MADANIYA
Le coup de Skhirat, cinquante ans après. 2/2
Jaafar Al Bakli
Mercredi 15 juillet 2020 1 -Mon cher
peuple me voilà revenu vers vous.
Le roi surgit. Il
s’empara des cadets et retourna la
situation en sa faveur.
Pourquoi Ababou
a-t-il épargné le Roi? Tel est le grand
mystère de cette affaire. Ababou avait
assiégé le site où se terrait Hassan II,
mais sans passage à l’acte. Il n’a pas
franchi le pas de l’emprisonner ou de le
liquider.
Le chef des mutins
avait quitté Skhirat avec la majorité de
sa troupe sans avoir procédé ni à
l’arrestation du Roi, ni à celle de
Mohamad Oufkir, ministre de l’intérieur,
ni à celle du Colonel Ahmad Dlimi, chef
de la sécurité.
N’eut-il pas été
préférable que ces trois hommes clés du
royaume soient captifs sous son
contrôle? Des otages à sa merci? Comme
il l’a fait avec quatre généraux dont il
réclamait l’allégeance et qu’il a
embarqué à bord d’une Jeep dans sa route
vers Rabat afin de leur donner le temps
de la réflexion?
Ababou a-t-il été
saisi par le doute à un moment décisif
de cette opération?Non.
Ababou n’a pas
hésité. Il a été au bout de son aventure
sanglante, sans sourciller. Ababou
ignore la pitié, la compassion ou la
commisération. L’homme est impitoyable,
liquidant de sang froid, bon nombre de
prisonniers à Skhirat.
A-t-il manqué de
perspicacité?
Non. L’homme est
diplomé de l’Ecole de Guerre de Paris,
spécialiste de la planification et des
manoeuvres militaires. Il était
parfaitement conscient de l’impact
symbolique de la liquidation du Roi. Un
tel acte aurait crée un grand vide au
sein du Makhzen.
Pourquoi alors
Ababou a-t-il épargné Hassan II, sans
lui faire le moindre mal alors que le
souverain se trouvait une proie facile
entre ses mains?
La réponse est
qu’Ababou a considéré que le Roi, otage
désarmé, était dévalué déprécié, sans la
moindre possibilité d’agir ou de réagir.
Ababou a voulu
conserver le Roi comme monnaie
d’échange, dont il voulait faire usage à
son gré, quitte à s’en débarrasser au
moment le plus approprié, une fois sa
tâche achevée.
Aucun des captifs
ne constituait une menace. Tout le
Makhzen était tombé dans le piège de
Skhirat. Tous piégés. Ababou pouvait
donc tranquillement envisager la suite
de sa mission.
Une fois l’armée
neutralisée, la 2me étape de sa conquête
du pouvoir était la maîtrise des points
névralgiques du pays: Le Quartier
Général des Forces Armées Royales, qui
commandait tous les commandements de la
totalité des provinces du Royaume, le
ministère de l’Intérieur, qui avait la
haute main sur l’appareil sécuritaire du
pays, le ministère des Postes et
Télécommunications, qui contrôlait
l’ensemble des communications internes
et internationales, enfin le siège de la
Radio Télévision marocaine,
indispendable pour la communication avec
l’opinion publique marocaine et
internationale.
Ababou prévoyait de
prendre le contrôle des principaux
rouages de l’état avant de retourner à
Skhirat pour décider de la liste des
personnalités à épargner ou à liquider.
Dans son optique,
le fait que le Roi soit son otage devait
lui faciliter la tâche. D’où ses fermes
instructions à son frère de bien garder
le Roi, sa famille, la hiérarchie
militaire et sécuritaire, les chefs des
partis politiques avec une instruction
formelle: Si Ababou n’était pas revenu à
Skhirat à 20H00 locales, son frère
devait liquider tous les otages sans
exception.
2- La ruse du
Coran
Hassan II fixa les
cadets chargés de sa détention. Tous des
jeunes plongés dans la perpléxité. Le
Roi releva que la main de l’un d’entre
eux, portant une arme, tremblait.
Deux salves
retentirent au loin, brisant le lourd
silence. Les soldats se sont
spontanément mis en état d’alerte,
scrutant l’origine des tirs. Le Roi
perçut leur embarras. Une bande de
cadets de l’Académie militaire
d’Ahermoumou n’ayant nullement
conscience de leurs actes.
D’une voix basse,
sur un ton paternel, le Roi s’adresse
alors aux cadets: «Vous êtes mes fils».
Les cadets le regardèrent avec crainte
et respect.
Pas un n’avait
aperçu le souverain auparavant. La seule
figure du Roi qui leur revenait à
l’esprit était celle d’un monarque
majestueux, popularisée dans de grands
portraits en couleur qui trônaient dans
les édifices publics du royaume. Le Roi
était là, devant eux, entre leurs mains.
En chair et en os. Qui aurait pu
imaginer qu’une chose pareille pouvait
se produire?
Puis un des cadets
s’adresse au Roi: «Sire, le Colonel
Ababou nous a dit que vous étiez en
danger. Il nous a donné misison de vous
protéger».
Réponse du Roi:
«Parfait. Nous volà en sécurité. Je suis
en bonne santé. Vous serez en sécurité
tant que vous serez à mes côtés».
Personne ne leur
avait donné instruction sur ce qu’il
convenait de faire en pareille
circonstance. Ils ont reçu des ordres et
se bornent à les exécuter.
Hassan II: Prions.
Récitons la Fatiha, la mère du Coran. Le
verset qui libère de tous les soucis et
des peines. Puis, enchaînant, le Roi
s’est mis à réciter la Fatiha la main
sur la poitrine, aussitôt suivi par les
cadets.
Le souverain invite
les cadets à répéter après lui la phrase
suivante: «Mon Dieu que le Coran soit le
printemps de nos cœurs, notre lumière et
l’éxutoire de nos peurs». Les cadets
imitèrent le Roi, en répétant la phrase.
Le roi fixa à
nouveau les cadets, les scrutant à
nouveau avant de s’adresser à eux: «Je
suis le Roi. Votre souverain. Vous,
soldats, vous êtes mes subordonnés. Ne
craignez rien».
Puis le cadet fit
subitement le salut militaire aussitôt
suivi par les autres membres du groupe.
Hassan II leur tendit alors sa main. Les
cadets se saisirent des deux mains du
Roi, qu’ils s’empressèrent de baiser en
signe de respect et d’obéissance. Hassan
II respira enfin profondémment.
Qui contrôle
désormais les cadets? Sa chance lui
a-t-elle souri à nouveau après de
longues heures de malchance et de
malédiction? Sa majestueuse prestance a
certes beaucoup contribué à restaurer
son prestige auprès des mutins…De même
que quelques versets du Coran. Mais la
voie du salut était longue.
Poursuivant son
enquête, sans éveiller les soupçons, le
Roi s’adressa à nouveau aux cadets: «Que
sont devenus vos autres camarades?
Le caporal
répondit: «La majorité des cadets de
l’Académie d’Ahermoumou sont fidèles à
leur Roi. Mais certains officiers y sont
hostiles».
Le roi: Peux tu
faire le tri et distinguer les mutins
des fidèles?
Le caporal répondit
par l’affirmatif: Oui Sire.
Hassan II lui
ordonna alors d’aller rassembler les
cadets fidèles en les informant que le
Roi était sain et sauf, en prenant bien
soin de scruter leurs réactions et de
faire venir querlques cadets.
Le roi prit là un
risque calculé. Sa stratégie passait ou
cassait.
Le cadet est revenu
en compagnie de quelques soldats pour
rencontrer «Notre Sire le ROI». Puis
progressivement les cadets ont commencé
à s’attrouper autour de leur souverain.
Gagnés par l’enthousiasme, ils se mirent
à l’acclamer «Vive le Roi. Vive le Roi».
Revigoré, Hassan II
a retrouvé sa majesté, et, sans retard,
recommença à excercer son emprise sur
les cadets. Il leur tendit sa main
qu’ils s’empressèrent de baiser. L’un
d’eux s’est incliné à hauteur de son
genoux en guise de prosternation.
Puis le Roi les
sermona: «Qu’avez-vous. Avez vous perdu
la tête?. Etes vous devenus fous? Vous,
les officiers de l’armée royale; Vous,
mes enfants». Les acclamations fusèrent,
ponctuées de cris «Vive le Roi».
Puis usant à
nouveau du subterfuge du Coran, une
martingale gagnante pour le «commandeur
des croyants», il invita les soldats à
réciter la Fatiha en sa compagnie avant
de les rappeler à leur devoir de loyauté
à l’égard de leur souverain: «Vous devez
me suivre. Suivez tout le temps votre
Roi».
Hassan II s’est
rendu ensuite à la cachette d’Oufkir,
et, s’adressant en français à son
ministre de l’Intérieur, l’investit des
pleins pouvoirs: «Général Oufkir, je
vous habilite à faire usage de mes
prérogatives civiles et militaires
jusqu’au rétablissement de la situation
et le règlement final de cette affaire».
3 – Le supplice
du chanteur égytien Abdel Halim Hafez.
Abdel Halim Hafez
dodelinait de la tête en enregistrant
une chanson dans les studios de la
radio-télévision marocaine.
Le chanteur
égyptien devait chanter le soir même au
dîner d’anniversaire du Roi, dont il
était l’invité, au palais de Skhirat.
Les premières paroles de la chanson
étaient les suivantes: Hassan apparut et
Hassan étancha notre soif».
Soudain Ababou
déboula dans les studios et les tirs
retentirent dans toutes les directions.
Equipé d’écouteurs, Abdel Halim Hafez ne
s’est pas rendu compte de ce qui se
passait. Il continuait à chanter.
Ababou se dirigea
vers le chanteur égyptien, et sur un ton
méprisant, le toise: C’est toi le
chanteur égyptien effeminé qui vient
chaque année chanter pour le Roi».
Abdel Halim Hafez
n’a pas saisi l’insulte. Il répond,
embarrassé: «Oui. C’est bien cela, je
suis Abdel Halim Hafez et le Roi m’a
invité».
Ababbou lui jette
un regard où se même férocité et ironie:
«Parfait, nous t’informons Cher Abdel
Halim Hafez que le roi est mort et il
t’incombe d’en informer le peuple
marocain de cette nouvelle. Tiens, va
lire à la radio le communiqué annonçant
la fin de la monarchie et la
proclamation de la République
marocaine».
Ababou soumet au
chanteur égyptien un communiqué dans
lequel il annonçait le coup d’état.
Abdel Halim Hafez lit le texte. Son
visage s’assombrit saisi de frayeurs et
de colère.
Le chanteur implore
Ababou: Monsieur, Je ne suis pas
impliqué dans la politique. Je suis
artiste. Je chante. C’est tout. Je ne
suis pas non plus marocain. Je suis
chanteur égyptien. Pas besoin
d’impliquer l’Egypte dans les affaires
intérieures qui concernent exclusivement
les Marocains.
Ababou s’est mis en
colère, son arme brandie, le doigt sur
la gachette de son revolver.
Abdel Halim Hafez
s’est mis à pâlir et à implorer Ababou:
«Je suis un homme malade Je le jure que
je suis un homme malade. J’ai besoin de
médicaments, sinon je risque la mort.
Que Dieu vous préserve, mais laissez moi
partir (2).
Ababou n’était pas
disposé à faire droit à la requête
d’Abdel Halim Hafez. La tension monte
d’un cran entre les deux hommes,
annonciatrice d’une catastrophe toute
proche.
Un compositeur
marocain sauvera la mise de l’Egyptien.
Abdel Salam Amer se proposa de lire le
communiqué. Il retint le texte par cœur
et le déclama au micro de la radio.
Ababou demanda aux
techniciens de diffuser de la musique
militaire, en prélude à la diffusion du
communiqué annonciateur de la
«Révolution».
Les techniciens ont
été saisis de perpléxité. Affectés à des
progammes de variétés, ils n’avaient pas
pour habitude de diffuser de la musique
militaire, mais de répondre aux requêtes
des auditeurs dans le cadre d’un
programme célèbre dans le Monde arabe:
«Ma Yatloubouhou Al Moustami’ine» (Le
choix des auditeurs).
Ababou réclama la
chanson française «La Galette». Ah la
prégnance de la pesanteur coloniale
française même au sein des gradés
rebelles marocains qui se proposaient
d’instaurer la République.
4 – La visite
surprise du frère d’Ababou de Skhirat à
Rabat
Su ces entrefaites
et contre tout attente, le frère
d’Ababou, Mohamad, arrive précipitamment
de Skhirat et, tremblant de peur, se
dirige tout droit vers les studios de la
radio marocaine à Rabat.
Ababou en colère:
Pourquoi es-tu venu? Je t’avais ordonné
de demeurer au palais de Skhirat jusqu’à
mon retour.
Mohamad répondit à
son frère en français: «Le roi est
apparu. Il a pris le contrôle des cadets
qui l’ont suivi en l’acclamant. Plus
personne ne m’obésissait. Je me suis
sauvé. Le pire c’est qu’ils apprêtent à
marcher sur Rabat pour nous exterminer».
Ababou saisit
immédiatement la gravité de la
situation: «Je dois me rendre au QG des
Forces Armées Royales pour régler
l’affaire de là-bas.
5- Moulay
Abdallah et sa grangrène: l’épouvantable
dialogue entre le Roi et son frère à
propos du crocodile de Madagascar.
Une fois stabilisée
la situation, le Roi a quitté Skhirat en
compagnie de la totalité de sa famille.
Il opta pour le palais de sa soeur, la
princesse Lalla Fatima Al Zahra pour y
passer la nuit. Du palais de sa sœur, il
multiplia les directives à ses généraux
-Oufkir, Hazif Al Alami et Idriss Ben
Ammar- leur enjoignant de mâter les
dernières poches de la rebellion
Moulay Azbdallah,
atteint de 4 balles au bras et à la
cuisse, souffrait l’enfer.
Un médecin français
s’appprocha alors du Roi pour lui
signaler que son frère cadet avait
besoin de puissants antibiotiques, faute
de quoi il risquait la grangrène et donc
à terme l’amputation.
Le Roi négligea les
propos du médecin, qui reviendra à la
charge en reformulant sa demande. Le roi
se retourna vers son interlocuteur
français et lui lâcha sur un ton
colèrique: «Ecoutez Monsieur le Médecin,
je suis occupé par quelque chose de plus
important que la gangrène. Il y a un
trône que je cherche à récupérer».
Puis se tournant
vers un soldat, le Roi lui ordonne de
libérer la baionnette de son fusil. Le
soldat s’exécucte. Le roi se saisit de
la baionnette et la remet derechef au
médecin: «Comme vous faisiez état d’un
problème de gangrène, prenez cette
baionnette et amputez la main du Prince
(3).
Moulay Abdallah a
été choqué par ces propos. Les deux
frères entretenaient, il est vrai, des
relations de grande froideur. Abdallah
n’ignorait pas ce dont son frère, le
Roi, était capable en termes d’outrance.
Il était consterné que son comportement
ait atteint un tel degré de mépris.
Puis s’adressant
directement à son frère: «Te souviens-tu
des jours où nous étions à Madagascar
(ndlr en exil)? Te souviens-tu du jour
où le crocodile s’est attaqué à toi.
J’aurai dû le laisser régler son compte
avec toi», lâcha tranquillement Abdallah
à l’adresse de son frère.
Hassan II s’est
senti mal à l’aise à l’évocation de ce
comportement chevaleresque de son frère
cadet qui signifiait par là même son
ingratitude, voitre même sa goujaterie.
6 -Hassan II: le
Maroc suscite des jalousies
Le chef des mutins
Ababou a été tué au Quartier Général des
Forces Armées Royales. Atteint d’une
balle dans le cadre d’un échange de tirs
avec le général Bouhali.
Hassan II jubilait.
Il était redevenu Roi, Plus ROI
aujourd’hui qu’HOMME. Un semtiment
d’omnipotence l’habitait. «Les criminels
ne perdent rien à attendre». Ils
connaitront leur juste chatiment,
assure-t-il en fixant la date au 11
juillet 1971.
S’adressant à son
peuple, le Roi leur déclara que le
«Maroc suscite des jalousies. La joie
dans laquelle baigne notre peuple
suscite des envieux lequels ne
souhaitent pas que les Marocains en
bénéficient.
«Vous étiez à
l’écoute de la radio. Vous avez entendu
Radio Tripoli apporter son soutien aux
révolutionnaires et l’armée libyenne se
ranger aux côtés des démunis et des
opprimés.
Mon cher peuple, je
vous demande de demeurer vigilant afin
que les envieux et les détracteurs de
notre pays n’en tirent pas profit.
Mon cher peuple, Je
ne suis pas homme à abuser de la parole.
Tu as failli être aujourd’hui orphelin,
mais Dieu nous en a préservé».
A peine le discours
royal terminé qu’un flot de messages des
félicitations du monde entier s’abattait
sur Rabat.
7 -Le mépris
d’Hassan du Maroc à l’égard de son
«cousin» Hussein de Jordanie
Hussein de Jordanie
s’est précipité au Maroc pour
réconforter son «cousin» dans l’épreuve.
Mais le comportement d’Hassan II a paru
étrange. Autant le jordanien, descendant
de la famille du prophète, témoignait de
la fraternité à un monarque dans
l’épreuve, autant le marocain était
hautain, imbu de sa personne.
Hussein de Jordanie
qualifiait Hassan II de «mon cousin»
quand il s’adressait au souverain
chérifien. Hassan II se bornait, lui, à
appeler le roi de Jordanie de son prénom
«Hussein».
Le Roi du Maroc
considérait la Jordanie comme un Royaume
démuni, tandis qu’il vivait la monarchie
marocaine comme un «royaume de riches».
8- L’apostrophe
du général Bougrine à Oufkir:
Souviens-toi Oufkir, il te tuera, comme
ils nous a tué.
Au 3me jour du coup
d’état, une dizaine d’officier
putchistes ont été éxécutés près de la
région d’Al Harhoune, sur le rivage
atlantique du Maroc.
Revêtu de la tenue
traditionnelle marocaine, Hassan II
était venu en personne assister à la
mise à mort de ses rivaux, accompagné de
Hussein de Jordanie, qui avait revêtu,
lui, la tenue militaire.
Les deux rois
observeront la scène, à l’aide de
jumelles, depuis les collines
surplombant le site.
Le général Mohamad
Oufkir, ministre de l’intérieur, et le
Général Ben Ammar Al Alami, du haut
commandement des FAR, ont été chargés de
la supervision de la «liquidation des
traitres». La séquence s’est déroulée en
présence de la totalité du personnel du
Makhzen, de la hiérarchie militaire et
sécuritaire, des corps constitués du
Royaume. A titre pédagogique, elle a été
retransmise en direct par la radio
télévision marocaine tant à l’intention
de l’opinion marocaine qu’en direction
de l’opinion internationale.
Douze poteaux
avaient été dressés. Douze militaires
représentant les diverses armes des FAR
(Air, Terre, Mer) avaient pris position
face aux poteaux.
Le géneral Hamou
Ahmazoune a cherché à attirer
l’attention du Roi. En vain. Hassan II
considérait l’officier comme un traître
dès lors qu’il avait pris langue, même
sous la contrainte de la force, avec
Ababou. Sa parenté avec l’épouse du Roi
ne lui a été d’aucun secours.
Les mains nouées
autour des poteaux où ils ont été
conduits à se placer, revétus de leur
uniforme militaire, porteurs de leurs
grades, les officiers subirent la
cérémonie de dégradation militaire.
Particulièrement
humiliante, la dégradation obéit à un
cérémonial très strict. Ce rituel
implique la destitution du soldat de son
grade, de ses insignes, de son poste de
commandement et de sa dignité. Il
implique aussi une destitution publique,
qui comprend la destruction des symboles
de son
statut: épaulettes arrachées des
épaules, badges et insignes ôtés, épée
cassée sen deux, casquettes et médailles
jetées à terre et piétinées
Le premier ministre
Ahmad Laraki donna un coup de pied au
Colonel Chelouali à et le gifla. Des
ministres ont craché sur les officiers
félons à leur passage.
Oufkir s’avança et
donna ses ordres au peloton d’exécution.
Le général Bougrine
apostropha alors Oufkir en ces termes,
qui plus est en français: «Fais gaffe
Oufkir. Il te tuera comme ils nous a
tué. Ne te laisse pas faire».
Oufkir n’a pas
répondu à l’interjection de son ancien
camarade de promotion de l’Académie
d’Azrew. Fixant le peloton, Oufkir donna
l’ordre en français d’ouvrir le feu:
Feu. Feu».
Un an après, la
prophétie du général Bougrine se
réalisait, Oufkir est passé à la trappe
en 1972. Un an et un mois après Skhirat.
Epilogue:
Oufkir, un an après, à la trappe.
Exécuteur des
basses oeuvres d’Hassan II, Oufkir sera
mêlé en 1965 à l’assassinat de Mehdi Ben
Barka, principal opposant au roi Hassan
II et cheville ouvrière de la
Tricontinentale qui se déroule la même
année de sa disparition à La Havane. Il
sera condamné par contumace par la
justice française aux travaux forcés à
perpétuité.
Il est ministre de
l’intérieur quand échoue la tentative de
coup d’état militaire de Skhirat. Fait
peu connu à l’époque, Oufkir faisait
déjà partie de ce premier complot. En
effet les hauts gradés félons se sont
mêmés aux convives avec des signes
distinctifs de reconnaissance. il
supprimera ses complices en jouant le
rôle de l’honnête officier accusateur.
Mais un an après
Skhirat, Oufkir participe à une nouvelle
conjuration contre le Roi, dans le
complot dit des aviateurs, le 16 Août
1972.
Selon une version
relatée par l’écrivain Gilles Perrault
dans son livre «Notre ami le roi»,
Oufkir a été exécuté en dehors du
palais. Ahmad Dlimi, chef de la
sécurité, aurait contacté le général en
lui annonçant que le roi, grièvement
blessé, était à sa merci dans une maison
proche de l’ambassade du Liban à
Rabat. Oufkir s’y serait rendu
aussitôt et y aurait été abattu par
Dlimi et Moulay Hafid Alaoui, l’oncle du
Roi. Le cadavre aurait été ensuite
transporté à Skhirat pour simuler un
suicide.
Hassan II a
triomphé de tous ses adversaires (Mehdi
Ben Barka, Mohamad Oufkir, Ahmad Dlimi),
tous morts de mort violente. Mais le
souverain laissera le souvenir d’unrègne
calamiteux d’une grande imposture d’un
«Royaume de bagne et de terreur».
Notes
1- Mohamad Al
Rayess, dans ses mémoires (page 46)
intitulées «De Skhirat à Tazmamart,
billets Aller Retour vers l’enfer»,
relate le dialogue suivant entre les
frères Ababou: Le colonel jugeait
préférable de se rendre à Rabat et de
dégager complètement le site de Skhirat.
Il fit part à son frère de son intention
de libérer les diplomates et de liquider
tous les prisonniers marocains. Je ne
recontrerai pas de résistance à Rabat,
dès lors que les hommes du Makhzen ont
été éliminés, a-t-il assuré. Son frère
Mohamad s’opposa à ce projet. Après
débat, il a été convenu que M’Hamed
prendrait le chemin de Rabat pour
achever sa mission, tandis que le frère
demeurera à Skhirat garder les
prisonniers.
2- Abdel Halim
Hafez était atteint d’une insuffisance
hépatique, nécessitant constamment la
prise de médicaments. Incarcéré au siège
de la radio télévison marocaine, il a
été contraint de conserver ses bras
levés pendant 4 heures, jusqu’à son
effondrement. Abdel Halim Hafez faisait
partie d’un groupe de 40 artistes de
diverses nationalités convié par Hassan
II pour égayer l’anniversaire du
souverain. Les artistes égyptiens
étaient logés à l’Hotel Hilton de Rabat.
Ils s’acharnaient à faire signe à
l’ambassadeur d’Egypte au Maroc, Hassan
Fehmi Abdel Majid, en vue de lui
demander d’intercéder pour obtenir la
libération d’Abdel Halim Hafez. Chadia,
artiste égyptienne de renom, s’est même
proposée de se rendre au siège de la
radio télévision marocaine, pour
récupérer son collègue captif. Le
musicien Mohamad Al Mouji s’est porté
volontaire pour l’accompagner. Dans cet
élan de solidarité, un seul, un très
grand artiste, sans doute le plus grand
artiste égyptien, s’est distingué par un
comportement dont le moins que l’on
puisse dire est qu’il manquait de
solidarité. Prenant ses distances du
groupe, afin de couper court aux
sollicitations dont il était l’objet,
Mohamad Abdel Wahhab a ostensiblement
étendu son tapis de prière et s’est
plongé dans une interminable prière. Une
astuce pour se tirer d’embarras.
3 – Moulay Hicham
Al Alaoui: «Journal d’un prince banni:
Demain le Maroc- Edition Grasset 2014,
page 48.
Jaafar Al Bakli
Universitaire
tunisien, chercheur sur les questions de
l’Islam, spécialiste de l’histoire
politique des pays arabes, notamment les
pays du Golfe.
Partie 1/2
Le sommaire de René Naba
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