RussEurope
Lettre ouverte à Pablo Iglesias
Jacques Sapir - Christophe Barret

© Jacques
Sapir
Samedi 13 février 2016
Christophe Barret
et moi-même avons écrit une lettre
ouverte au dirigeant de PODEMOS, Pablo
Iglesias. Nous l’avons fait parce qu’il
nous semble que ce que représente
PODEMOS est un enjeu, au-delà de la
seule gauche espagnol, qui concerne
toutes les gauches européennes, mais
aussi tous les européens, et même s’ils
ne sont pas de gauche, qui étouffent
sous la dictature européenne. Jean-Luc
Mélenchon ne dit pas autre chose dans
son texte où il annonce, de fait, sa
candidature à l’élection présidentielle
de 2017. PODEMOS, d’ailleurs, refuse la
dichotomie traditionnelle entre gauche
et droite et revendique clairement une
démarche populiste, comme celles qui ont
porté des gouvernements d’espérance en
Amérique Latine.
Mais, certaines
ambiguïtés demeurent dans le discours de
PODEMOS. Or, venant après la
capitulation de SYRIZA en juillet 2015,
capitulation qui s’est suivie d’une
reprise, certes contrainte et forcée, de
la politique des « mémorandums »
européens, de nouvelles ambiguïtés sont
désormais insupportables. Elles portent
en elles le risque de voir un mouvement
social être conduit à l’échec alors que
des solutions existent bel et bien. La
position adoptée par Tsipras n’a rien
changée sur le fond. La perspective du
« GREXIT » est toujours d’actualité et
la politique du nouveau mémorandum s’est
révélée tout aussi mortifère, et toute
aussi incapable de sortir la Grèce de sa
crise que celle des précédant
mémorandums. Les manifestations qui se
multiplient ces derniers jours tant à
Athènes que dans d’autres villes de
Grèce en témoignent. Les menaces d’une
insolvabilité de la Grèce, en mars ou en
juin prochain, le confirment.
Dans l’intérêt des
peuples d’Espagne, mais aussi dans celui
des peuples européens, soumis à un
pouvoir anti-démocratique dont la tête
est tantôt soit à Francfort, soit à
Bruxelles ou soit à Berlin, et que
relaie, hélas, les élites politiques
nationales, il faut une politique de
claire rupture. Et c’est justement pour
aboutir à cette clarification que la
présente lettre a été écrite. Elle sera
donnée en mains propres par Christophe
Barret aux dirigeants de PODEMOS dans
les jours qui viennent. En attendant, et
pour lancer ici un débat dont
l’importance et l’enjeu dépasse PODEMOS,
je la publie, tant en français qu’en
espagnol.

Texte
français
Cher Pablo Iglesias,
Face à la crise multiforme qui touche
l’Union Européenne, les succès
électoraux de PODEMOS appellent de
nombreuses initiatives. Militant des
marges du monde politique, vous proposez
un nouveau discours politique dont il
convient aujourd’hui de méditer les
points forts. Dans la bataille pour la
conquête du sens commun accepté par la
grande majorité de nos concitoyens, il
vous est paru préférable de privilégier
à la traditionnelle dichotomie
gauche/droite l’opposition des peuples à
leurs élites. La crise que traverse la
social-démocratie semble confirmer la
nécessité d’un tel aggiornamento.
Néocolonialisme,
compradorisation et populisme
Candidat du groupe de la Gauche
Unitaire Européenne à la présidence du
Parlement Européen le 30 juin 2014, vous
justifiiez vos choix politiques et
stratégiques en ces termes : « la
démocratie, en Europe, a été victime
d’une dérive autoritaire (…) nos pays
sont devenus des quasi-protectorats, de
nouvelles colonies où des pouvoirs que
personne n’a élus sont en train de
détruire les droits sociaux et de
menacer la cohésion sociale et politique
de nos sociétés ».
Nous partageons ce diagnostic. Les
élites politiques des pays de l’Union
Européenne sont bel et bien soumises à
une puissance extérieure. Ce
colonialisme sans métropole représente
un défi pour les démocrates. Un concept,
né à une autre époque et sur un autre
continent, peut nous aider à comprendre
le phénomène : celui de la « compradorisation
des élites ». Selon une définition
aujourd’hui communément admise, une
élite compradore « ou « bourgeoisie
compradore ») tire sa position sociale
et son statut de sa relation avec une
puissance économique étrangère qui
domine son territoire d’origine. Ce
concept fut, naguère, du plus grand
intérêt pour comprendre l’évolution de
d’une Amérique latine que vous
connaissez bien ! Aujourd’hui, en
Europe, une nouvelle compradorisation
est en œuvre, rendue possible par les
institutions européennes et la puissance
économique allemande.
De-même sommes-nous nombreux à faire
nôtre le projet de Podemos de revivifier
la démocratie. Nos prenons acte du fait
que votre démarche populiste de
contestation, authentiquement de gauche,
se double de la volonté d’assumer les
responsabilités de l’État – quand bien
même ce souverainisme sans drapeau vous
amène aussi à explorer les voie d’autres
types de médiations selon un « processus
constituant » dont il vous appartiendra,
à terme, d’expliciter davantage.
De la dynamique européenne et
des mouvements de contestation
La confiance dont vous témoignent
aujourd’hui vos électeurs vient du fait
que vous avez été, avec vos compagnons,
les premiers à porter au Parlement une
expression politique du mouvement des
Indignés de 2011. La révolte des classes
moyennes inexorablement entraînées dans
un processus de paupérisation qui menace
aujourd’hui de nombreuses régions du
continent européen intéresse de très
nombreux citoyens, bien au-delà des
cercles des militants de la gauche de
toujours. Un sursaut incroyable a eut
lieu, il y a un an, en Grèce. Hélas, ce
« Vaisseau venu de Grèce » que chantait
en 1974 Lluís Llach s’est brisé sur les
récifs des politiques d’austérité
dressés par les institutions
européennes. L’alliance de la
social-démocratie avec celles du Parti
Populaire européen (PPE), pour que rien
ne change, peut être vue comme une
réminiscence de « la Sainte Alliance des
possédants » de 1848. Pour nos maîtres,
le nouveau printemps de peuples n’aura
pas lieu !
Dans un très long article publié –
déjà presque en forme de bilan –, l’été
dernier, dans la New Left Review,
vous sembliez pourtant toujours
considérer comme possible « un processus
de recouvrement de la souveraineté » des
peuples. En dépit de ce que nous
appelons le processus de
compradorisation des élites, il vous
semble encore possible d’impulser des
transformations du système productif et
d’envisager une « reconfiguration
des institutions européennes en un sens
plus démocratique », notamment avec
l’établissement d’un Parlement de la
zone euro[1].
Ce faisant, vous cherchez à créer un
rapport de force au sein du conseil
européen. C’est une stratégie
courageuse, mais c’est aussi une
stratégie discutable, qui peut avoir des
implications graves non seulement sur
PODEMOS mais de manière plus générale
sur les autres mouvements de
contestation européen. Chercher à créer
un rapport de force dans le conseil
européen implique de considérer que ce
dernier aurait une quelconque
légitimité. Or, le conseil n’a pas
d’autre légitimité que celle de chaque
pays. C’est un organisme de coordination
et non de subordination. Il est vrai
qu’il tend à se comporter comme un
organisme de subordination ; mais
faut-il l’accepter ? Faut-il se plier à
la vision anti-démocratique des
institutions européennes ? En faisant
cela, on perd une bataille avant même de
l’avoir menée.
Concrètement, construire un rapport
de force implique que des mouvements
anti-austérité arrive simultanément
au pouvoir dans différents pays. Force
est de constater que cette perspective
n’est pas crédible. Les temps électoraux
et politiques restent propres à chacun
des pays, parce qu’ils traduisent
l’histoire et la culture politique
nationale. Vous en savez quelque-chose,
aujourd’hui, en Espagne. Ainsi, en
s’engageant dans la direction de la
construction d’un rapport de force au
sein du conseil européen, PODEMOS fait
un double cadeau aux partisans de
l’austérité. D’une part, il fait un
cadeau aux ennemis des peuples en leur
reconnaissant une légitimité qu’ils
n’ont pas et d’autre part il entraîne
les différents mouvements dans une voie
illusoire, celle qui consisterait à
attendre que les élections permettent
l’arrivée au pouvoir simultanée de
majorité anti-austérité dans les pays de
l’Union européenne.
Il nous semble donc que c’est dans
une voie dangereuse, et même suicidaire,
que PODEMOS s’engage.
Construire le champ de
l’affrontement
La question majeure qui se pose alors
est celle de la construction du champ
politique de l’affrontement. Ce champ
doit se construire tant en Espagne
(comme dans tout autre pays) que dans
l’Union européenne. Mais, dans cette
construction, deux éléments vont peser
lourd pour le futur.
- L’Europe
La question du rapport avec les
institutions européennes, devenues
aujourd’hui le camp retranché des
partisans de l’austérité et conçue comme
telle en réalité dès le départ, se pose.
Nous souhaitons tous une large
coordination entre les pays européens,
et ceci inclut bien entendu des pays qui
ne sont pas membres de l’Union
européenne, comme la Suisse, la Norvège,
la Russie et même ceux du Maghreb. Mais,
nous devons constater que l’implacable
logique du politique s’impose en ce qui
concerne la nature de nos relations avec
les institutions européennes. Il est ici
dangereux de nourrir et d’entretenir des
illusions, et nous pensons que certains
points dans le programme de PODEMOS sont
justement de cette nature. Il ne sert à
rien de mettre en avant la sincère
volonté de construire une « autre »
Europe si les dirigeants européens sont
d’emblée résolus au conflit.
Du moment que pour les partisans de
l’austérité la venue au pouvoir d’un
mouvement ou d’un parti dans l’un des
pays de l’UE menace de remettre en cause
pouvoir et privilèges, ils mettront en
œuvre, et on l’a vu dans le cas de la
Grèce au printemps 2015, tous les moyens
à leur disposition, y compris des moyens
illégaux et des pratiques de corruption,
pour amener ce mouvement ou ce parti à
résipiscence. La nature des relations
entre les partisans de l’austérité et
leurs adversaires constitue le couple
amis / ennemis. Ce sera une lutte sans
pitié ni merci. Nous serons d’emblée
projetés dans la logique de
l’antagonisme. Il faut donc ici poser la
question du programme et de l’action de
PODEMOS. Êtes-vous prêt à cet
affrontement et à toutes ses
conséquences ?
Cette perspective implique de définir
le cercle des relations « agoniques »,
c’est à dire entre adversaires
susceptibles de s’unir pour résister à
des ennemis communs. De fait, la nature
de l’affrontement avec les institutions
européennes ne dépend pas de PODEMOS,
comme il n’a pas dépendu de SYRIZA.
Cette nature sera déterminée par
l’action des dirigeants européens ; si,
pour arriver à un accord, il faut deux
volontés, une seule suffit pour
provoquer le conflit. Mais, en imposant
un cadre d’affrontements antagoniques
aux partis anti-austéritaires dès qu’ils
arrivent au pouvoir, les dirigeants
européens peuvent permettre de faire
émerger un autre cadre, celui des
relations agoniques. Ce cadre, c’est
celui des relations entre forces certes
opposées, mais où l’affrontement avec
les institutions européennes requalifie
l’opposition d’un conflit entre
adversaires et non plus entre ennemis.
La question se pose donc à vous, comme
elle se pose à toutes les forces luttant
contre l’austérité en Europe : quelles
sont les forces avec lesquelles vous
pourriez passer des accords ou une trêve
le temps de régler cet affrontement
décisif ?
- L’Euro
La question de l’affrontement avec
les institutions européennes nous
conduit à celle de l’Euro. Ce que l’on
appelle la « monnaie unique » est en
réalité un mécanisme qui a bloqué les
nécessaires ajustements de taux de
change entre des économies dont les
structures sont très différentes tout en
permettant de créer un espace unifié
pour la spéculation financière. C’est
pourquoi l’Euro est aujourd’hui défendu
essentiellement par les banquiers et la
« finance ». Mais, c’est aussi pourquoi
les pays de l’Europe du Sud n’ont pas eu
d’autre choix que celui de s’engager
dans des stratégies de dévaluations
internes, une course mortifère au
« moins coûtant, moins disant », dont
les conséquences sont immensément plus
graves que celle de réajustements des
taux de change. C’est l’origine réelle
des politiques d’austérité dont la
logique est de conduire à une
« hyper-austérité ». La concurrence se
joue désormais dans le degré
d’engagement dans l’hyper-austérité.
La question de l’Euro ne relève donc
pas, comme vous semblez le croire,
uniquement du domaine symbolique de
l’hégémonie culturelle. C’est une
question concrète, qui se traduit dans
des centaines de milliers de
licenciements, dans des millions de
jeunes et de moins jeunes travailleurs
privés de leur emploi, dans la baisse de
tous les minima sociaux. Vous ne pourrez
pas mettre en place une politique
contradictoire à l’austérité sans vous
attaquer à l’Euro. Ici encore, l’exemple
de SYRIZA et de la Grèce, est parlant ;
ayant renoncé à quitter l’Euro, même si
désormais une majorité de la population
serait d’accord avec une telle
perspective, le gouvernement de SYRIZA a
été contraint d’appliquer le même
austérité que celui de Nouvelle
Démocratie, et il perd aujourd’hui toute
la légitimité qui découlait de son
discours contre l’austérité. La
stratégie qui consiste à chercher à
« gagner du temps » est ici, très
clairement, une stratégie perdante. À
terme, vous serez, n’en doutez pas,
confrontés aux mêmes choix. Quelle sera
alors votre réponse ?
À l’occasion de votre passage à
Paris, en septembre 2015, vous avez
déclaré qu’une sortie de la zone euro
n’est envisageable, d’un point de vue
espagnol, qu’à la seule condition qu’un
pays membre de l’Union Européenne pesant
économiquement plus que l’Espagne ne
l’envisage d’abord officiellement. Votre
prise de position se veut respectueuses
des débats qui traversent nombre des
forces politiques, y compris PODEMOS –
comme on a pu le constater à l’occasion
de sa dernière université d’été. Dans le
numéro de La New Left Review
dont il a été question, vous nous
rappelez que PODEMOS est aujourd’hui
pensé comme un « instrument fondamental
du changement politique »[2].
L’aggiornamento permanent
auquel ses militants le soumettent ne
saurait être possible si vous n’acceptez
pas de débattre des questions et des
impasses auxquelles nous devons faire
face.
Nous vous prions de croire, cher
Pablo Iglesias, en notre volonté résolue
d’impulser un véritable changement tant
en France, qu’en Europe.
Jacques Sapir,
économiste, directeur d’études à l’Ecole
des Hautes Etudes en Sciences Sociales,
auteur de Souveraineté, Démocratie,
Laïcité, Paris, Michalon, 2016.
Christophe Barret,
historien et essayiste, auteur de
Podemos. Pour une autre Europe ,
Paris, éditions du Cerf 2015.
[1] New Left Review n°93,
juil. – août 2015, p. 15 – édition
espagnole
[2] . New Left Review n°93,
juil. – août 2015, p. 27 – édition
espagnole


Texte
espagnol
Querido Pablo Iglesias,
Frente a la crisis multiforme que
afecta a la Unión Europea, los éxitos
electorales de PODEMOS señalan numerosas
iniciativas. Militante de los márgenes
del mundo político, propones un nuevo
discurso sobre el que interesa pensar
hoy en día en sus puntos fuertes. En la
batalla por la conquista del sentido
común aceptado por la gran mayoría de
nuestros conciudadanos, te ha parecido
preferible privilegiar la oposición de
los pueblos a sus élites frente a la
tradicional dicotomía izquierda/derecha.
La crisis que atraviesa la
socialdemocracia parece confirmar la
necesidad de un tal aggiornamento.
Neocolonialismo,
compradorización y populismo
Como candidato a la presidencia del
Parlamento Europeo por el Grupo
Confederal de la Izquierda Unitaria
Europea, el 30 de junio de 2014
justificaste tus opciones políticas y
estratégicas en estos términos: “la
democracia, en Europa, ha sido víctima
de una deriva autoritaria (…) nuestros
países se han convertido en cuasi-protectorados,
nuevas colonias donde poderes que nadie
ha elegido están destruyendo los
derechos sociales y amenazando la
cohesión social y política de nuestras
sociedades.”
Compartimos este diagnóstico. Las
élites políticas de los países de la
Unión Europea están realmente sometidas
a una potencia exterior. Este
colonialismo sin metrópoli representa un
desafío para los demócratas. Un concepto,
nacido en otra época y en otro
continente, puede ayudarnos a comprender
el fenómeno: es el concepto de “compradorización
de las élites”. Según una definición
generalmente admitida hoy, una élite
compradora “o burguesía compradora”
obtiene su posición social y su estatus
de su relación con una potencia
económica extranjera que domina su
territorio de origen. Este concepto fue,
anteriormente, del mayor interés para
comprender la evolución de una América
Latina que tú conoces bien. Hoy, en
Europa, una nueva compradorización está
en marcha, posibilitada por las
instituciones europeas y la potencia
económica alemana.
Por ello, somos muchos los que
hacemos nuestro el proyecto de Podemos
de revivificar la democracia. Somos
conscientes de que tu proceso populista
de contestación, auténticamente de
izquierdas, tiene además la voluntad de
asumir responsabilidades de Estado – pero
además de este soberanismo sin bandera
os incita también a explorar los caminos
de otros tipos de mediaciones según un “proceso
constituyente” sobre el que, a su debido
tiempo, tendrás que ser más explícitos –.
De la dinámica europea y sus
movimientos de contestación.
La confianza que os manifiestan hoy
en día vuestros electores viene del
hecho que habéis sido, tú y tus
compañeros, los primeros en llevar al
Parlamento Europeo la expresión política
de los indignados de 2011. La revuelta
de las clases medias, inexorablemente
arrastradas a un proceso de
empobrecimiento que amenaza hoy en día a
numerosas regiones del continente
europeo, concierne a un grupo muy
numeroso de ciudadanos, que se extiende
mucho más allá del de los círculos de
militantes de la izquierda tradicional.
Un increíble arrebato tuvo lugar en
Grecia hace un año. Desgraciadamente,
este “navío venido de Grecia”, que
cantaba Lluís Llach, se ha estrellado
contra los arrecifes de las políticas de
austeridad levantados por las
instituciones europeas. La alianza de la
social-democracia europea con el Partido
Popular Europeo (PPE), para que nada
cambie, puede ser vista como una
reminiscencia de “la Santa Alianza de
los poseedores” de 1848. Para nuestros
amos, ¡la nueva primavera de los pueblos
no tendrá lugar!
En un largo artículo publicado el
verano pasado en la New Left Review
– ya casi en forma de balance – parecías,
sin embargo, seguir considerando como
posible “un proceso de recuperación de
la soberanía” de los pueblos. A pesar de
lo que nosotros llamamos el proceso de
compradorización de las élites, te
parece posible todavía impulsar
transformaciones del sistema productivo
y prever una “reconfiguración de las
instituciones europeas en un sentido más
democrático”, fundamentalmente a través
del establecimiento de un Parlamento de
la zona euro[1].
Haciendo esto, te propones crear una
correlación de fuerzas en el seno del
Consejo Europeo. Es una estrategia
valiente, pero también discutible, que
puede tener graves implicaciones no solo
sobre PODEMOS sino, de manera más
general, sobre otros movimientos de
contestación europea. Buscar crear una
correlación de fuerzas en el Consejo
Europeo implica considerar que este
último tiene algún tipo de legitimidad.
Ahora bien, el Consejo no tiene otra
legitimidad que la de cada país. Es un
organismo de coordinación y no de
subordinación. Es cierto que tiende a
comportarse como un organismo de
subordinación; pero, ¿es necesario
aceptarlo? ¿Es necesario plegarse a la
visión antidemocrática de las
instituciones europeas? Haciéndolo, se
pierde una batalla antes incluso de
haberla librado.
Concretando más, construir una
correlación de fuerzas implica que los
movimientos antiausteridad lleguen de
forma simultánea al poder en diferentes
países. Pero, debemos constatar que esta
perspectiva no resulta creíble. Los
tiempos electorales y políticos son
propios de cada país, porque traducen la
historia y la cultura política
nacionales. Y tú sabes algo de esto, hoy
en día, en España.
Así, comprometiéndose en la vía de la
construcción de una correlación de
fuerzas en el seno del Consejo Europeo,
PODEMOS hace un doble regalo a los
partidarios de la austeridad. Por un
lado, hace un regalo a los enemigos de
los pueblos reconociéndoles una
legitimidad que no tienen y, por otro,
arrastra a los diferentes movimientos
hacia un camino ilusorio, el que
consistiría en esperar que las
elecciones permitan la llegada al poder
simultáneamente de una mayoría
antiausteridad en los países de la Unión
Europea.
Por lo tanto, nos parece que es un
camino peligroso, incluso suicida, en el
que PODEMOS se embarca.
Construir el campo del
enfrentamiento
Entonces, la cuestión más importante
que se plantea es la de la construcción
del campo político del enfrentamiento.
Este campo debe construirse en España – como
en todos los demás países – y en la
Unión Europea. Pero, en esta
construcción, dos elementos van a tener
un peso importante para el futuro.
- Europa
Se plantea la cuestión de la relación
con las instituciones europeas,
convertidas hoy en día en la trinchera
de los partidarios de la austeridad y
concebidas como tal en realidad desde el
primer momento. Todos deseamos una
amplia coordinación entre los países
europeos, incluyendo, claro está, a los
países que no son miembros de la Unión
Europea, como Suiza, Noruega, Rusia e
incluso los del Magreb. Pero, hemos de
constatar que la implacable lógica de la
política se impone sobre lo que
concierne a la naturaleza de nuestras
relaciones con las instituciones
europeas. Es peligroso aquí alimentar y
mantener espejismos y pensamos que
ciertos puntos del programa de PODEMOS
son precisamente de esta naturaleza. No
sirve de nada poner por delante la
sincera voluntad de construir “otra”
Europa si los dirigentes europeos están
decididos a favor del conflicto.
Desde el mismo momento en que la
llegada al poder de un movimiento o un
partido en uno de los países de la UE
amenace con poner en cuestión poder y
privilegios, los partidarios de la
austeridad pondrán en marcha, y lo hemos
visto en el caso de Grecia de la
primavera del 2015, todos los medios a
su disposición, incluso medios ilegales
y prácticas de corrupción, para conducir
a ese movimiento o a ese partido al
arrepentimiento. La naturaleza de las
relaciones entre los partidarios de la
austeridad y sus adversarios es del tipo
de pareja amigos/enemigos. Será una
lucha sin piedad. Seremos inmediatamente
proyectados a la lógica del antagonismo.
Hace falta entonces plantearse aquí la
cuestión del programa y de la acción de
PODEMOS. ¿Estáis preparados para este
enfrentamiento y todas sus consecuencias?
Esta perspectiva implica definir el
círculo de las relaciones “agónicas”, es
decir, entre adversarios susceptibles de
unirse para resistir a enemigos comunes.
De hecho, la naturaleza del
enfrentamiento con las instituciones
europeas no depende de PODEMOS, como no
ha dependido de SYRIZA. Esta naturaleza
estará determinada por la acción de los
dirigentes europeos; si para llegar a un
acuerdo hacen falta dos voluntades, sólo
una es necesaria para provocar el
conflicto. Pero, al imponer un marco de
enfrentamientos antagónicos a los
partidos anti-austeridad desde el mismo
momento en que llegan al poder, los
dirigentes europeos pueden permitir
hacer emerger otro marco, el de las
relaciones agónicas. Este cuadro es el
de relaciones entre fuerzas
verdaderamente opuestas, pero en el que
el enfrentamiento con las instituciones
europeas recalifica su oposición como un
conflicto entre adversarios y ya no
entre enemigos. La cuestión que se os
plantea entonces, como se plantea a
todas las fuerzas que luchan contra la
austeridad en Europa, es : ¿cuáles son
las fuerzas con las cuales podríais
llegar a acuerdos, o a una tregua,
durante el tiempo de puesta a punto de
este enfrentamiento decisivo?
- El euro
El tema del enfrentamiento con las
instituciones europeas nos conduce al
del euro. Lo que se llama la “moneda
única” es en realidad un mecanismo que
ha bloqueado los ajustes necesarios de
las tasas de cambio entre economías con
estructuras muy diferentes, al mismo
tiempo que ha permitido crear un espacio
unificado para la especulación
financiera. Es por esto por lo que el
euro es hoy en día defendido
fundamentalmente por los banqueros y las
“finanzas”. Pero es también por lo que
los países de la Europa del sur no han
tenido otra opción que la de
comprometerse en estrategias de
devaluaciones internas, una carrera
mortífera hacia “ la baja” cuyas
consecuencias son inmensamente más
graves que las del reajuste de las tasas
de cambio. Este es el origen real de las
políticas de austeridad cuya lógica es
el conducir a una “híper-austeridad”. La
competencia se juega a partir de ahora
en el grado de compromiso con la híper-austeridad.
La cuestión del euro no responde
entonces, como pareces creer, sólo al
dominio simbólico de la hegemonía
cultural. Es una cuestión concreta, que
se traduce en centenares de miles de
despidos, en millones de jóvenes – y
menos jóvenes – trabajadores privados de
su empleo, en la bajada de todos los
niveles mínimos sociales. No podréis
llevar a cabo una política contraria a
la de la austeridad sin atacar al euro.
Aquí también, el ejemplo de SYRIZA y de
Grecia está poniéndolo de manifiesto :
habiendo renunciado a abandonar el euro,
incluso cuando una mayoría de la
población estaría ya de acuerdo con tal
perspectiva, el gobierno de SYRIZA ha
sido obligado a aplicar la misma
austeridad que la de Nueva Democracia y
pierde hoy en día toda la legitimidad
que se derivaba de su discurso contra la
austeridad. La estrategia que consiste
en buscar “ganar tiempo” es aquí, muy
claramente, una estrategia perdedora. Al
final, vosotros estaréis, no lo dudéis,
enfrentados a las mismas opciones. ¿Cuál
será, entonces, vuestra respuesta?
Durante tu estancia en París, en
septiembre de 2015, declaraste que una
salida de la zona euro no era factible,
desde el punto de vista español, más que
a condición de que otro país miembro de
la UE, con más peso económico que
España, no la contemplara antes
oficialmente. Tu toma de posición quiere
ser respetuosa con los debates que
atraviesan a numerosas fuerzas políticas,
incluida PODEMOS – como hemos podido
constatar en su última universidad de
verano –. En el número de la New
Left Review que ya hemos mencionado,
recordabas que PODEMOS es hoy en día
percibido como un “instrumento
fundamental del cambio político”
[2]. El aggiornamento
permanente al que sus militantes le
someten no será posible si no aceptas
debatir sobre cuestiones y temas a los
que debemos hacer frente.
Te rogamos que creas, querido Pablo
Iglesias, en nuestra resuelta voluntad
de impulsar un verdadero cambio tanto en
Francia como en Europa.
Jacques Sapir es
economista y director de estudios en la
Ecole des Hautes Etudes en Sciences
Sociales. Es autor de
Souveranité, Démocratie, Laïcité,
París, Michalon, 2016.
Christophe Barret es
historiador y ensayista. Autor de
Podemos. Pour une autre Europe,
Paris, editions du Cerf, 2015.
[1] New Left Review nº 93,
julio-agosto de 2015, página 15 –edición
española.
[2] New Left Review nº 93,
julio-agosto de 2015, página 27 –edición
española.
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