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NICE: le chagrin, le dégoût, la colère
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Dimanche 17 juillet 2016
L’attentat de Nice est l’attentat de
trop. Bien sûr, on ne peut qu’être
frappé d’horreur, comme nous l’avions
été à de multiples reprises depuis
janvier 2015 et le massacre commis à
Charlie Hebdo[1].
On a déjà dit ce qu’il fallait en
penser. On est saisi de chagrin, de
dégoût, mais aussi de colère.
La répétition de ces actes est un
fait en lui-même. Il désigne aussi la
réaction inadaptée et fautive du
Président de la République et du
gouvernement. Ces derniers ont-ils fait
tout ce qui était en leur pouvoir pour
tenter de prévenir la répétition de ces
actes atroces ? Ont-ils fait ce qui
s’imposait pour rétablir la concorde
civile dans le pays ? On peut craindre
que la réponse soit négative. Or, ces
deux taches, assurer la sécurité de
chacun et maintenir la concorde civile
sont les deux taches qui fondent la
légitimité des gouvernants. Toute
faillite sur ce point ouvre une crise de
légitimité.
Le retour de
l’état d’urgence
Le Président avait décidé d’invoquer
l’état d’urgence la tragique nuit du 13
novembre. Cet acte constituait un acte
de souveraineté[2]
et n’aurait pas dû être galvaudé. Mais
il fut détourné de sa fonction et
transformé en machine de contrôle social
par un pouvoir certes prompt à la
compassion des regrets éternels mais pas
à la justice et encore moins à l’action.
Rien de tout cela, cependant, ne devrait
nous étonner de la part d’un pouvoir qui
s‘avère incapable de nommer l’ennemi[3].
Car l’état d’urgence, dans le contexte
du 13 novembre et des attentats qui ont
suivi ne prenait sens que si l’on se
décidait enfin à désigner clairement
l’ennemi[4].
Il faut donc revenir à
l’idéologie-prétexte de ce terrorisme
djihadiste qui nous a déclaré la guerre,
car elle structure les comportements
qu’il nous faut combattre. Ce n’est pas
l’Islam en général qui est en cause,
mais la montée actuelles des idées
salafistes et wahhabites, qui
constituent un courant très particulier
de l’islam, une lecture littérale, et
qui sont financées par certains pays,
dont l’Arabie Saoudite ou le Qatar. Et
il convient aussi de poser la question
de notre politique étrangère vis-à-vis
de ces pays.
L’état d’urgence eut dû être utilisé
pour prendre rapidement quelques mesures
simples comme l’interdiction du
financement étranger direct des
lieux de culte et associations
cultuelles, mesure qu’il était facile de
faire passer par décret. Cette mesure
n’interdit pas les financements
extérieurs, mais impose que les sommes
soient versées dans une caisse commune,
sous le contrôle du Ministère de
l’intérieur et du Ministère des
finances, qui répartissent alors les
fonds de cette caisse après s’être
assurés de l’innocuité politique des
organisations ainsi financées. Mais,
pour imposer cela, encore eut-il fallu
qu’il y ait un Etat en France.
Des mesures
de salubrité publique et une
capitulation politique
De même on eut pu imposer le contrôle
par le Ministère de l’intérieur des
prêches et expulsion des prédicateurs
refusant les principes figurant dans le
préambule de la Constitution, et en
particulier l’article premier repris du
préambule de la Constitution de 1946, et
écrit au sortir de la guerre contre le
nazisme[5],
ainsi que ceux appelant à la haine. Ceci
ne se fait que bien timidement et bien
imparfaitement aujourd’hui. Mais, les
bonnes âmes de la « gauche » bien
pensante se refusent à faire ce travail
ou ne le font qu’avec répugnance.
A sa place ils tiennent le discours
« ne faisons pas d’amalgame, ne tombons
pas dans « l’islamophobie » ». De quoi
s’agit-il? S’il s’agit de dire que tous
les musulmans ne sont pas des
terroristes, c’est une évidence. Il est
bon et sain de le répéter, mais cela ne
fait guère avancer le débat. Mais, le
discours sur l’islamophobie peut aussi
avoir un autre sens, et celui-ci bien
plus contestable. A vouloir combattre
une soi-disant « islamophobie » on
prépare le terrain à une mise hors débat
de l’Islam et des autres religions.
C’est une erreur grave, dont les
conséquences pourraient être terribles.
Elle signe la démission intellectuelle
par rapport à nos principes fondateurs,
principes qui vont bien au-delà du
rapport à une religion particulière. Ce
discours entérine la confusion entre
valeurs et principes. Il capitule
intellectuellement devant l’ennemi. Nous
en sommes là.
A quoi sert
l’état d’urgence ?
De la même manière, l’état d‘urgence
eut pu permettre un contrôle généralisé
des frontières assortie de
l’interdiction aux français étant allés
combattre dans une organisation
terroriste et génocidaire le retour sur
le territoire national. Le Président de
la République a préféré mettre en débat
la déchéance de nationalité, tout en
sachant les polémiques que ceci allait
provoquer[6].
Il dû déclarer le mercredi 30 mars 2016,
qu’il abandonnait son projet de faire
entrer dans la Constitution la
« déchéance de nationalité » et l’état
d’urgence. Par cette déclaration il
révélait son incapacité à gérer la
situation issue des attentats du 13
novembre 2015. Par cette déclaration il
reconnaissait ce que nous savions déjà
depuis plusieurs mois : il n’était plus
qu’un cadavre politique.
L’interdiction de retour sur le
territoire, qui n’est que la forme
moderne de l’antique bannissement eut
été plus simple à imposer et aurait
posée moins de problèmes. Mais, pris
dans les contradictions de son
idéologie, soumis par dessus tout aux
Diktats de l’Union européenne,
il s’est enferré dans un débat sans
issue.
Résumons nous. Un état d’urgence est
conçu par le législateur pour faire face
à une situation exceptionnelle
qui empêche les institutions de
fonctionner ou qui à tout le moins rend
leur fonctionnement problématique. Il se
justifiait dans la nuit tragique du 13
au 14 novembre, mais il devait alors
s’accompagner de mesures rapides et
exceptionnelles, visant à ramener la
France dans une situation normale. Or,
ce à quoi on assiste aujourd’hui c’est
une éternalisation de cet état
d’urgence, qui se confond alors avec un
« état de guerre ». Mais, si nous sommes
en guerre, alors souvenons-nous de ces
mots que Georges Clémenceau prononça à
la Chambre des Députés le 8 mars 1918 et
qui sont restés dans les annales : « …
Je dis que les républicains ne
doivent pas avoir peur de la liberté de
la presse. N’avoir pas peur de la
liberté de la presse, c’est savoir
qu’elle comporte des excès. C’est pour
cela qu’il y a des lois contre la
diffamation dans tous les pays de
liberté, des lois qui protègent les
citoyens contre les excès de cette
liberté. Je ne vous empêche pas
d’en user. Il y a mieux : il y a des
lois de liberté dont vous pouvez user
comme vos adversaires ; rien ne s’y
oppose ; les voies de la liberté vous
sont ouvertes ; vous pouvez écrire,
d’autres ont la liberté de cette tribune
;(…). »
Cet échec du Président, ne fait que
révéler l’amateurisme complet mais
satisfait de lui, qui caractérise son
action, et cela depuis de nombreux mois.
Après les attentats de janvier 2015, le
gouvernement et le Président ont été
incapables de prendre les mesures qui
s’imposaient. Aujourd’hui, ils parlent
forts mais agissent bien peu. Cet échec
révèle à la face du monde l’incapacité
pathologique du Président à se hisser à
la hauteur de sa fonction. Il traduit
l’incompréhension profonde de la
fonction et de ce qu’elle exige. Il
devrait en tirer les conséquences.
Notes
[1] On relira avec profit la note
que j’avais publiée « Les leçons d’un
massacre », 8/01/2015,
https://russeurope.hypotheses.org/3253
[2] Voir « Etat d’urgence et
souveraineté », note publiée le
16/11/2015,
https://russeurope.hypotheses.org/4469
[3] Voir : « Les salafistes et la
République (recension de « Silence
Coupable ») », note du 28/04/2016,
https://russeurope.hypotheses.org/4909
[4] « Désigner l’ennemi », note
publiée le 19/06/2016,
https://russeurope.hypotheses.org/5037
[5] Le texte est le suivant : « Au
lendemain de la victoire remportée par
les peuples libres sur les régimes qui
ont tenté d’asservir et de dégrader la
personne humaine, le peuple français
proclame à nouveau que tout être humain,
sans distinction de race, de religion ni
de croyance, possède des droits
inaliénables et sacrés. Il réaffirme
solennellement les droits et libertés de
l’homme et du citoyen consacrés par la
Déclaration des droits de 1789 et les
principes fondamentaux reconnus par les
lois de la République ».
http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4-octobre-1958/preambule-de-la-constitution-du-27-octobre-1946.5077.html
[6] Voir, « Déchéance et
déchéances », note publiée le
25/12/2015,
https://russeurope.hypotheses.org/4582
et « Déchéance et retrait » publiée le
30/03/2016,
https://russeurope.hypotheses.org/4832
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