
guerres civiles en Afrique
subsaharienne, qui, au nom d’un
soutien au suprémacisme blanc, ont
laissé dans leur sillage des
millions de morts.
- Il a soutenu d’innombrables
coups d’État et escadrons de la mort
en Amérique latine.
- Il s’est acquis les bonnes
grâces de la première génération de
néo-conservateurs, les Dick Cheney
et Paul Wolfowitz, qui ont amené le
militarisme américain à un niveau
supérieur de désastre pour le pays.
Dès lors, on peut s’interroger sur le
trouble qu’a pu ressentir François
Hollande quand il a reçu cette
distinction des mains certes tremblantes
mais toujours ensanglantées d’Henry
Kissinger. A-t-il eu une pensée pour
toutes les personnes torturées et
assassinées, pour les citoyens français,
qui ont été victimes des politiques
suscitées ou soutenues par ce « cher
Henry » ? Il n’y a pas de plus
symbolique reniement des principes de la
gauche que l’acceptation de la présence
d’Henry Kissinger lors de la remise de
ce prix. Et cela confirme ce que l’on
écrivait dans une autre note : la
véritable extrême-droite s’incarne
aujourd’hui dans des hommes et des
femmes qui, de François Hollande à
Nicolas Sarkozy, en passant par Alain
Juppé et quelques autres, mettent en
œuvre une politique dangereuse tant à
l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.
Une plaisanterie?
Mais qu’ont dû penser les
responsables de Appeal of Conscience
quand ils ont décidé d’attribuer le prix
pour l’année 2015 à François Hollande ?
Ils ne pouvaient ignorer la détestation
qui entoure l’homme et sa politique. Le
plus probable est qu’il ont voulu faire
une plaisanterie et donner à « monsieur
petites blagues » une leçon d’humour
juif new-yorkais. Cette plaisanterie
renvoie au folklore juif d’Europe
centrale et fait référence à l’histoire
suivante, que j’avais entendue enfant de
la bouche d’amis de mon père :
Un jour, dans un ghetto situé entre
Lvov et Cracovie, vivait un très
misérable tailleur prénommé Moishe. Il
vivait avec sa femme et ses six enfants,
avec sa mère qui perdait un peu la tête,
dans une pièce unique et insalubre. A
bout de forces et de nerfs, il alla voir
le rabbin et lui dit : « Rabbin, que
dois-je faire ? Je n’ai plus la force de
coudre alors que mes enfants crient dans
la pièce, que ma femme se dispute avec
ma mère, que c’est toujours le
confusion ». Et le rabbin, après avoir
réfléchi un instant lui dit : « Moïshe,
achètes-toi une chèvre ». Et Moïshe, qui
avait confiance dans le bon sens du
rabbin fait ce que ce dernier lui a dit
de faire : il achète une chèvre. Et là,
la situation devient catastrophique. La
chèvre court et bondit dans la pièce,
mange le tissu sur lequel travaille
Moïshe, fait des crottes partout. Alors
Moïshe se précipite vers le rabbin et
lui dit : « Oh, rabbin, qu’avez
vous fait ? C’est l’enfer que vous me
faites vivre ». Alors le rabbin lui
dit : « Moïshe, vend maintenant la
chèvre… ». Et, là encore, Moïshe dont la
confiance dans les avis du rabbin n’a
pas été ébranlée, fait ce que le rabbin
lui a dit de faire. Trois jours
s’écoulent, et Moïshe vient pour le
Shabbat à la pauvre Synagogue du lieu et
il voit le rabbin. Et il se précipite
vers lui, tombe à ses genoux, les
embrasse et dit « Rabbin, vous m’avez
sauvé la vie, maintenant tout est calme
à la maison depuis que j’ai vendu la
chèvre. Je n’entends plus mes enfants
crier, ni ma femme et ma mère se
disputer ».
Certains, à la lecture de cette
histoire vont me dire : « comment, vous
osez comparer François Hollande,
Président de la république, à une
chèvre ? » A ceux la, je répliquerai par
une autre histoire, que l’on racontait
dans la Pologne sous le joug soviétique,
quand un commissaire de police vit
entrer un homme en furie qui hurlait
« un soldat suisse vient de me voler ma
montre russe ». Le commissaire, un
instant interloqué, lui dit « calmez
vous. Vous vouliez dire: un soldat russe
vous a volé votre montre suisse ? » Et
l’homme de rétorquer « ce sont vos
propres mots, monsieur le commissaire,
ce sont vos propres mots »…
[1]
http://www.lepoint.fr/monde/francois-hollande-recoit-le-prix-d-homme-d-etat-de-l-annee-20-09-2016-2069810_24.php
[2]
http://www.appealofconscience.org
[3]
http://www.newyorker.com/news/news-desk/does-henry-kissinger-have-a-conscience
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