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Censures
Jacques Sapir

© Jacques
Sapir
Mercredi 11 mai 2016
Le sectarisme a
encore frappé (ou pas). Deux, parmi les
« chefs » des « frondeurs », Benoît
Hamon et Christian Paul, ont déclaré
qu’il n’était pas question pour eux de
voter une motion de censure « de
droite ». La tentative de déposer une
motion de censure « de gauche » ayant
visiblement échoué, on devine que ces
grands politiques (et leurs suiveurs)
s’abstiendront. On ne sait ce qu’il y a
de plus détestable dans cette attitude :
le sectarisme ou l’hypocrisie. Sans
doute les deux.
Du
sectarisme en politique
Car, une motion de censure est un
acte de défiance envers le gouvernement.
Si l’on considère ce gouvernement comme
« de gauche », la censure est de droite.
Si l’on considère ce gouvernement comme
« de droite », elle est de gauche. A
partir du moment ou l’on veut voter une
censure, c’est cela, et cela seul, qui
compte. Qualifier une censure par les
députés qui l’ont présentée n’est que
pur sectarisme. Car, un acte politique
ne prend sens que dans sa réalisation,
et non dans son origine. Définir cet
acte par qui en est l’origine est
absurde, même si, dans le texte de cette
motion les termes peuvent être
clairement connotés. Au bout du compte,
seul le résultat compte !
Mais, ajoutons que pour quelqu’un se
disant « de gauche », c’est même une
double absurdité que de qualifier un
acte par son origine. Non seulement
c’est oublier qu’en politique la
dynamique d’un acte est primordiale mais
en plus c’est sacrifier à un « mythe de
l’origine » comme n’importe quel
militant identitaire. C’est donc montrer
au grand jour que son sectarisme
l’emporte sur les intérêts que l’on
prétend défendre.
Or, les députés représentent la
Nation. Ils doivent donc s’engager sur
ce qu’ils pensent et non sur qui a
présenté tel ou tel texte. Dans le cas
présent, la loi El Khomri divise. On
peut l’approuver comme on peut la
rejeter. Mais, on aura toujours plus de
considération pour qui aura assumé ses
choix que pour qui aura laissé le
sectarisme prendre le pas sur son choix.
De
l’hypocrisie en politique
Mais, on peut ici craindre le pire,
et ce pire s’appelle l’hypocrisie. Car,
si le sectarisme est une plaie qui
défigure l’action politique,
l’hypocrisie, elle, en est tout
simplement la négation. On peut
reprocher à un acteur politique ses
erreurs, mais on ne peut lui pardonner
l’hypocrisie.
Or, en prétendant défendre ses
« valeurs » (et en oubliant qu’en
politique on n’a que des principes) le
député « frondeur » sait fort bien qu’il
laisse passer la loi El Khomri qu’il
prétend honnir. En se réfugiant derrière
le discours sur une motion de censure
« de gauche », il construit un
argumentaire de justification qui lui
permet d’expliquer son inaction en lui
donnant les apparences de la morale.
Certes, car Monsieur le « frondeur » a
des certitudes, il est opposé à cette
loi. Certes, il la trouve rétrograde,
inadaptée aux problèmes posés, et fort
dangereuse dans un contexte de chômage
de masse. Mais il ne peut « en
conscience » (très bon cela, coco, que
d‘invoquer la conscience en un tel
moment) voter une motion « de droite ».
Et, comme il sait fort bien que le dépôt
d’une motion « de gauche » est plus
qu’hasardeux, cela va donc aboutir à ce
qu’il ne vote aucune motion de
censure. Le tour est joué, mais dans la
honte et l’ignominie. Cette même
personne va, ensuite, s’étonner du
discrédit dont souffrent les partis
politiques traditionnels, sans même voir
que son propre comportement est à
l’origine du dit discrédit.
Tout est donc dit sur les
« frondeurs », sur leur sectarisme, leur
hypocrisie et leur lâcheté, sur ce
qu’ils sont et ceux qu’ils ne
représentent pas. Ajoutons, cependant,
que le sectarisme et l’hypocrisie ne se
manifestent pas seulement au Parlement.
Car, ce sont ces deux maux qui sont
aussi à l’œuvre au sein du mouvement
social, et en particulier sur la
question de l’Euro. On se souvient de
ceux qui, n’est-ce pas Fréderic Lordon,
défendaient une sortie « de gauche » de
l’Euro. Comme si cela avait un
sens…Assurément, il y aura débat sur la
politique à mettre en place après
la sortie de l’Euro, et cette politique
pourra être « de gauche » ou « de
droite ». Mais, pour que ce débat ait
lieu, il faudra d’abord être sortie de
l’Euro, et cela n’est ni de gauche, ni
de droite. On est pour ou l’on est
contre, mais ici aussi, comme sur la
question du vote de la censure, vouloir
faire parade de sa gauchitude
comme pourrait le dire une ministre que
je ne nommerai pas, c’est tout
simplement faire preuve d‘hypocrisie et
donc de lâcheté.
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