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Lettre ouverte à Pablo Iglesias

Jacques Sapir - Christophe Barret


© Jacques Sapir

Samedi 13 février 2016

Christophe Barret et moi-même avons écrit une lettre ouverte au dirigeant de PODEMOS, Pablo Iglesias. Nous l’avons fait parce qu’il nous semble que ce que représente PODEMOS est un enjeu, au-delà de la seule gauche espagnol, qui concerne toutes les gauches européennes, mais aussi tous les européens, et même s’ils ne sont pas de gauche, qui étouffent sous la dictature européenne. Jean-Luc Mélenchon ne dit pas autre chose dans son texte où il annonce, de fait, sa candidature à l’élection présidentielle de 2017. PODEMOS, d’ailleurs, refuse la dichotomie traditionnelle entre gauche et droite et revendique clairement une démarche populiste, comme celles qui ont porté des gouvernements d’espérance en Amérique Latine.

Mais, certaines ambiguïtés demeurent dans le discours de PODEMOS. Or, venant après la capitulation de SYRIZA en juillet 2015, capitulation qui s’est suivie d’une reprise, certes contrainte et forcée, de la politique des « mémorandums » européens, de nouvelles ambiguïtés sont désormais insupportables. Elles portent en elles le risque de voir un mouvement social être conduit à l’échec alors que des solutions existent bel et bien. La position adoptée par Tsipras n’a rien changée sur le fond. La perspective du « GREXIT » est toujours d’actualité et la politique du nouveau mémorandum s’est révélée tout aussi mortifère, et toute aussi incapable de sortir la Grèce de sa crise que celle des précédant mémorandums. Les manifestations qui se multiplient ces derniers jours tant à Athènes que dans d’autres villes de Grèce en témoignent. Les menaces d’une insolvabilité de la Grèce, en mars ou en juin prochain, le confirment.

Dans l’intérêt des peuples d’Espagne, mais aussi dans celui des peuples européens, soumis à un pouvoir anti-démocratique dont la tête est tantôt soit à Francfort, soit à Bruxelles ou soit à Berlin, et que relaie, hélas, les élites politiques nationales, il faut une politique de claire rupture. Et c’est justement pour aboutir à cette clarification que la présente lettre a été écrite. Elle sera donnée en mains propres par Christophe Barret aux dirigeants de PODEMOS dans les jours qui viennent. En attendant, et pour lancer ici un débat dont l’importance et l’enjeu dépasse PODEMOS, je la publie, tant en français qu’en espagnol.

Texte français

Cher Pablo Iglesias,

Face à la crise multiforme qui touche l’Union Européenne, les succès électoraux de PODEMOS appellent de nombreuses initiatives. Militant des marges du monde politique, vous proposez un nouveau discours politique dont il convient aujourd’hui de méditer les points forts. Dans la bataille pour la conquête du sens commun accepté par la grande majorité de nos concitoyens, il vous est paru préférable de privilégier à la traditionnelle dichotomie gauche/droite l’opposition des peuples à leurs élites. La crise que traverse la social-démocratie semble confirmer la nécessité d’un tel aggiornamento.

Néocolonialisme, compradorisation et populisme

Candidat du groupe de la Gauche Unitaire Européenne à la présidence du Parlement Européen le 30 juin 2014, vous justifiiez vos choix politiques et stratégiques en ces termes : « la démocratie, en Europe, a été victime d’une dérive autoritaire (…) nos pays sont devenus des quasi-protectorats, de nouvelles colonies où des pouvoirs que personne n’a élus sont en train de détruire les droits sociaux et de menacer la cohésion sociale et politique de nos sociétés ».

Nous partageons ce diagnostic. Les élites politiques des pays de l’Union Européenne sont bel et bien soumises à une puissance extérieure. Ce colonialisme sans métropole représente un défi pour les démocrates. Un concept, né à une autre époque et sur un autre continent, peut nous aider à comprendre le phénomène : celui de la « compradorisation des élites ». Selon une définition aujourd’hui communément admise, une élite compradore « ou « bourgeoisie compradore ») tire sa position sociale et son statut de sa relation avec une puissance économique étrangère qui domine son territoire d’origine. Ce concept fut, naguère, du plus grand intérêt pour comprendre l’évolution de d’une Amérique latine que vous connaissez bien ! Aujourd’hui, en Europe, une nouvelle compradorisation est en œuvre, rendue possible par les institutions européennes et la puissance économique allemande.

De-même sommes-nous nombreux à faire nôtre le projet de Podemos de revivifier la démocratie. Nos prenons acte du fait que votre démarche populiste de contestation, authentiquement de gauche, se double de la volonté d’assumer les responsabilités de l’État – quand bien même ce souverainisme sans drapeau vous amène aussi à explorer les voie d’autres types de médiations selon un « processus constituant » dont il vous appartiendra, à terme, d’expliciter davantage.

De la dynamique européenne et des mouvements de contestation

La confiance dont vous témoignent aujourd’hui vos électeurs vient du fait que vous avez été, avec vos compagnons, les premiers à porter au Parlement une expression politique du mouvement des Indignés de 2011. La révolte des classes moyennes inexorablement entraînées dans un processus de paupérisation qui menace aujourd’hui de nombreuses régions du continent européen intéresse de très nombreux citoyens, bien au-delà des cercles des militants de la gauche de toujours. Un sursaut incroyable a eut lieu, il y a un an, en Grèce. Hélas, ce « Vaisseau venu de Grèce » que chantait en 1974 Lluís Llach s’est brisé sur les récifs des politiques d’austérité dressés par les institutions européennes. L’alliance de la social-démocratie avec celles du Parti Populaire européen (PPE), pour que rien ne change, peut être vue comme une réminiscence de « la Sainte Alliance des possédants » de 1848. Pour nos maîtres, le nouveau printemps de peuples n’aura pas lieu !

Dans un très long article publié – déjà presque en forme de bilan –, l’été dernier, dans la New Left Review, vous sembliez pourtant toujours considérer comme possible « un processus de recouvrement de la souveraineté » des peuples. En dépit de ce que nous appelons le processus de compradorisation des élites, il vous semble encore possible d’impulser des transformations du système productif et d’envisager une « reconfiguration  des institutions européennes en un sens plus démocratique », notamment avec l’établissement d’un Parlement de la zone euro[1]. Ce faisant, vous cherchez à créer un rapport de force au sein du conseil européen. C’est une stratégie courageuse, mais c’est aussi une stratégie discutable, qui peut avoir des implications graves non seulement sur PODEMOS mais de manière plus générale sur les autres mouvements de contestation européen. Chercher à créer un rapport de force dans le conseil européen implique de considérer que ce dernier aurait une quelconque légitimité. Or, le conseil n’a pas d’autre légitimité que celle de chaque pays. C’est un organisme de coordination et non de subordination. Il est vrai qu’il tend à se comporter comme un organisme de subordination ; mais faut-il l’accepter ? Faut-il se plier à la vision anti-démocratique des institutions européennes ? En faisant cela, on perd une bataille avant même de l’avoir menée.

Concrètement, construire un rapport de force implique que des mouvements anti-austérité arrive simultanément au pouvoir dans différents pays. Force est de constater que cette perspective n’est pas crédible. Les temps électoraux et politiques restent propres à chacun des pays, parce qu’ils traduisent l’histoire et la culture politique nationale. Vous en savez quelque-chose, aujourd’hui, en Espagne. Ainsi, en s’engageant dans la direction de la construction d’un rapport de force au sein du conseil européen, PODEMOS fait un double cadeau aux partisans de l’austérité. D’une part, il fait un cadeau aux ennemis des peuples en leur reconnaissant une légitimité qu’ils n’ont pas et d’autre part il entraîne les différents mouvements dans une voie illusoire, celle qui consisterait à attendre que les élections permettent l’arrivée au pouvoir simultanée de majorité anti-austérité dans les pays de l’Union européenne.

Il nous semble donc que c’est dans une voie dangereuse, et même suicidaire, que PODEMOS s’engage.

Construire le champ de l’affrontement

La question majeure qui se pose alors est celle de la construction du champ politique de l’affrontement. Ce champ doit se construire tant en Espagne (comme dans tout autre pays) que dans l’Union européenne. Mais, dans cette construction, deux éléments vont peser lourd pour le futur.

  1. L’Europe

La question du rapport avec les institutions européennes, devenues aujourd’hui le camp retranché des partisans de l’austérité et conçue comme telle en réalité dès le départ, se pose. Nous souhaitons tous une large coordination entre les pays européens, et ceci inclut bien entendu des pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne, comme la Suisse, la Norvège, la Russie et même ceux du Maghreb. Mais, nous devons constater que l’implacable logique du politique s’impose en ce qui concerne la nature de nos relations avec les institutions européennes. Il est ici dangereux de nourrir et d’entretenir des illusions, et nous pensons que certains points dans le programme de PODEMOS sont justement de cette nature. Il ne sert à rien de mettre en avant la sincère volonté de construire une « autre » Europe si les dirigeants européens sont d’emblée résolus au conflit.

Du moment que pour les partisans de l’austérité la venue au pouvoir d’un mouvement ou d’un parti dans l’un des pays de l’UE menace de remettre en cause pouvoir et privilèges, ils mettront en œuvre, et on l’a vu dans le cas de la Grèce au printemps 2015, tous les moyens à leur disposition, y compris des moyens illégaux et des pratiques de corruption, pour amener ce mouvement ou ce parti à résipiscence. La nature des relations entre les partisans de l’austérité et leurs adversaires constitue le couple amis / ennemis. Ce sera une lutte sans pitié ni merci. Nous serons d’emblée projetés dans la logique de l’antagonisme. Il faut donc ici poser la question du programme et de l’action de PODEMOS. Êtes-vous prêt à cet affrontement et à toutes ses conséquences ?

Cette perspective implique de définir le cercle des relations « agoniques », c’est à dire entre adversaires susceptibles de s’unir pour résister à des ennemis communs. De fait, la nature de l’affrontement avec les institutions européennes ne dépend pas de PODEMOS, comme il n’a pas dépendu de SYRIZA. Cette nature sera déterminée par l’action des dirigeants européens ; si, pour arriver à un accord, il faut deux volontés, une seule suffit pour provoquer le conflit. Mais, en imposant un cadre d’affrontements antagoniques aux partis anti-austéritaires dès qu’ils arrivent au pouvoir, les dirigeants européens peuvent permettre de faire émerger un autre cadre, celui des relations agoniques. Ce cadre, c’est celui des relations entre forces certes opposées, mais où l’affrontement avec les institutions européennes requalifie l’opposition d’un conflit entre adversaires et non plus entre ennemis. La question se pose donc à vous, comme elle se pose à toutes les forces luttant contre l’austérité en Europe : quelles sont les forces avec lesquelles vous pourriez passer des accords ou une trêve le temps de régler cet affrontement décisif ?

  1. L’Euro

La question de l’affrontement avec les institutions européennes nous conduit à celle de l’Euro. Ce que l’on appelle la « monnaie unique » est en réalité un mécanisme qui a bloqué les nécessaires ajustements de taux de change entre des économies dont les structures sont très différentes tout en permettant de créer un espace unifié pour la spéculation financière. C’est pourquoi l’Euro est aujourd’hui défendu essentiellement par les banquiers et la « finance ». Mais, c’est aussi pourquoi les pays de l’Europe du Sud n’ont pas eu d’autre choix que celui de s’engager dans des stratégies de dévaluations internes, une course mortifère au « moins coûtant, moins disant », dont les conséquences sont immensément plus graves que celle de réajustements des taux de change. C’est l’origine réelle des politiques d’austérité dont la logique est de conduire à une « hyper-austérité ». La concurrence se joue désormais dans le degré d’engagement dans l’hyper-austérité.

La question de l’Euro ne relève donc pas, comme vous semblez le croire, uniquement du domaine symbolique de l’hégémonie culturelle. C’est une question concrète, qui se traduit dans des centaines de milliers de licenciements, dans des millions de jeunes et de moins jeunes travailleurs privés de leur emploi, dans la baisse de tous les minima sociaux. Vous ne pourrez pas mettre en place une politique contradictoire à l’austérité sans vous attaquer à l’Euro. Ici encore, l’exemple de SYRIZA et de la Grèce, est parlant ; ayant renoncé à quitter l’Euro, même si désormais une majorité de la population serait d’accord avec une telle perspective, le gouvernement de SYRIZA a été contraint d’appliquer le même austérité que celui de Nouvelle Démocratie, et il perd aujourd’hui toute la légitimité qui découlait de son discours contre l’austérité. La stratégie qui consiste à chercher à « gagner du temps » est ici, très clairement, une stratégie perdante. À terme, vous serez, n’en doutez pas, confrontés aux mêmes choix. Quelle sera alors votre réponse ?

À l’occasion de votre passage à Paris, en septembre 2015, vous avez déclaré qu’une sortie de la zone euro n’est envisageable, d’un point de vue espagnol, qu’à la seule condition qu’un pays membre de l’Union Européenne pesant économiquement plus que l’Espagne ne l’envisage d’abord officiellement. Votre prise de position se veut respectueuses des débats qui traversent nombre des forces politiques, y compris PODEMOS – comme on a pu le constater à l’occasion de sa dernière université d’été. Dans le numéro de La New Left Review dont il a été question, vous nous rappelez que PODEMOS est aujourd’hui pensé comme un « instrument fondamental du changement politique »[2]. L’aggiornamento permanent auquel ses militants le soumettent ne saurait être possible si vous n’acceptez pas de débattre des questions et des impasses auxquelles nous devons faire face.

Nous vous prions de croire, cher Pablo Iglesias, en notre volonté résolue d’impulser un véritable changement tant en France, qu’en Europe.

Jacques Sapir, économiste, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, auteur de Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Michalon, 2016.

Christophe Barret, historien et essayiste, auteur de Podemos. Pour une autre Europe , Paris, éditions du Cerf 2015.

[1] New Left Review n°93, juil. – août 2015, p. 15 – édition espagnole

[2] . New Left Review n°93, juil. – août 2015, p. 27 – édition espagnole

Texte espagnol

Querido Pablo Iglesias,

Frente a la crisis multiforme que afecta a la Unión Europea, los éxitos electorales de PODEMOS señalan numerosas iniciativas. Militante de los márgenes del mundo político, propones un nuevo discurso sobre el que interesa pensar hoy en día en sus puntos fuertes. En la batalla por la conquista del sentido común aceptado por la gran mayoría de nuestros conciudadanos, te ha parecido preferible privilegiar la oposición de los pueblos a sus élites frente a la tradicional dicotomía izquierda/derecha. La crisis que atraviesa la socialdemocracia parece confirmar la necesidad de un tal aggiornamento.

Neocolonialismo, compradorización y populismo

Como candidato a la presidencia del Parlamento Europeo por el Grupo Confederal de la Izquierda Unitaria Europea, el 30 de junio de 2014 justificaste tus opciones políticas y estratégicas en estos términos: “la democracia, en Europa, ha sido víctima de una deriva autoritaria (…) nuestros países se han convertido en cuasi-protectorados, nuevas colonias donde poderes que nadie ha elegido están destruyendo los derechos sociales y amenazando la cohesión social y política de nuestras sociedades.”

Compartimos este diagnóstico. Las élites políticas de los países de la Unión Europea están realmente sometidas a una potencia exterior. Este colonialismo sin metrópoli representa un desafío para los demócratas. Un concepto, nacido en otra época y en otro continente, puede ayudarnos a comprender el fenómeno: es el concepto de “compradorización de las élites”. Según una definición generalmente admitida hoy, una élite compradora “o burguesía compradora” obtiene su posición social y su estatus de su relación con una potencia económica extranjera que domina su territorio de origen. Este concepto fue, anteriormente, del mayor interés para comprender la evolución de una América Latina que tú conoces bien. Hoy, en Europa, una nueva compradorización está en marcha, posibilitada por las instituciones europeas y la potencia económica alemana.

Por ello, somos muchos los que hacemos nuestro el proyecto de Podemos de revivificar la democracia. Somos conscientes de que tu proceso populista de contestación, auténticamente de izquierdas, tiene además la voluntad de asumir responsabilidades de Estado – pero además de este soberanismo sin bandera os incita también a explorar los caminos de otros tipos de mediaciones según un “proceso constituyente” sobre el que, a su debido tiempo, tendrás que ser más explícitos –.

De la dinámica europea y sus movimientos de contestación.

La confianza que os manifiestan hoy en día vuestros electores viene del hecho que habéis sido, tú y tus compañeros, los primeros en llevar al Parlamento Europeo la expresión política de los indignados de 2011. La revuelta de las clases medias, inexorablemente arrastradas a un proceso de empobrecimiento que amenaza hoy en día a numerosas regiones del continente europeo, concierne a un grupo muy numeroso de ciudadanos, que se extiende mucho más allá del de los círculos de militantes de la izquierda tradicional. Un increíble arrebato tuvo lugar en Grecia hace un año. Desgraciadamente, este “navío venido de Grecia”, que cantaba Lluís Llach, se ha estrellado contra los arrecifes de las políticas de austeridad levantados por las instituciones europeas. La alianza de la social-democracia europea con el Partido Popular Europeo (PPE), para que nada cambie, puede ser vista como una reminiscencia de “la Santa Alianza de los poseedores” de 1848. Para nuestros amos, ¡la nueva primavera de los pueblos no tendrá lugar!

En un largo artículo publicado el verano pasado en la New Left Review – ya casi en forma de balance – parecías, sin embargo, seguir considerando como posible “un proceso de recuperación de la soberanía” de los pueblos. A pesar de lo que nosotros llamamos el proceso de compradorización de las élites, te parece posible todavía impulsar transformaciones del sistema productivo y prever una “reconfiguración de las instituciones europeas en un sentido más democrático”, fundamentalmente a través del establecimiento de un Parlamento de la zona euro[1].

Haciendo esto, te propones crear una correlación de fuerzas en el seno del Consejo Europeo. Es una estrategia valiente, pero también discutible, que puede tener graves implicaciones no solo sobre PODEMOS sino, de manera más general, sobre otros movimientos de contestación europea. Buscar crear una correlación de fuerzas en el Consejo Europeo implica considerar que este último tiene algún tipo de legitimidad. Ahora bien, el Consejo no tiene otra legitimidad que la de cada país. Es un organismo de coordinación y no de subordinación. Es cierto que tiende a comportarse como un organismo de subordinación; pero, ¿es necesario aceptarlo? ¿Es necesario plegarse a la visión antidemocrática de las instituciones europeas? Haciéndolo, se pierde una batalla antes incluso de haberla librado.

Concretando más, construir una correlación de fuerzas implica que los movimientos antiausteridad lleguen de forma simultánea al poder en diferentes países. Pero, debemos constatar que esta perspectiva no resulta creíble. Los tiempos electorales y políticos son propios de cada país, porque traducen la historia y la cultura política nacionales. Y tú sabes algo de esto, hoy en día, en España.

Así, comprometiéndose en la vía de la construcción de una correlación de fuerzas en el seno del Consejo Europeo, PODEMOS hace un doble regalo a los partidarios de la austeridad. Por un lado, hace un regalo a los enemigos de los pueblos reconociéndoles una legitimidad que no tienen y, por otro, arrastra a los diferentes movimientos hacia un camino ilusorio, el que consistiría en esperar que las elecciones permitan la llegada al poder simultáneamente de una mayoría antiausteridad en los países de la Unión Europea.

Por lo tanto, nos parece que es un camino peligroso, incluso suicida, en el que PODEMOS se embarca.

Construir el campo del enfrentamiento

Entonces, la cuestión más importante que se plantea es la de la construcción del campo político del enfrentamiento. Este campo debe construirse en España – como en todos los demás países – y en la Unión Europea. Pero, en esta construcción, dos elementos van a tener un peso importante para el futuro.

  1. Europa

Se plantea la cuestión de la relación con las instituciones europeas, convertidas hoy en día en la trinchera de los partidarios de la austeridad y concebidas como tal en realidad desde el primer momento. Todos deseamos una amplia coordinación entre los países europeos, incluyendo, claro está, a los países que no son miembros de la Unión Europea, como Suiza, Noruega, Rusia e incluso los del Magreb. Pero, hemos de constatar que la implacable lógica de la política se impone sobre lo que concierne a la naturaleza de nuestras relaciones con las instituciones europeas. Es peligroso aquí alimentar y mantener espejismos y pensamos que ciertos puntos del programa de PODEMOS son precisamente de esta naturaleza. No sirve de nada poner por delante la sincera voluntad de construir “otra” Europa si los dirigentes europeos están decididos a favor del conflicto.

Desde el mismo momento en que la llegada al poder de un movimiento o un partido en uno de los países de la UE amenace con poner en cuestión poder y privilegios, los partidarios de la austeridad pondrán en marcha, y lo hemos visto en el caso de Grecia de la primavera del 2015, todos los medios a su disposición, incluso medios ilegales y prácticas de corrupción, para conducir a ese movimiento o a ese partido al arrepentimiento. La naturaleza de las relaciones entre los partidarios de la austeridad y sus adversarios es del tipo de pareja amigos/enemigos. Será una lucha sin piedad. Seremos inmediatamente proyectados a la lógica del antagonismo. Hace falta entonces plantearse aquí la cuestión del programa y de la acción de PODEMOS. ¿Estáis preparados para este enfrentamiento y todas sus consecuencias?

Esta perspectiva implica definir el círculo de las relaciones “agónicas”, es decir, entre adversarios susceptibles de unirse para resistir a enemigos comunes. De hecho, la naturaleza del enfrentamiento con las instituciones europeas no depende de PODEMOS, como no ha dependido de SYRIZA. Esta naturaleza estará determinada por la acción de los dirigentes europeos; si para llegar a un acuerdo hacen falta dos voluntades, sólo una es necesaria para provocar el conflicto. Pero, al imponer un marco de enfrentamientos antagónicos a los partidos anti-austeridad desde el mismo momento en que llegan al poder, los dirigentes europeos pueden permitir hacer emerger otro marco, el de las relaciones agónicas. Este cuadro es el de relaciones entre fuerzas verdaderamente opuestas, pero en el que el enfrentamiento con las instituciones europeas recalifica su oposición como un conflicto entre adversarios y ya no entre enemigos. La cuestión que se os plantea entonces, como se plantea a todas las fuerzas que luchan contra la austeridad en Europa, es : ¿cuáles son las fuerzas con las cuales podríais llegar a acuerdos, o a una tregua, durante el tiempo de puesta a punto de este enfrentamiento decisivo?

  1. El euro

El tema del enfrentamiento con las instituciones europeas nos conduce al del euro. Lo que se llama la “moneda única” es en realidad un mecanismo que ha bloqueado los ajustes necesarios de las tasas de cambio entre economías con estructuras muy diferentes, al mismo tiempo que ha permitido crear un espacio unificado para la especulación financiera. Es por esto por lo que el euro es hoy en día defendido fundamentalmente por los banqueros y las “finanzas”. Pero es también por lo que los países de la Europa del sur no han tenido otra opción que la de comprometerse en estrategias de devaluaciones internas, una carrera mortífera hacia “ la baja” cuyas consecuencias son inmensamente más graves que las del reajuste de las tasas de cambio. Este es el origen real de las políticas de austeridad cuya lógica es el conducir a una “híper-austeridad”. La competencia se juega a partir de ahora en el grado de compromiso con la híper-austeridad.

La cuestión del euro no responde entonces, como pareces creer, sólo al dominio simbólico de la hegemonía cultural. Es una cuestión concreta, que se traduce en centenares de miles de despidos, en millones de jóvenes – y menos jóvenes – trabajadores privados de su empleo, en la bajada de todos los niveles mínimos sociales. No podréis llevar a cabo una política contraria a la de la austeridad sin atacar al euro. Aquí también, el ejemplo de SYRIZA y de Grecia está poniéndolo de manifiesto : habiendo renunciado a abandonar el euro, incluso cuando una mayoría de la población estaría ya de acuerdo con tal perspectiva, el gobierno de SYRIZA ha sido obligado a aplicar la misma austeridad que la de Nueva Democracia y pierde hoy en día toda la legitimidad que se derivaba de su discurso contra la austeridad. La estrategia que consiste en buscar “ganar tiempo” es aquí, muy claramente, una estrategia perdedora. Al final, vosotros estaréis, no lo dudéis, enfrentados a las mismas opciones. ¿Cuál será, entonces, vuestra respuesta?

Durante tu estancia en París, en septiembre de 2015, declaraste que una salida de la zona euro no era factible, desde el punto de vista español, más que a condición de que otro país miembro de la UE, con más peso económico que España, no la contemplara antes oficialmente. Tu toma de posición quiere ser respetuosa con los debates que atraviesan a numerosas fuerzas políticas, incluida PODEMOS – como hemos podido constatar en su última universidad de verano –. En el número de la New Left Review que ya hemos mencionado, recordabas que PODEMOS es hoy en día percibido como un “instrumento fundamental del cambio político” [2]. El aggiornamento permanente al que sus militantes le someten no será posible si no aceptas debatir sobre cuestiones y temas a los que debemos hacer frente.

Te rogamos que creas, querido Pablo Iglesias, en nuestra resuelta voluntad de impulsar un verdadero cambio tanto en Francia como en Europa.

Jacques Sapir es economista y director de estudios en la Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Es autor de Souveranité, Démocratie, Laïcité, París, Michalon, 2016.

Christophe Barret es historiador y ensayista. Autor de Podemos. Pour une autre Europe, Paris, editions du Cerf, 2015.

[1] New Left Review nº 93, julio-agosto de 2015, página 15 –edición española.

[2] New Left Review nº 93, julio-agosto de 2015, página 27 –edición española.

 

 

   

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Source: RussEurope
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