Opinion
La vague de réfugiés, quelle est la
vraie cible
Israël Adam Shamir
© Israël
Adam Shamir
Mercredi 16 septembre 2015
La vague de
réfugiés est en marche. La vraie cible
de l’offensive anglo-américaine est
l’Europe, trop prospère et égalitaire
pour l’Empire des Râpe-tout.
En Marche
par Israël Shamir
Au début de l’automne, quand
mûrissent les grenades, j’aime aller
visiter les ruines du village
palestinien - détruit - de Saffuriéh. Ce
village, qui a vu naître la mère de la
Vierge Marie, conserve son église
Sainte-Anne, bâtie par les Croisés. Il y
a deux mille ans, c’était une ville
importante, nommée Sephoris : elle avait
refusé de se plier aux Zélotes juifs,
demeurant loyale à l’Empire romain. Elle
offrit un refuge confortable à l’homme
qui a réinventé le judaïsme après son
effondrement, le rabbin Judah le Prince,
ainsi qu’à de nombreux sages chrétiens
et nobles romains. Le village qui lui
avait succédé traversa les vicissitudes
de l’histoire, jusqu’au raid de l’armée
israélienne, en 1948, qui entraîna sa
destruction. Ses habitants perdirent
tous leurs biens et se retrouvèrent dans
des camps de réfugiés ou à la périphérie
de Nazareth, toute proche. Les vergers
du village détruit ont survécu, blottis
dans les vallées, produisant chaque
année des grenades plantureuses,
lourdes, les branches pliant sous leur
poids, grenades qui finissent par
éclater sur l’arbre, car il n’y a plus
personne pour les cueillir. Les
habitants de la colonie juive construite
près des ruines de Saffuriéh se moquent
comme de leur première chemise des
grenadiers et des paysans qui les ont
plantés. Dans ce royaume de désolation,
au milieu des arbres croulant sous les
fruits rubiconds, on peut trouver aussi
une mosaïque romaine à la facture
parfaite, à tel point qu’on l’appelle la
Mona Lisa de Galilée. Ses myriades de
petits carreaux vernissés, aux nuances
infiniment variées, composent un visage
altier, au nez droit, une coiffure
sophistiquée et des lèvres charnues, le
tout encadré par des feuilles
d’acanthe.
Cette mosaïque me rappelle, chaque
fois que je la contemple, la beauté de
notre monde, ce délicieux puzzle de
petites villes, de prairies verdoyantes,
de mégapoles complexes, de châteaux et
de villas, de rivières et de fleuves,
d’églises et de mosquées : chaque
tesselle de cette mosaïque est belle,
précieuse et parfaite. J’en ai vu des
quantités et toutes me plaisent. Les
îlots rocheux émergeant à peine de la
transparence de la mer baltique, d’où
des petits blondinets font des signes de
la main aux bateaux quittant la jetée.
La France Profonde de Conque, un
minuscule hameau du Massif Central, sur
le vieux chemin du pèlerinage à
Saint-Jacques de Compostelle, avec son
petit ruisseau qui babille en
contournant la colline, ses toits de
lauze, ses rues pavées il y a mille ans.
Les églises russes, aux dômes
tarabiscotés, s’élevant à la verticale
des herbes hautes qui longent la rivière
Oka, et au pied desquelles des jeunes
filles, dans leurs châles fleuris,
écoutent un choeur. Les belles voix des
jeunes femmes de Suzhou, auxquelles
répond l’écho de la cour de la pagode,
parmi un lacis de canaux comme on n’en
voit qu’en Chine du sud. Les maisons
baroques des cigariers de Trinidad, et
la prestance des Cubains qui dansent
dans ses rues. Les corps oeuvres-d’art,
recouverts de tatouages, des Masai,
autour d’un feu, dans la savane du
Serengeti. Ce monde est magnifique, et
les peuples qui l’habitent sont bons.
Cette fresque magnifique et complexe
est menacée par les hostilités
annoncées, car cette Troisième Guerre
Mondiale n’est pas seulement dirigée
contre le Tiers-Monde. Cette guerre a
commencé bien avant que la première
bombe soit tombée sur le sol rocailleux
de l’Afghanistan. Un million de nouveaux
réfugiés sont sur les routes, créant un
grand désordre et déstabilisant l’Asie.
Aucun doute à avoir : tôt ou tard, la
vague des réfugiés atteindra l’Europe.
Des centaines de milliers de réfugiés
sont d’ores et déjà en marche en
direction de l’Europe, de la Russie,
ainsi que des pays plus ou moins stables
de l’Asie centrale. Il faut les
comprendre : les Etats-Unis ayant menacé
d’utiliser le cas échéant les armes
nucléaires contre ses pauvres maisons,
la population civile n’a pas d’autre
choix que de fuir les zones
potentiellement visées. Aucun contrôle à
la frontière ne pourra jamais contenir
leur poussée anarchique. Le Pakistan
sera aux premières loges, mais il ne
sera en aucun cas le dernier. Les
Américains et les Anglais ayant prévu de
transformer leur Croisade initiale en
une longue guerre “contre le
terrorisme”, il y aura de plus en plus
de réfugiés, jusqu’à ce que, finalement,
le tissu social de l’Europe, très
fragile, se déchire et finisse par être
détruit. L’Europe sera envahie, comme
l’Empire romain en son temps, et elle
sera confrontée à un choix cornélien,
affreux : instaurer un régime
d’apartheid et de discrimination, ou
perdre son identité.
L’Europe est-elle vouée à être la
victime collatérale de la furie
américaine, comme le badaud innocent,
pris au milieu d’un échange de tirs dans
la grand’rue, entre le saloon et le
bureau du télégraphe, comme on le voit
dans les westerns ? Pour ma part, je
considère que l’Europe est plutôt la
cible désignée de l’offensive, non
seulement annoncé : entamée.
Ce n’est certainement pas ce que le
Monsieur tout-le-monde souhaite, aux
Etats-Unis, mais on ne lui demande pas
son avis. Les nouvelles élites
gouvernementales américaines, ainsi que
leurs partenaires et leurs voyageurs de
commerce outre-atlantique, ont inscrit
la destruction d’une Europe par trop
prospère, indépendante et cohérente, à
leur ordre du jour. Ce désir a une
raison concrète, de court terme :
l’Europe est un concurrent dangereux,
pour l’Amérique, elle est trop
indépendante, elle a même osé mettre sur
pied une monnaie unique qui pourrait
évincer le dollar. L’Europe prône une
politique plus équilibrée en Palestine.
L’Europe est trop égalitaire : à New
York, j’ai vu un garçon d’ascenseur, un
immigré du Panama pays martyrisé par
vous devinez qui : ce liftier vit en
permanence dans son ascenseur : il
y habite, il y couche... Vous ne verrez
jamais une chose pareille en Europe,
pour la bonne raison que l’Europe n’a
pas encore été mammonisée.
II
La nouvelle élite des décideurs n’a
pas grand-chose à faire du Christ ou de
Mahomet, certes, mais leur dévotion
éperdue s’adresse à une autre divinité
ancienne : Mammon. Cet antique dieu de
l’Avidité était adoré, avant tous les
autres, par les Pharisiens, voilà deux
millénaires, comme nous l’apprend
l’Evangile. Jésus leur dit : “vous ne
pouvez à la fois servir Dieu et Mammon”.
Mais les Pharisiens se moquèrent de lui,
parce qu’ils adoraient l’argent. [1]
Cette foi antique tomba dans l’oubli.
L’adoration de Mammon est connue sous le
terme d’Avarice, l’un des sept péchés
capitaux, réprouvés par les sociétés
tant chrétienne que musulmane.
Mais elle n’a pas complètement
disparu. Deux mille ans plus tard, le
petit-fils du rabbin Trier, un certain
Karl Marx, en arriva à la déduction
révolutionnaire suivante : la foi de
Mammon, cette “religion des Juifs pour
les jours de semaine” - ce sont ses
propres mots - est devenue la véritable
religion des élites américaines. Marx
cite, en l’approuvant, un certain
colonel Hamilton : “Mammon est l’idole
des Yankees, ils ne l’adorent pas
simplement en paroles, mais aussi de
toutes les forces de leur corps et de
leur âme. A leurs yeux, la terre n’est
qu’une immense bourse des valeurs et ils
sont persuadés que leur unique mission
sur la Terre est de devenir plus riche
que leur voisin.” Marx conclut : “Là où
la domination effective de la mentalité
juive sur le monde chrétien a achevé son
expansion, totale et éclatante, c’est en
Amérique du Nord.”
La mentalité juive victorieuse, pour
Marx, est basée sur l’”appât du gain et
l’égoïsme, son credo, c’est les
affaires ; son dieu : l’Argent.” [2] Ces
propos, comme bien d’autres idées de
Karl Marx, sont connus, mais leur
signification spirituelle profonde n’a
jamais été perçue à sa juste mesure.
Pour une raison bien simple : jusqu’à
nos jours, les caractéristiques
religieuses de la foi en l’Accaparement
étaient inexprimées, et ses adeptes
auraient pu passer pour des capitalistes
“normaux”, soucieux de leur intérêts
propres bien sentis tout en oeuvrant au
bien commun (on dirait aujourd’hui : à
l’intérêt général), tels qu’Adam Smith
nous en avait dressé le portrait...
Les choses ont changé depuis
l’avènement du ‘néolibéralisme’. Les
conférences de Milton Friedman ont été
en quelque sorte l’occasion du “coming
out” des Mammonites, adeptes de la
nouvelle/vieille croyance. Ils diffèrent
des avares du commun en cela qu’ils
élèvent l’Avidité au niveau d’un Dieu
jaloux qui ne saurait souffrir qu’on lui
associât des collègues. L’homme riche
traditionnel n’aurait pour rien au monde
rêvé de détruire sa propre société. Il
se souciait de son pays et de sa
communauté. Il ambitionnait d’être le
premier parmi les siens. Il se
considérait comme un “meneur d’hommes”,
comme un “bon pasteur”. Certes, les
bergers, eux aussi, mangent parfois du
mouton, mais ils n’iraient jamais vendre
le troupeau tout entier au boucher pour
la seule raison que la cotation est
bonne.
Les Mammonites voient dans de telles
billevesées une trahison de Mammon.
Comme l’a écrit Robert McChesney, dans
son introduction à l’ouvrage de Noam
Chomsky “Le Profit, avant le Peuple”
[3] : “ils exigent une croyance absolue
dans l’infaillibilité du marché
dérèglementé”. En d’autres termes, une
foi faite d’égoïsme et d’avidité
illimités. Ils sont totalement exempts
de toute compassion pour les gens au
milieu desquels ils vivent, ils ne
considèrent pas appartenir à la “même
espèce” que les gens du coin. S’ils
pouvaient éliminer les gens du coin pour
les remplacer par des immigrés
indigents, afin d’optimiser leurs
profits, ils le feraient, comme l’ont
fait leurs coreligionnaires, en
Palestine.
Les Mammonites n’ont rien à cirer des
Américains, mais ils les utilisent comme
instruments afin de parfaire leur
domination du monde. Leur idéal de ce
monde est archaïque ou futuriste : ils
rêvent d’un monde partagé entre esclaves
et maîtres. Afin de le réaliser, les
Mammonites font tout ce qu’ils peuvent
afin de détruire la cohésion des unités
sociales et nationales.
Tant que les gens restent sur leur
terre, parlent leur langue, vivent parmi
leurs semblables, boivent l’eau de leurs
rivières, pratiquent et prient dans
leurs églises et leurs mosquées, ils ne
sauraient être réduits en esclavage.
Mais dès lors que leurs pays sont
submergés par des masses de réfugiés,
leur structure sociale s’effondre. Ils
perdent leur plus grand privilège : le
sentiment d’avoir quelque chose en
commun, le sentiment de fraternité. Dès
lors, ils deviennent une proie facile,
pour les adorateurs de Mammon.
III
Les Afghans sont un peuple
magnifique, obstiné, indépendant,
autonome. Ils ont été forgés par leurs
montagnes et, comme tous les peuples
montagnards, ils sont plutôt têtus et
conservateurs. La peur des bombes
américaines pourrait bien les chasser
jusque dans les polders de Hollande et
dans les villes de France, et ils
pourraient bien changer, sans le vouloir
mais néanmoins de manière irréversible,
les pays où ils pénétreraient. Ce
processus est en cours depuis déjà pas
mal de temps. Les politiques générales
des Mammonites ayant pour effet de
vampiriser les pays du Tiers-monde, de
ponctionner leurs ressources naturelles
et leurs revenus, de soutenir les
gouvernants corrompus et collaborateurs
dont ils sont affligés, de détruire leur
nature... : des gens toujours plus
nombreux sont contraints à rejoindre le
flot des réfugiés en direction de
l’Europe et des Etats-Unis.
La menace est déjà ressentie, en
Europe. Oriana Fallaci, une journaliste
italienne de renom, a publié dans le
journal à grand tirage de Milan, Il
Corriere della Sera, un article
déplorant le sort de l’Europe submergée
par les “hordes musulmanes”. Elle voit
les immigrés de la même manière qu’un
courtisan de Romulus, à Ravenne,
considérait les guerriers Goths. Oriana
écrit que “les Musulmans somaliens ont
défiguré, rempli d’excréments et outragé
la place principale de ma ville, durant
plus de trois mois”, que “quelques
enfants d’Allah ont pissé sur les murs
de la Cathédrale, qu’ils ont des
matelas, sous des tentes, pour dormir et
forniquer, qu’ils ont empesté la place
avec l’odeur et la fumée de leur
cuisine”. Oriana poursuit, déplorant que
Florence “autrefois, capitale de l’art,
de la culture et de la beauté” soit
“blessée et humiliée par des Albanais,
des Soudanais, des Bengalis, des
Tunisiens, des Algériens, des
Pakistanais et des Nigérians arrogants,
qui vendent de la drogue et relèvent les
compteurs des filles qu’ils mettent sur
le trottoir”. Elle en appelle à une
Croisade emmenée par les Américains et
avertit : “Si l’Amérique tombe, l’Europe
tombera (...) Au lieu des cloches des
églises, nous aurons les muezzins, au
lieu des mini-jupes, nous aurons les
tchadors, au lieu du cognac, nous aurons
le lait de chamelle”.
Au lieu de perdre notre temps à
critiquer son style, arrêtons-nous un
instant aux défauts de sa logique.
Madame Fallaci, journaliste qui a
pourtant de la bouteille, voit en
l’Amérique une possible protection, et
non la source des nuisances qu’elle même
- et Florence - ont à subir. Ce qui
devrait lui faire peur, c’est bien la
victoire - et non la chute - de
l’Amérique. Si l’Amérique emporte la
victoire, dans sa guerre contre
l’Afghanistan, le cauchemar d’Oriana
risque fort de devenir réalité.
Elle ne veut pas admettre que les
réfugiés et les immigrants affluent en
Italie parce que leurs pays ont été
dévastés par les Etats-Unis et leurs
alliés. Elle ne verrait pas les Albanais
à Florence si l’OTAN n’avait pas ravagé
les Balkans. Elle n’y verrait pas de
Soudanais, si Clinton s’était abstenu de
bombarder le Soudan. Elle n’y verrait
pas de Somaliens, si les Somaliens
n’avaient pas été ruinés par la
colonisation italienne et l’intervention
américaine. Ni elle, ni l’Amérique ne
verraient chez eux un seul immigré
palestinien, si les paysans de
Saffuriyéh pouvaient encore bichonner
leurs vergers de grenadiers.
Personne - ce qui s’appelle
“personne” - n’irait abandonner son
propre pays, avec sa nature unique, son
mode de vie, ses amis et parents, ses
lieux saints et les tombeaux de ses
aïeuls, pour le plaisir douteux que doit
procurer le fait de camper aux pieds
d’une vénérable cathédrale italienne.
Tout comme les canetons ont l’instinct
de suivre la mère-cane, les humains sont
nés pour aimer leur terre natale. Le
jeune Télémaque compare son île rocheuse
et chiche avec les grasses prairies et
les champs luxuriants de Lacédémone,
disant à son hôte : “nous avons presque
plus de fourrage, et pourtant, je
préfère nos montagnes, avec leurs
chèvres, à toutes vos prairies et à vos
superbes chevaux” [5]. Les gens émigrent
quand leurs terres sont ruinées Les
Irlandais n’auraient jamais abandonné
les vertes prairies d’Erin pour émigrer
à Chicago, n’eût été l’application du
gouvernement anglais à les faire mourir
de faim. Mes compatriotes russes ne
viendraient pas occuper la Palestine si
la Russie n’était pas ruinée par les
forces pro-américaines des Yeltsin,
Tchubaïs et consorts...
Pour les habitants des pays
d’accueil, la vague d’immigrants
représente au mieux une nuisance, au
pire un désastre. Ce n’est pas de leur
faute. C’est une question de nombre.
Carlos Castaneda est allé vivre dans une
tribu indienne, et il a appris auprès
des Indiens énormément de choses. Je
suis certain que la tribu indienne a
aussi bénéficié, de son côté, du passage
chez elle de Carlos Castaneda.
Maintenant, imaginez que mille gars et
nanas merveilleux de Yale et de Berkeley
aillent faire un stage dans cette tribu
indienne. La tribu disparaîtrait,
incapable de maintenir ses us et
coutumes. Alors qu’un individu immigré
sera toujours accueilli à bras ouvert,
ajoutant quelque variété à la société,
l’immigration de masse ne peut être que
mauvaise.
Que les immigrants y viennent en
envahisseurs, en conquérants, ou en tant
que réfugiés, la société qui doit les
inclure reçoit un choc. S’ils sont
intelligents, ils évincent les gens du
cru de situations sociales intéressantes
et prestigieuses, et ils créent de
surcroît leur propre sous-culture. S’ils
sont violents, ils peuvent s’emparer du
pays par d’autres moyens. S’ils sont
humbles et effacés, ils causeront une
chute du coût de la main-d’oeuvre,
c’est-à-dire des salaires. Voilà
pourquoi, ordinairement, les immigrés ne
sont pas aimés.
Un de mes amis, excellent homme,
Miguel Martinez, qui a attiré
l’attention du public anglophone sur
l’article d’Oriana Fallaci, a été
horrifié, à juste titre, par son
racisme. Il a raison : Madame Fallaci
s’exprime dans son article comme une
raciste, comme Ann Coulter, cette
pourfendeuse de “basanés patibulaires”.
Mais certaines vérités, dans son propos,
ont échappé à Miguel Martinez. Un homme
dont le jardin a été dévasté par les
bisons ne voit pas le chasseur qui fait
fuir les troupeaux de bisons devant lui,
et il s’en prend aux animaux innocents.
Il a tort. C’est le chasseur qui est
blâmable. Mais cela ne signifie pas pour
autant que les bisons n’ont pas bousillé
le jardin. Il en va de même pour
l’immigration de masse : elle est
douloureuse, pour l’immigré et pour les
habitants du pays hôte, à égalité.
Mais les adorateurs de Mammon n’en
souffrent pas, loin de là. Ils aiment
l’immigration, car elle abaisse le coût
du travail. Une des publications-phares
des Mammonites est l’hebdomadaire
britannique The Economist. Ses
dirigeants ont appelé, il y a quelques
semaines, c’était avant le nouveau
“Pearl Harbour”, à accélérer la venue
d’immigrants en provenance de pays du
tiers-monde. Les gens les plus
dynamiques et les plus qualifiés
d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud
seraient très utiles à la
Grande-Bretagne, à l’Europe, aux
Etats-Unis, écrivait The Economist. Cela
ferait baisser les salaires des ouvriers
européens et augmenterait les profits
des chefs d’entreprises. Autre gain
induit, non négligeable : la fuite des
éléments dynamiques affaiblirait les
sociétés “exportatrices” d’immigrés,
faisant de ces dernières des proies
faciles pour les OPA hostiles. Il s’agit
là d’une version revue et améliorée du
commerce des esclaves : en effet, que
rêver de plus : des esclaves faisant la
compète entre eux pour s’embarquer dans
la galère ? Naturellement, la condition
première de ce recrutement n’était pas
écrite en toutes lettres dans
l’éditorial : les pays du Tiers-Monde
devront, au préalable, être dévastés, et
ruinés.
Les Mammonites ont besoin d’immigrés
dans leur propre intérêt, aussi. Une
société cohérente et saine rejette les
avaricieux instinctivement, l’avidité
étant une tendance socialement
désintégratrice. Dans une société saine,
les Mammonites seraient et resteraient à
jamais des parias. L’immigration a
l’immense avantage de détruire la
cohésion de la société-hôte. Les
Mammonites n’aiment pas que la société
où ils vivent soit cohérente, ils la
préfèrent délayée et déliquescente, cela
leur permet de l’avaler cul-sec plus
facilement. C’est pourquoi les
Mammonites sont favorables à
l’immigration. Les immigrants les
considèrent comme leurs alliés naturels,
incapables qu’ils sont de comprendre que
les Mammonites les aiment comme le
vampire aime le sang frais. C’est à
cause de ce manque d’intelligence des
faits que les immigrés soutiennent de
leurs votes le pouvoir mammonite de Tony
Blair et des Démocrates américains qui
tiennent la municipalité de New York.
C’est sur les Mammonites qu’Oriana
Fallaci devrait tomber à bras
raccourcis, et non pas sur les innocents
immigrés des rues et places des villes
européennes.
IV
Une sénatrice mammonite de
Californie, Diane Feinstein, importe de
plus en plus de Mexicains pauvres dans
son Etat. Ils votent pour elle, se
tiennent à l’écart de la politique
durant de nombreuses années, sont
d’accord pour travailler pour des
salaires moindres, ils sapent les
instances syndicales. Les Californiens
ordinaires vivent moins bien, mais elle
s’en fout comme de l’an quarante.
Certains la considèrent sioniste, tant
elle soutient Israël.
Toutefois, il serait erroné de la
qualifier de sioniste. Historiquement,
les sionistes pensaient que l’homme a
besoin de racines. Ils considéraient la
facilité qu’ont les Juifs à se déplacer
comme le signe d’un manque. Ils
voulaient donner aux Juifs déracinés des
racines en Terre Sainte. Mais les
Mammonites ne comprennent pas ceux qui
ont besoin de racines. Il veulent
déraciner absolument tout le monde. Les
sionistes pensaient que le mode de vie
des Mammonites est à rejeter. Les
Mammonites de tout poil adoptaient un
mode de vie honni par les sionistes.
Mais les sionistes se gouraient
gravement en ne comprenant pas que, sans
les Palestiniens, ils ne parviendraient
jamais à s’enraciner dans la terre de
Palestine. Ils avaient même en quelque
sorte doublement tort, parce qu’une
personne d’origine juive peut
s’enraciner partout, en Palestine comme
ailleurs. Un Juif peut devenir un
Américain, un Anglais, un Russe, tout
autant qu’un Palestinien. Cela exige une
capacité à s’identifier à ses
concitoyens, un intérêt suprême pour son
pays. Tout pays est, en effet, une Terre
promise pour quiconque l’aime. Ceux qui
contraignent l’Amérique à envoyer des
millions de dollars à Israël, au lieu de
secourir les pauvres en Amérique, ne
sont pas loyaux envers l’Amérique. Mais
ils ne sont pas loyaux envers Israël non
plus. Ils admirent en Israël le modèle
de leur propre monde.
Beaucoup de gens de bien réprouvent
le sionisme parce qu’il a causé la
destruction massive de l’aimable terre
de Palestine, en déracinant les
Palestiniens. Mais le sionisme est une
maladie locale. Son grand frère, la
mammonite, est une peste mondiale qui
veut faire du monde un “Israël Géant”,
avec des centres commerciaux d’une
laideur repoussante et des villages
détruits, des colonies pour les
privilégiés et beaucoup, beaucoup, le
plus possible, de réfugiés, comme
main-d’oeuvre au rabais. Les sionistes
ont détruit la nature, en Palestine. Les
Mammonites ruinent l’environnement à
l’échelle planétaire. Les sionistes ont
déraciné les Palestiniens. Les
Mammonites ne rêvent qu’à une chose :
déraciner tout le monde.
Les sionistes combattent le Christ.
Dans l’Israël d’aujourd’hui, Saint Paul
et Saint Pierre seraient emprisonnés
pour prosélytisme. Les Mammonites
combattent toute foi, toute conviction,
le Christ, Mahomet, le nationalisme, le
communisme... Les ennemis du sionisme
espèrent que les Mammonites vont finir
par contrôler un peu les sionistes, ils
pensent qu’une trop grande liberté de
décision laissée aux sionistes pourrait
être de nature à constituer un obstacle
à la réalisation des projets d’ampleur
mondiale des Mammonites. Mais je vais
vous dire une chose : si Dieu tolère les
excès des sionistes, c’est pour vous
donner un aperçu de ce que les
Mammonites vous préparent...
V
Ce n’est pas là le cri d’un gauchiste
bon teint. Nous pouvons vivre tout en
ayant des gens riches dans nos sociétés,
nous pouvons survivre à côté de certains
privilèges. Tant la gauche que la droite
sont bonnes et nécessaires à la société,
comme nous avons besoin de notre jambe
droite et de notre jambe gauche pour
nous tenir debout. Imaginez une prairie,
dans les collines de Jérusalem, au
printemps. C’est un tapis magique de
milliers de fleurs colorées, qui vous
invitent à vous asseoir parmi elles. Si
tout le monde y marche dessus, il n’y
aura plus de fleurs. Si on l’entoure de
barrières, personne ne pourra en
profiter. Ces deux tendances :
accessibilité et préservation, sont les
deux lignes de force de la gauche et de
la droite. Leur combinaison correcte
permet à un maximum de gens de profiter
de la prairie fleurie.
La droite est la force conservatrice,
qui préserve le pouvoir des élites
traditionnelles. Ses tenants sauvent le
paysage, protègent la nature, perpétuent
les traditions. La gauche est une force
motrice de la société, la garantie de
son caractère vivant, de sa capacité au
changement, de la mobilité sociale. Sans
sa gauche, la société pourrirait, sans
sa droite, elle s’écroulerait. La gauche
assure le mouvement, la droite garantit
la stabilité. Mais les Mammonites
créent, pour leurs objectifs propres,
une pseudo-gauche et une pseudo-droite,
en utilisant les erreurs des droite et
gauche authentiques.
L’une des fautes de la “vraie” droite
européenne fut son manque de compassion
et ses tendances au racisme. Le réflexe
de ses partisans était exact : les
immigrés déstabilisent la société. Mais
ce n’est certainement pas parce que les
immigrés sont des mauvaises gens, comme
le prétendent les racistes. Les immigrés
peuvent être des types super, ils n’en
poseront pas moins des problèmes. Les
Hollandais sont allés en Indonésie, et
ils y ont rendu la vie cauchemardesque,
et pour un fameux moment. Ils ont
gravement détruit l’Indonésie. Des
Indonésiens ont immigré en Hollande, y
ont créé des tas de problèmes en retour.
Les Anglais ont dévasté l’Amérique dans
les grandes largeurs : ils ont exterminé
les indigènes, rien que ça... Le
processus colonial conduit le plus
souvent à un bousillage mutuel : les
British ont dépouillé l’Irlande, et les
Irlandais leur ont bien rendu la monnaie
de leur pièce...
Le racisme est une aberration, qui
prétend que certains groupes humains
sont intrinsèquement meilleurs ou moins
bons que d’autres. Tout le monde,
absolument tout le monde est
merveilleux : les Zoulous et les
Britanniques, les Russes et les
Tchétchènes, les Palestiniens et les
Français, les Pakistanais et les Turcs,
tant qu’ils sont chez eux. Chez les
autres, ces bonnes gens deviennent une
plaie. Aux jours de l’impérialisme et de
l’expansion coloniale européenne, les
théories racistes étaient nécessaires
afin de justifier le transfert humain à
sens unique qui en était la traduction
sur le terrain. Sans racisme, il aurait
été impossible d’exterminer les
indigènes, de leur voler leurs biens,
d’interdire leurs industries, de créer
d’énormes propriétés foncières et de
priver des peuples entiers de leurs
droits humains fondamentaux. Mais
aujourd’hui, on n’a plus besoin du
racisme. Maintenant que l’aventure
coloniale de l’Europe est terminée, la
théorie du racisme, inacceptable
moralement et scientifiquement erronée
doit être remisée au placard.
Une vraie gauche se devrait de
défendre les intérêts des classes
pauvres, ce qui implique : s’opposer à
l’immigration de masse. Mais, sous
l’influence des sectateurs de Mammon, la
gauche socio-libérale apporte son
soutien à l’immigration sous prétexte de
compassion. Les Mammonites,
ordinairement exempts de toute
compassion, détournent ce raisonnement
humanitariste à leur propre profit : les
couches laborieuses européennes et
américaines sont aliénées par la gauche
libérale. Pour les travailleurs, la
nature dangereuse de l’immigration est
évidente. Les immigrants vivent dans le
voisinage des travailleurs locaux, et
ceux-ci souffrent de leur concurrence
sur le marché du travail. Ainsi, ils
sont pour ainsi dire forcés à rejoindre
l’extrême droite raciste.
Il y a pourtant une bonne façon de
sortir de l’impasse. Une issue bonne
pour tout le monde, à l’exception
notable des Mammonites. Il faut arrêter
l’immigration et ouvrir un compte
permettant de transférer des fonds vers
le Tiers Monde. L’Afrique et la Suède
devraient avoir le même revenu. Les
prélèvements fiscaux devraient s’écouler
jusqu’aux Indiens d’Amazonie et
jusqu’aux paysans d’Afghanistan. Il n’y
aurait pas autant de Pakistanais
immigrés en Angleterre s’ils pouvaient
avoir le même (ou pratiquement le même)
revenu chez eux, au Pakistan. L’Union
européenne en apporte la démonstration :
bien que les Suédois gagnent mieux leur
vie que les Portugais, les Grecs et les
Italiens, la différence n’est pas
tellement grande, et ces pays
connaissent la paix, aussi n’y a-t-il
que très peu d’immigration (européenne)
en Suède ou en Allemagne.
Compassion, dites-vous ? La vraie
compassion chrétienne vous dit de
permettre aux gens de vivre chez eux,
dans leur pays, sous leur tonnelle de
vigne et leur figuier, aussi bien que
vous vivez chez vous. Bien sûr, vous
n’auriez plus de femme de ménage à peu
de frais, mais vous vivriez dans un pays
plus propre et plus généreux. Ce ne
serait que justice, puisque l’Europe et
les Etats-Unis ont vampirisé, pendant
des siècles, les richesses du Sud et de
l’Est.
Le sort de l’immigrant est bien
triste. En fait, l’immigration est un
exil, pire situation pour un être
humain. Ovide l’a crié sur les rives de
la Moldavie, et le prince Genji l’a
déploré dans le Suma. Mon ami
palestinien, Musa, avait amené son frère
aîné, du village d’Abboud à sa nouvelle
maison, dans le Vermont : cet homme
d’âge mûr se mit à construire des
terrasses, telles qu’on en voit s’étager
sur les pentes des collines de la
Samarie. Cela montre bien à quel point
nous sommes partie intégrante du
paysage, nous appartenons à nos
montagnes, à nos vallées. Maintenant
qu’on les agresse, aux Etats-Unis, il
est vraisemblable que nombreux sont les
immigrés à penser aux maisons qu’ils ont
été contraints à quitter.
Bien que je pense que l’immigration
devrait être arrêtée et remplacée par
des transferts d’allocations aux régions
les plus pauvres jusqu’à ce que les
revenus s’égalisent, les immigrés qui
sont déjà là sont vraisemblablement
venus pour rester. Ils pourraient
devenir des natifs : des Allemands en
Allemagne, des Français en France, des
Américains en Amérique, des Palestiniens
en Palestine. Les ancêtres des Européens
et des Américains avaient migré, eux
aussi, et ils avaient adopté d’autres
genres de vie. Les tribus germaniques
des Francs ont envahi la Gaule celtique
romanisée, formant, avec l’ancestrale
population de celle-ci, la France
moderne. Des descendants des Croisés
européens vivent encore dans le village
de Sinjil, dont le nom conserve le nom
glorieux du commandant provençal Raymond
de Saint Gilles, mais ils sont
aujourd’hui Palestiniens jusqu’au bout
du keffieh et ils sont aussi assiégés
par les Israéliens que tous les autres.
Il en va de même pour ces Géorgiens
amenés, il y a huit siècles, dans le
village de Malcha, dans la région de
Jérusalem, par ordre de la Reine Tamar.
Ils sont devenus palestiniens, et des
Palestiniens ils ont partagé le sort,
lorsqu’ils furent expulsés de leurs
maisons par les envahisseurs sionistes,
en 1948.
Les êtres humains sont éminemment
adaptables et, si les immigrés aiment
leur nouveau pays, ils s’indigénisent.
Je le sais de première main : né en
Sibérie, j’ai choisi de devenir
palestinien.
VI
WW III (la Troisième Guerre Mondiale)
est une guerre contre la diversité en
tant que telle. Elle a été entreprise
par les adeptes de l’Avidité. Ils
détestent la délicieuse mosaïque que
forment les ethnies et les cultures, ils
veulent à toute force homogénéiser le
monde. Ils ont un motif pratique à
cela : il est beaucoup plus facile de
vendre des trucs produits en série à une
humanité uniformisée. Mais ils ont aussi
un autre mobile, moral, celui-là : ils
ne veulent pas que les gens jouissent de
tant de beauté gratis : c’est pourquoi
cette beauté doit être détruite. Ils
ont, enfin, une raison religieuse :
adorateurs de Mammon, ils pensent que
cette pluralité chatoyante est un
sacrilège, une offense faite à leur dieu
jaloux. Les belles choses du passé sont
faites pour être enfermées dans un
musée, à l’entrée duquel ils peuvent
faire payer un ticket d’accès, une fois
le village détruit.
Dans un beau film destiné à un public
d’adolescents, L’histoire qui ne finit
jamais, le monde multicolore de la
planète Fantaisie disparaît dans le
néant de Nulle part. C’est la même chose
qui arrive à notre monde merveilleux.
Des lieux uniques et ancestraux sont
rasés et supplantés par des centres
commerciaux d’une laideur qui soulève le
coeur et la terre brûlée. La gauche et
la droite devraient sans tarder unir
leurs forces contre le Nulle part qui
menace jusqu’à notre existence même.
Notes :
[1] Luc 16, 13-14
[2] Deutch-Franzosische Jahrbucher,
1844
[3] Chomsky, Profit Over People,
Seven Stories Press, 1999, page 8
[4] traduction anglaise : Leading
Italian Daily Spews Racist Hatred, par
Miguel Martinezhttp://www.kelebekler.com Article,
en italien : Corriere della Sera, samedi
29 septembre 2001
[5] L’Odyssée, IV
Première publication : http://www.israelshamir.net/French/onthemove.shtml
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