RussEurope
La tristesse et la honte
Jacques Sapir

© Jacques
Sapir
Mardi 4 avril 2017
L’attentat
meurtrier du métro de Saint-Pétersbourg
a donc fait au total 14 victimes.
Résidant actuellement à Moscou, j’ai
suivi avec attention les réactions de la
population. On sent la tristesse, mais
aussi la colère et une froide
détermination. Dans le métro de Moscou,
quelques sourires sont échangés avec les
agents de sécurité et les forces de
l’ordre, mais rien d’ostentatoire. Ici,
on souffre en silence, on se recueille,
on se prépare. Certains sont persuadés
que ces attentats ne sont que le début
d’une longue série. D’autres plus
dubitatifs, les attribuent à un commando
isolé. Mais, tous savent que la lutte
contre le terrorisme sera longue,
difficile, et qu’elle sera sans pitié. Les russes que j’ai
pu côtoyer, dans le métro comme à
l’université où je donne actuellement
des cours, sont déterminés. On pourrait
prendre leur calme pour de
l’indifférence ; ce serait cependant
faire une profonde erreur. Ils sont
sensibles aux gestes de compassion de
l’étranger, au message du Président
Trump comme aux manifestations qui ont
eu lieu à Tel-Aviv. Nul ne me parle de
la France. On a de la pudeur ici, et
l’on ne veut pas insulter des amis, même
si l’indifférence des autorités
françaises tranche avec la réaction des
moscovites lors des attentats de Paris,
que ce soit celui de janvier 2015 ou
celui de novembre de cette même année.
Tout juste un collègue me rappelle la
mémoire de Bernard Maris, mort à la
rédaction de Charlie-Hebdo. Il n’est pas
besoin d’insister, car une immense honte
m’emplit.
Une honte indicible
que Mme Hidalgo n’ait nullement fait
allumer la tour Eiffel aux couleurs de
la Russie ou, à tout le moins, n’ait
fait un geste symbolique depuis la
mairie de Paris. Une honte indicible que
notre gouvernement, que notre Ministre
des Affaires Etrangères, que notre
Premier-ministre, que notre Président,
n’aient pas fait de déclarations
publiques. S’ils en on fait, alors ce
fut dans une discrétion toute
diplomatique car nous n’en avons eu ici,
à Moscou, aucune trace. Pourtant, la
télévision s’empresse d’accumuler les
messages de solidarité, de Russie et de
l’étranger, alors que les éditions
spéciales des journaux télévisés
occupent toutes les chaines. Alors, sans
doute un message, froid et aux mots
chichement mesurés, viendra dans la
journée ou demain. Et les autorités
russes, s’en en être dupe, l’accepteront
parce que la diplomatie est un jeu
pratiqué par tous. Mais, n’ayons
crainte, elles n’oublieront pas ce
manque ostentatoire de compassion venant
des femmes et des hommes qui prétendent
nous diriger.
Oui, je suis empli
d’une honte indicible qu’une logique
inspirée du temps de la Guerre Froide
sépare les « bons » des « mauvais »
morts. Oui, je suis empli de honte que
des dirigeants confondent des
oppositions politiques, qu’elles soient
justifiées ou non, avec la plus
élémentaire humanité. Je suis triste
pour ce que cela révèle de mon pays, et
de sa classe politique. Mais je sais
que, au fond de nous, nous sommes
nombreux à partager cette honte et cette
tristesse, et que nos pensées sont avec
le peuple russe et les victimes de cet
attentat.
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