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La trahison de Tsipras?
Jacques Sapir

© Jacques
Sapir
Vendredi 10 juillet 2015
Les propositions soumises par Alexis
Tsipras et son gouvernement dans la nuit
de jeudi à vendredi ont provoqué la
stupeur. Elle reprennent largement, mais
non totalement, les propositions
formulées par l’Eurogroupe le 26 juin.
Elles sont largement perçues dans
l’opinion internationale comme une
« capitulation » du gouvernement Tsipras.
La réaction très positive des marchés
financiers ce vendredi matin est, à cet
égard, un signe important.
On sait par ailleurs qu’elles ont été
en partie rédigées avec l’aide de hauts
fonctionnaires français, même si cela
est démenti par Bercy. Ces propositions
résultent d’un intense travail de
pressions tant sur la Grèce que sur
l’Allemagne exercées par les Etats-Unis.
La France a, ici, délibérément choisi le
camp des Etats-Unis contre celui de
l’Allemagne. Le gouvernement français
n’a pas eu nécessairement tort de
choisir d’affronter l’Allemagne sur ce
dossier. Mais, il s’est engagé dans
cette voie pour des raisons
essentiellement idéologique. En fait, ce
que veut par dessus tout M. François
Hollande c’est « sauver l’Euro ». Il
risque de voir très rapidement tout le
prix qu’il a payé pour cela, et pour un
résultat qui ne durera probablement que
quelques mois. Car, ces propositions, si
elles devaient être acceptées, ne
règlent rien.
Les termes
de la proposition grecque
Ces propositions sont donc proches de
celles de l’Eurogroupe. On peut
cependant noter certaines différences
avec le texte du 26 juin, et en
particulier la volonté de protéger les
secteurs les plus fragiles de la société
grecque : maintien du taux de TVA à 7%
pour les produits de base, exemptions
pour les îles les plus pauvres,
maintien jusqu’en 2019 du système d’aide
aux retraites les plus faibles. De ce
point de vue, le gouvernement grec n’a
effectivement pas cédé. De même, le
gouvernement a inclus dans ce plan des
mesures de luttes contre la fraude
fiscale et la corruption, qui faisaient
parties du programme initial de Syriza.
Mais, il faut bien reconnaître qu’il
s’est, pour le reste, largement aligné
sur les demandes de l’Eurogroupe.
Faut-il alors parler de capitulation
comme le font certains ? La réponse est
pourtant moins simple que ce qu’il
paraît.
En effet, le gouvernement grec
insiste sur trois points : un
reprofilage de la dette (à partir de
2022) aboutissant à la reporter dans le
temps de manière à la rendre viable,
l’accès à 53 milliards sur trois ans, et
le déblocage d’un plan d’investissement,
dit « plan Juncker ». Mais, ce « plan »
inclut largement des sommes prévues –
mais non versées – par l’Union
européenne au titre des fonds
structurels. Surtout, le gouvernement
grec insiste sur un engagement
contraignant à l’ouverture de
négociations sur la dette dès le mois
d’octobre. Or, on rappelle que c’était
justement l’une des choses qui avaient
été refusées par l’Eurogroupe,
conduisant à la rupture des négociations
et à la décision d’Alexis Tsipras de
convoquer un référendum.
De fait, les propositions transmises
par le gouvernement grec, si elles font
incontestablement un pas vers les
créanciers, maintiennent une partie des
exigences formulées précédemment. C’est
pourquoi il est encore trop tôt de
parler de capitulation. Une
interprétation possible de ces
propositions est qu’elles ont pour
fonction de mettre l’Allemagne, et avec
elle les autres pays partisans d’une
expulsion de la Grèce de la zone Euro,
au pied du mur. On sait que les
Etats-Unis, inquiets des conséquences
d’un « Grexit » sur l’avenir de la zone
Euro, ont mis tout leur poids dans la
balance pour amener Mme Merkel à des
concessions importantes. Que l’Allemagne
fasse preuve d’intransigeance et c’est
elle qui portera la responsabilité du « Grexit ».
Qu’elle se décide à céder, et elle ne
pourra plus refuser au Portugal, à
l’Espagne, voire à l’Italie, ce qu’elle
a concédé à la Grèce. On peut alors
considérer que ce plan est une nouvelle
démonstration du sens tactique inné
d’Alexis Tsipras. Mais, ces propositions
présentent aussi un grave problème au
gouvernement grec.
Le dilemme
du gouvernement grec
Le problème auquel le gouvernement
Tsipras est confronté aujourd’hui est
double : politique et économique.
Politiquement, vouloir faire comme si le
référendum n’avait pas eu lieu, comme si
le « non » n’avait pas été largement, et
même massivement, majoritaire, ne sera
pas possible sans dommages politiques
importants. Le Ministre des finances
démissionnaire, M. Yannis Varoufakis, a
d’ailleurs critiqué des aspects de ces
propositions. Plus profondément, ces
propositions ne peuvent pas ne pas
troubler non seulement les militants de
Syriza, et en particulier la gauche de
ce parti, mais aussi, et au-delà,
l’ensemble des électeurs qui s’étaient
mobilisés pour soutenir le gouvernement
et Alexis Tsipras. Ce dernier prend donc
le risque de provoquer une immense
déception. Celle-ci le laisserait en
réalité sans défense faces aux
différentes manœuvres tant
parlementaires qu’extra-parlementaires
dont on peut imaginer que ses
adversaires politiques ne se priveront
pas. Or, la volonté des institutions
européennes de provoquer un changement
de gouvernement, ce qu’avait dit crûment
le Président du Parlement européen, le
social-démocrate Martin Schulz, n’a pas
changé. Hier, jeudi, Jean-Claude Juncker
recevait les dirigeants de la Nouvelle
Démocratie (centre-droit) et de To
Potami (centre-gauche). Privé d’un large
soutien dans la société, ayant
lourdement déçu l’aile gauche de son
parti, aile gauche qui représente plus
de 40% de Syriza, Tsipras sera désormais
très vulnérable. Au minimum, il aura
cassé la logique de mobilisation
populaire qui s’était manifestée lors du
référendum du 5 juillet et pendant la
campagne. Il faut ici rappeler que les
résultats de ce référendum ont montré
une véritable mobilisation allant bien
au-delà de l’électorat de Syriza et de
l’ANEL, les deux partis du gouvernement.
Cela aura, bien entendu des
conséquences. Si les députés de la
gauche de Syriza vont très probablement
voter ces propositions au Parlement, il
est néanmoins clair que les extrêmes, le
KKE (les communistes néostaliniens) et
le parti d’Extrême-Droite « Aube
Dorée », vont pouvoir tirer profit de la
déception que va susciter ces
propositions.
Au-delà, la question de la viabilité
de l’économie grecque reste posée, car
ces propositions n’apportent aucune
solution au problème de fond qui est
posé. Certes, cette question de la
viabilité sera posée dans des termes
moins immédiatement dramatiques
qu’aujourd’hui si un accord est conclu.
La crise de liquidité pourra être
jugulée sans recourir aux mesures
radicales que l’on a évoquées dans ces
carnet. Les banques, à nouveau alimentée
par la BCE, pourront reprendre leurs
opérations. Mais, rien ne sera réglé.
Olivier Blanchard, l’ancien économiste
en chef du Fond Monétaire International
signale que les pronostics très négatifs
réalisés par son organisation sont
probablement en-deçà de la réalité.
Après cinq années d’austérité qui l’ont
saigné à blanc, l’économie grecque a
désespérément besoin de souffler. Cela
aurait pu passer par des
investissements, une baisse de la
pression fiscale, bref par moins
d’austérité. Ce n’est pas le chemin vers
lequel on se dirige. Cela aurait pu
aussi passer par une sortie, et non une
expulsion, hors de la zone Euro qui, en
permettant à l’économie grecque de
déprécier sa monnaie de -20% à -25%, lui
aurait redonné sa compétitivité. On ne
fera, à l’évidence, ni l’un ni l’autre.
Dès lors, il faut s’interroger sur les
conditions d’application des
propositions soumises par la Grèce à ses
créanciers. Même en admettant qu’un
accord soit trouvé, la détérioration de
la situation économique induite par
l’action de la Banque Centrale
Européenne, que M. Varoufakis a
qualifiée de « terroriste », venant
après cinq années d’austérité risque de
rendre caduques ces propositions d’ici à
quelques mois. Une chute des recettes de
la TVA est aujourd’hui prévisible. Une
nouvelle négociation sera donc
nécessaire. En ce sens, ces propositions
ne règlent rien.
L’Euro c’est
l’austérité
Il faut, alors, s’interroger sur le
sens profond de ces propositions. Si
elles sont tactiquement défendables,
elles correspondent très probablement à
une erreur de stratégie. Alexis Tsipras
a déclaré ce vendredi matin, devant le
groupe parlementaire de Syriza, qu’il
n’avait pas reçu mandat du peuple grec
pour sortir de l’Euro. Le fait est
aujourd’hui débattable, surtout après
l’écrasante victoire du « non » au
référendum. Il est clair que telle
n’était pas l’intention initiale du
gouvernement, et ne correspondait pas au
programme sur lequel il avait été élu.
Mais, on peut penser que mis devant
l’alternative, refuser l’austérité ou
refuser l’Euro, la population grecque
est en train d’évoluer rapidement. En
fait, on observe une radicalisation dans
les positions de la population, ou du
moins c’est ce qui était observée
jusqu’à ces propositions. Les jours qui
viennent indiqueront si cette
radicalisation se poursuit ou si elle a
été cassée par ce qu’a fait le
gouvernement.
En réalité, ce que l’on perçoit de
manière de plus en plus claire, et c’est
d’ailleurs l’analyse qui est défendue
par l’aile gauche de Syriza et un
économiste comme Costas Lapavitsas[1],
c’est que le cadre de l’Euro impose
les politiques d’austérité. Si Tsipras a
cru sincèrement qu’il pourrait changer
cela, il doit reconnaître aujourd’hui
qu’il a échoué. L’austérité restera la
politique de la zone Euro. Il n’y aura
pas « d’autre Euro », et cette leçon
s’applique aussi à ceux qui, en France,
défendent cette fadaise. Dès lors il
faut poser clairement le problème d’une
sortie de l’Euro, qu’il s’agisse
d’ailleurs de la Grèce ou de nombreux
autres pays.
[1] Voir son interview,
http://therealnews.com/t2/index.php?option=com_content&task=view&id=31&Itemid=74&jumival=14181
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