RussEurope
Un cadavre et une renaissance
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Vendredi 1er avril 2016
Deux faits ont marqué cette semaine :
le succès de la mobilisation contre la
loi « El-Khomri » du jeudi 31 mars, où
l’on a eu plus d’un million de
manifestant sur l’ensemble de la France
métropolitaine, et l’annonce, le
mercredi 30, par le Président de la
République, qu’il renonçait dans son
projet de modification de la
Constitution. Ces deux événements se
rejoignent sur un point : l’un et
l’autre symbolisent l’échec de la
stratégie de François Hollande et,
au-delà, de celle de ce courant
« social-libéral » qui a entraîné le P
« S » dans une catastrophe qui n’a que
peu d’équivalents dans l’Histoire. Ces
deux événements désignent, à contrario,
un vainqueur : Jean-Luc Mélenchon.
Les victimes
de la séquence politique qui vient de se
dérouler
On a déjà dit que le retrait du
projet de modification de la
Constitution faisait de François
Hollande un cadavre politique. Le succès
de la mobilisation du 31 mars aura été
le dernier clou dans son cercueil. Car,
que ce soit dans la tentative
d’instrumentaliser les attentats du 13
novembre, ou dans l’attaque sans
précédent menée contre le Code du
Travail, c’est la même stratégie qui est
à l’œuvre. Et c’est la même stratégie
qui a été mise en échec.
Cette stratégie prétendait s’appuyer
sur des événements particulièrement
tragiques pour mettre en scène le
Président comme « rempart » des
français, tout en permettant la mise en
œuvre de la politique décidée à
Bruxelles et Francfort. Les preuves de
l’implication, ne serait-ce
qu’indirecte, de la Commission
Européenne dans la rédaction, de la loi
« El Khomri », sont en effet nombreuses.
Un exemple nous en est à nouveau donné
dans l’article d’Aline Robert sur le
site Euractiv.fr[1],
publié le vendredi 1er avril.
Il faut donc dire et redire que cette
loi, qui est actuellement présentée
devant la commission des affaires
sociales de l’Assemblée nationale, n’est
que la traduction logique des
recommandations prises par les diverses
instances européennes. Cette loi n’est
que le fruit amer du « six-pack » et des
divers traités, du pacte de stabilité de
1997 au TSCG de 2012, issus de l’hybris
européistes de nos élites. On voit bien
d’ailleurs comment, sur d’autres
terrains comme celui de la crise de la
paysannerie, Bruxelles torpille toute
initiative nationale[2].
Cette stratégie a été contrariée par
des forces très diverses. L’échec de la
révision constitutionnelle doit beaucoup
aux divisions de l’élite politique. La
mobilisation contre la loi « El Khomri »,
qui n’est certes pas achevée et qui est
appelée à se développer dans les
prochains jours, rassemble tant les
syndicats qui ne se sont pas encore
compromis définitivement avec ce pouvoir
que la jeunesse scolarisée. Mais,
l’important est bien l’échec de cette
stratégie, et surtout le dévoilement de
sa nature profondément réactionnaire. La
crise stratégique qui frappe désormais
le projet du président en son cœur vient
aussi de ce dévoilement. Nul ne peut
désormais ignorer que c’est l’européisme
de François Hollande qui l’a conduit
d’abord à des renoncements successifs,
dont le plus grave fut certainement
celui sur le TSCG, et aujourd’hui dans
cette impasse. Il n’est donc que justice
qu’il périsse (politiquement) par là ou
il a pêché !
Reconfiguration du champ politique
Il convient alors d’en tirer toutes
les conséquences. Car, cette crise
stratégique, si elle affecte l’homme
Hollande, et compromet durablement son
projet de se représenter lors de
l’élection de 2017, atteint l’ensemble
de la classe politique qui a communié
dans cette idéologie européiste. De ce
point de vue il ne faut nourrir aucune
illusion. Ce projet de loi « El Khomri »,
s’il est aujourd’hui porté par des
éléments du P « S » le sera, demain, par
les « Républicains », qu’il s’agisse
d’Alain Juppé, qui dit à qui veut
l’entendre tout le « bien » qu’il pense
de M. Macron, François Fillon, qui croit
avec la foi du charbonnier que l’Euro
fera le bonheur de l’Europe quand tout
indique le contraire, Nicolas Sarkozy ou
Bruno Le Maire. Si le Président est
aujourd’hui effectivement un cadavre
politique, l’opposition ne nous présente
pour l’instant que le syndicats de SOS
Fantômes ! Elle a renoncé, et elle a
renié, la Nation et la Souveraineté.
A gauche, un homme échappe – pour
l’instant – à ce désastre : c’est
Jean-Luc Mélenchon. Sa décision de
rompre avec la direction du PCF et, de
fait, de liquider le Front de Gauche
miné par les pratiques
petites-politiciennes de ses « alliés »,
s’est trouvée largement validée dans les
faits[3].
Il est le seul à pouvoir tirer quelques
profits de la séquence qui vient de se
dérouler. Le tournant vers l’exigence de
la souveraineté (comme le dit
l’économiste grec Costas Lapavitsas[4])
qu’il a pris progressivement depuis
l‘été 2015, ce tournant vers ce que l’on
qualifiera de « souverainisme », lui
permet aujourd’hui de désigner
clairement les responsables et
d’identifier les racines de nos maux.
Pour lui, la séquence politique qui
s’achève marque une véritable
renaissance, voire une résurrection. Dès
lors, se pose le problème de la
nécessaire cohérence qu’il convient
d’adopter[5].
On devine que ceux qui se sont levés
contre la loi « El Khomri », que tous
ceux qui sont aujourd’hui révoltés par
la politique de Hollande, Valls, Macron
et compagnie, et parmi ce gens il faut
compter un nombre conséquent d’électeurs
et de cadres du P« S », n’accepterons
pas de reporter leurs voix sur un
représentant de ce parti honni, ni sur
un membre de SOS Fantômes, pardon des
« Républicains ». Dès lors, le seul
candidat de l’unité pour les forces de
gauche ne peut être que
Jean-Luc Mélenchon. Tout autre candidat
ne sera qu’un candidat de division. De
cela, la direction du PCF devra bien,
toute honte bue, en convenir, ou
accepter un suicide collectif. Les
critiques que j’ai faites à Jean-Luc
Mélenchon sont publiques et connues. En
particulier sur la question de la
Souveraineté, mais aussi sur le
sectarisme qui a pu caractériser
certaines de ses prises de position
(mais je dois à l’honnêteté de dire
qu’elles caractérisent surtout ses
lieutenants). Ce sera le défaut
principal dont il devra se défier. Mais,
aujourd’hui, il est clair qu’il est le
seul à pouvoir rassembler la « gauche ».
Cette politique de rassemblement doit
assumer la dimension populiste qui est
la sienne, tout comme elle doit assumer
la dimension souverainiste sans laquelle
aucun des combats actuels ne prend sens.
Nous voyons aujourd’hui clairement que
c’est par la souveraineté que nous
pourrons combattre et les régressions
sociales qui nous sont imposées et cette
marche vers la Tyrannie, ce que j’ai
appelé la « démocrannie », qui nous
menace. Nos ennemis sont à Bruxelles et
Francfort, pour ne pas dire Washington
et Berlin. Il faudra les désigner
clairement.
Notes
[1]
http://www.euractiv.fr/section/europe-sociale-emploi/news/la-commission-europeenne-se-rejouit-de-la-loi-el-khomry/
[2]
http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/02/29/31001-20160229ARTFIG00233-intermarche-et-les-agriculteurs-le-coup-de-poignard-de-la-commission-europeenne.php
[3] Sapir J., « RIP le Front de
Gauche », note publiée sur
RussEurope le 17 décembre 2015,
https://russeurope.hypotheses.org/4570
[4]
http://unitepopulaire-fr.org/2016/03/05/exigeons-la-souverainete-lapavitsas/
[5] Sapir J., « Incohérences
(encore)… », note publiée le 10 décembre
2015 sur RussEurope,
https://russeurope.hypotheses.org/4549
Le sommaire de Jacques Sapir
Le
dossier politique française
Les dernières mises à jour
|