RussEurope
L’insulte et la blessure
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Samedi 6 août 2016
Le gouvernement
français ajoute désormais l’insulte à la
blessure. Il cherche à camoufler son
échec économique d’une manière qui
constitue une insulte pour les français.
Le « Canard enchaîné »
s’était procuré un document distribué
aux cadres de Pôle emploi qui détaille
le projet du gouvernement consistant à
orienter 500.000 chômeurs
supplémentaires vers des formations
professionnelles. Ce document est repris
par le très socialiste et très
gouvernemental l’Obs[1].
Ainsi, ces 500 000 chômeurs (ou plus
précisément « demandeurs d’emploi »)
glisseront ainsi de la catégorie « A » à
la catégorie « D », qui n’est pas
comptabilisée dans les chiffres du
chômage diffusés chaque mois par le
gouvernement, chiffres qui ne sont basés
que sur la catégorie « A ». Le
gouvernement pourra prétendre que la
courbe du chômage s’est inversée, et
François Hollande pourra se représenter
à l’élection présidentielle de 2017.
L’objectif est d’atteindre le chiffre de
1 million de chômeurs en formation (soit
500.000 de plus que les années
précédentes donc)
Pour comprendre l’enjeu de cette
manipulation, il faut d’abord revenir
sur quelques faits. Les données
présentées en France ne sont pas celles
du « chômage » mais uniquement celles
des « demandeurs d’emploi ». Elles sont
collectées par la DARES. Les données des
demandeurs d’emplois sont des données
administratives, et peuvent faire
l’objet de corrections, en particulier
quand le demandeur d’emploi ne remplit
pas certaines des conditions pour se
voir inscrit. Dans ce cas, il est rayé
des listes et « disparaît », mais ne
cesse pas pour autant d’exister comme
« chômeur »… Ces données sont de plus
réparties en catégories qui sont définie
par la DARES[2] ,
qui est l’organisme en charge de ces
statistiques.
Définitions des catégories
Catégorie
A : demandeurs d’emploi tenus de
faire des actes positifs de
recherche d’emploi, sans
emploi ;
Catégorie
B : demandeurs d’emploi tenus de
faire des actes positifs de
recherche d’emploi, ayant exercé
une activité réduite courte
(i.e. de 78 heures ou moins au
cours du mois) ;
Catégorie
C : demandeurs d’emploi tenus de
faire des actes positifs de
recherche d’emploi, ayant exercé
une activité réduite longue
(i.e. de plus de 78 heures au
cours du mois) ;
Catégorie
D : demandeurs d’emploi non
tenus de faire des actes
positifs de recherche d’emploi
(en raison d’un stage, d’une
formation, d’une maladie, d’un
congé maternité,…), sans
emploi ;
Catégorie
E : demandeurs d’emploi non
tenus de faire des actes
positifs de recherche d’emploi,
en emploi (par exemple :
bénéficiaires de contrats
aidés).
|
C’est donc très abusivement que le
gouvernement ne retient que la catégorie
« A » comme indicateur du chômage. On
peut d’ailleurs se demander pourquoi les
journalistes français le suivent dans
cette voie. En effet le chômage réel,
tel que l’on peut l’estimer à
partir du nombre des demandeurs d’emploi
couvre en réalité les
catégories A + B + D, et l’on peut
considérer que la catégorie B+D
correspond à un chômage masqué
statistiquement. Il faut donc croire que
les journalistes français, du moins ceux
de la télévisions et des grands
journaux, ne lisent pas les notes de la
DARES est se contentent de répéter comme
des perroquets ce que dit le
gouvernement.
Si l’on s’attache uniquement aux
chiffres des demandeurs d’emploi en
métropole, on constate que le chiffre de
la catégorie « A », pour le mois de juin
2016, est effectivement plus faible
qu’en février, avec 3 525 700 personnes
contre 3 591 000. Il semble donc que la
courbe du « chômage » se soit, si ce
n’est inversée, du moins stabilisée.
Graphique 1
Source : DARES
Mais, si l’on prend toutes les
catégories représentatives du chômage,
soit les catégories A+B+D, l’image
change. Après la forte baisse de mars
2016 (et un nombre important de
radiations ainsi qu’une forte hausse des
emplois aidés), la courbe reprend sa
progression. Ce n’est pas étonnant
d’ailleurs si l’on regarde la croissance
qui a été nulle au 2ème
trimestre. Ceci s’explique, d’après
l’INSEE[3],
par des dépenses de consommation des
ménages qui ralentissent nettement (0,0
% après +1,2 %), tandis que
l’investissement (la formation brute de
capital fixe ou FBCF) total se replie
(-0,4 % après +1,3 %) et que la demande
intérieure finale (hors stocks) stagne :
sa contribution à l’évolution du PIB
étant nulle (après +1,0 point au premier
trimestre). Le comportement de stockage
des entreprises contribue à nouveau
négativement (-0,4 point, après -0,1
point) à la croissance.
Graphique 2
Source : DARES
Si l’on regarde maintenant l’ensemble
des catégories de demandeur d’emploi
(A+B+C+D+E), on constate que le nombre
global est bien reparti à la hausse. Les
conséquences du mauvais chiffre de la
croissance au 2ème trimestre
se feront sentir au 3ème
trimestre, et il faut probablement
s’attendre à de nouvelles hausses du
chômage dès la fin de l’été.
Graphique 3
Source : DARES
La blessure dont souffre la France,
cette plaie béante, s’appelle le chômage
de masse. Il n’est nullement inévitable
mais bien le produit d’une politique
économique directement et indirectement
conditionnée par l’Euro. Dans un rapport
publié le 26 juillet dernier, le FMI non
seulement montre que l’activité dépend
dans une large mesure du taux de change,
mais il montre aussi que le taux de
change de l’Euro est surévalué pour la
France de 6% et sous-évalué de 15% pour
l’Allemagne, aboutissant à un écart de
21% entre les deux pays[4].
Cette situation, aggravée par une
politique économique absurde mise en
place justement en raison de
l’appartenance de la France à la zone
Euro est l’une des explications du
chômage de masse qui sévit dans notre
pays. Non seulement la faible croissance
de l’économie et la stagnation de
l’industrie entraînent un chômage
important mais nous avons aussi l’une
des explications des déficits
budgétaires récurrents que notre pays
connaît. Les exemptions de cotisations,
mais aussi les recettes manquantes du
fait de la stagnation de la production,
et la nécessité de constamment stimuler
une économie qui sans cela sombrerait
dans la récession, expliquent pourquoi
les dépenses sont constamment
supérieures aux recettes. Cette
situation se justifie quand des
événements extérieurs viennent perturber
l’économie, ce qui fut le cas de la
crise de 2008-2010. Mais, de 1999 à
2007, rien ne le justifiait. Rien, si ce
n’est l’effet dépressif qu’exerçait
l’Euro sur l’économie française et
que les gouvernements connaissaient.
Pour « sauver l’Euro », à la suite de
la crise de 2010, on a mis en œuvre des
politiques qui ont aggravé les
problèmes. Depuis le printemps 2011, les
politiques d’austérité, il faut le
souligner, ont été décidées dans le
cadre de la zone Euro avec pour
objectif le maintien de la France
dans la zone Euro.
Une large part de l’accroissement du
chômage de 2008 à 2010 aurait pu être
évité, ou effacé, si la France n’avait
pas fait partie de la zone Euro.
Indirectement, l’Euro a ajouté encore 1
million de chômeurs. Le total est donc
de plus de 2 millions depuis 2007. Telle
est la pente néfaste sur laquelle la
France est engagée depuis des années.
Cette progression est le fruit amer du
consensus qui existe entre la politique
du centre-droit et celle de la
« gauche » ; un consensus dont les
effets sont, aujourd’hui, dramatiques
pour les individus[5].
Plutôt que de chercher à masquer cela
par des méthodes indignes, qui insultent
les français, le gouvernement ferait
mieux de s’attaquer à la cause première
de cette situation, c’est à dire à
l’Euro.
Notes
[1]
http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20160803.OBS5724/le-plan-miracle-de-pole-emploi-pour-inverser-la-courbe-du-chomage.html
[2],http://travail-emploi.gouv.fr/etudes-recherches-statistiques-de,76/statistiques,78/chomage,79/les-mots-du-chomage,1413/les-demandeurs-d-emploi-inscrits-a,9576.html
[3]
http://www.insee.fr/fr/themes/info-rapide.asp?id=123
[4]
http://www.imf.org/external/np/pp/eng/2016/072716.pdf
[5] Voir, sur l’impact du chômage
sur le nombre des suicides, : Dr Carlos
Nordt, PhD, Ingeborg Warnke, PhD, Prof
Erich Seifritz, MD PD, Wolfram Kawohl,
MD, « Modelling suicide and unemployment:
a longitudinal analysis covering 63
countries, 2000–11 », in The Lancet
Psichatry,
Volume 2, No. 3, pp. 239–245, Mars
2015.
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