Opinion
La révolution brune
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir - Photo: D.R.
Dimanche 6 avril 2014
(Texte du 24 février
2014, publié d'abord sur
http://www.counterpunch.org/2014/02/24/the-brown-revolution-in-ukraine/)
J'adore Kiev, ville aimable et
bourgeoise, ses petits restaus bondés,
ses rues arborée et proprettes, la
bonhomie de ses terrasses où l'on sirote
des bières. Il y a cent ans, Kiev était
franchement russe, et il en reste
quelque chose dans le centre. Mais
aujourd'hui on a des patrouilles de
truands, des combattants du Secteur
Droit néo-nazi, des descendants de
Stephan Bandera, les troupes du Traître
Ukrainien, et leurs camarades
nationalistes en armes.
Après un mois de confrontation, le
président Yanoukovitch a jeté l'éponge,
a signé la reddition made in UE, et a
échappé à sa justice révolutionnaire
expéditive, de justesse. Ses partisans
ont été agressés et dispersés, les
communistes pratiquement lynchés,
l'opposition a tout le parlement avec
elle, ils ont nommé de nouveaux
ministres et pris le contrôle de
l'Ukraine. Ainsi donc la révolution
brune a gagné, en Ukraine. Un grand pays
européen de 50 millions d'habitants a
suivi le chemin de la Libye. Les US et
l'UE ont remporté cette manche, et ont
repoussé la Russie vers l'Est,
exactement ce qu'ils cherchaient.
Reste à voir si les voyous néo-nazis qui
ont gagné la bataille accepteront de
laisser les doux fruits de la victoire
aux politiciens, qui sont bien assez
nuisibles, hélas. Et, plus important, il
reste à voir si les régions de l'Est et
du Sud, russophones, vont accepter la
férule brune de Kiev, ou bifurquer à
leur guise, comme le peuple d'Israël ,
selon le récit biblique, se rebella,
après la mort du roi Salomon, contre son
héritier en disant: "Rentre sous ta
tente, ô Israël!" et proclama son
indépendance (Rois 12:16). En attendant,
il semble que le désir des gens de l'Est
de préserver l'intégrité de l'Ukraine
soit plus fort que leur déplaisir face à
la victoire des Bruns. Ils ont rassemblé
leurs représentants en vue d'une
possible déclaration d'indépendance,
mais n'ont pas osé s'emparer du pouvoir.
Ce sont des gens paisibles, peu
endurants dans la bagarre.
Le grand voisin russe ne paraît pas
ouvertement concerné par ces événements
menaçants. Les deux agences russes Tass
et Ria n'ont même pas mis en première
ligne les nouvelles d'Ukraine, au
contraire de Reuters et la BBC: pour
eux, les JO et le biathlon étaient plus
importants.
Cette attitude "munichoise" est très
typique des médias russes: quand ils se
trouvent dans une position
inconfortable, ils s'en sortent en
programmant le Lac des Cygnes à la
télévision. C'est ce qu'ils avaient fait
lorsque l'URSS s'écroulait en 1991.
Cette fois-ci, on a eu les JO à la place
du ballet.
L'opposition anti-Poutine en Russie a
chaudement approuvé le coup de main
ukrainien. Ils ont chanté "Hier Kiev,
demain Moscou". Maidan = Bolotnaïa (à
Moscou, la place où se tenaient les
rassemblements contre le gouvernement en
décembre 2012).
Les Russes étaient outrés, en majorité,
mais guère étonnés. La Russie a décidé
de se mettre en retrait quelques
semaines auparavant, comme pour prouver
au monde entier qu'elle n'interférait en
rien dans les affaires ukrainiennes. Une
conduite qui frisait l'imprudence.
Tandis que les ministres des affaires
étrangères de l'UE et leurs alliés se
précipitaient à Kiev, Poutine envoyait
Vladimir Loukine, un émissaire pour les
droits de l'homme, politicien âgé et
sans influence, gérer la crise
ukrainienne. L'ambassadeur russe
Zoubarov, autre personnage sans aucune
visibilité publique.... a maintenant été
rappelé à Moscou. Poutine n'a pas fait
une seule déclaration sur l'Ukraine, la
traitant comme la Libye ou le Mali, et
non pas un voisin tout à fait proche du
cœur de la Russie.
On pouvait s'attendre à cette attitude,
cette façon de ne pas y toucher: la
Russie n'avait pas interféré dans les
désastreuses élections ukrainiennes de
2004, ni dans celles de Géorgie, qui
débouchèrent sur des gouvernements
extrêmement anti-russes. La Russie ne
s'engage que s'il y a de vraies
batailles au sol, et qu'un gouvernement
légitime l'appelle à l'aide, comme en
Ossétie en 2008 ou en Syrie en 2011. La
Russie soutient ceux qui se battent pour
leur cause, faute de quoi elle reste en
dehors, ce qui est souvent décevant.
L'Occident n'a pas d'inhibitions de ce
type, et ses représentants ont été fort
actifs: Victoria "Fuck UE" Nuland,
représentant le Département d'État
américain, a passé des semaines à Kiev,
distribuant des gâteaux aux insurgés et
des millions de dollars douteux,
rencontrant leurs dirigeants, et
complotant avec eux. Kiev est inondée de
dollars fraîchement sortis des presses,
d'une espèce qu'on n'a pas encore vu
circuler à Moscou, d'après certains amis
russes. L'ambassade a tout arrosé autour
d'elle comme un Texan échouant dans une
boîte de nuit. Le moindre jeune en état
de marche et souhaitant se battre a reçu
500 dollars par mois, et les combattants
qualifiés, capables de prendre la tête
d'un peloton, soit un millier de
personnes, en ont reçu deux mille, somme
très correcte selon les normes
ukrainiennes.
L'argent ne suffit pas, les gens ont
aussi besoin de coups de force qui
réussissent. Il y avait une opposition à
Yanoukovitch, démocratiquement élu, et
trois partis avaient donc perdu les
élections. Leurs partisans pouvaient
rassembler beaucoup de monde pour une
manifestation pacifique ou un sit-in. Il
n'est pas sûr qu'ils se seraient battus
le cas échéant. De même pour les
récipiendaires des généreuses aides
euro-américaines (Victoria Nuland a
évalué l'investissement dans la
"construction de la démocratie" à cinq
milliards de dollars). On pouvait les
convoquer pour une manif sur la place
principale de la ville. Mais les
bénéficiaires des secours des ONG sont
des gens timides, qui n'ont nulle envie
de risquer leur niveau de vie. Et les
Américains avaient besoin d'une autre
poigne pour évacuer un président
régulièrement élu.
Les œufs
du serpent
A l'Ouest, les œufs du
serpent se sont fissurés: et en ont
jailli les enfants des collaborateurs
des nazis qui avaient tété la haine des
Russes avec le lait maternel. Leurs
pères avaient constitué un réseau sous
le commandement de Reinhard Gehlen,
espion en chef des Allemands. En 1945,
lors de la défaite allemande, Gehlen
jura allégeance aux USA et remit ses
réseaux à la CIA. Ils poursuivirent leur
guérilla contre les Soviétiques jusqu'en
1956. Ils étaient d'une cruauté
légendaire, parce que leur but était de
terrifier la population, de la
soumettre. Ils étranglèrent notoirement
les Ukrainiens soupçonnés d'être amicaux
envers les Russes, à mains nues.
On dispose des aveux d'un de leurs
activistes à Volyne: "une nuit, nous
avons étranglé 84 hommes. C'étaient des
adultes, et les enfants, on les a pendus
par les pieds, balancés jusqu'à ce
qu'ils s'éclatent la cervelle contre le
chambranle d'une porte... deux braves
petits, Stepa et Olya, qui avaient 12 et
14 ans. Le plus jeune, on en a fait deux
morceaux, et on n'a pas eu besoin
d'étrangler la mère, Julia, parce
qu'elle a fait un arrêt du cœur", etc
etc. Ils égorgèrent des centaines de
milliers de Polonais et de juifs; le
massacre de Babi Yar, c'était eux aussi,
avec des connivences allemandes, tout
comme s'est exercér la connivence
israélienne dans les massacres de Sabra
et Chatila, commis contre les
Palestiniens par les fascistes libanais
de la Phalange.
Les enfants de ces assassins à la solde
de Bandera ont été élevés dans la haine
du communisme, des soviets et des
Russes, et l'adoration des exploits de
leurs pères. Ils ont été les chefs des
rebelles pro-US en Ukraine, le Secteur
Droit dirigé par le plus que fasciste
Dmytro Yarosh. Ils étaient prêts à
combattre, à mourir et à tuer. Ce genre
d'unités attire les rebelles potentiels
de différentes origines: leur
porte-parole est le jeune nationaliste
russe devenu ukrainien Artem Skoropadsky,
journaliste qui travaille au quotidien
tendance hégémonique Kommersant-UA,
propriété d'un oligarque. Il y a aussi
de jeunes Russes qui rejoignent les
réseaux salafistes et deviennent
kamikazes dans les montagnes du Caucase,
des jeunes qui ne trouvent pas à
satisfaire leur besoin d'action et de
sacrifice dans la société de
consommation. C'est l'Al Qu’aida slave,
un ensemble de véritables troupes
d'assaut néo-nazies, alliées naturelles
de US.
Et ils ne se battaient pas seulement
pour un accord d'association avec l'UE
et contre une Union douanière avec la
Russie. Leurs ennemis étaient aussi les
Russes d'Ukraine et les Ukrainiens de
souche russophones. La différence entre
ces deux catégories est discutable.
Avant l'indépendance en 1991, les trois
quarts de la population préféraient
parler russe. Depuis lors, les
gouvernements successifs ont tenté de
forcer les gens à utiliser l'ukrainien.
Pour les néo-nazis ukrainiens, tous ceux
qui parlent russe sont des ennemis.
C'est comparable à ce qui se passe en
Écosse: les gens y parlent anglais, et
les nationalistes voudraient les forcer
à parler la langue de Burns...
Derrière la direction du Secteur Droit,
avec ses fervents combattants
anti-communistes et anti-russes, on
pouvait compter sur une organisation
plus large: le parti "Svoboda", Liberté
néo-nazie, de Tyagnibok. Il y a quelques
années, il avait appelé à combattre
contre les Russes et les juifs, mais
maintenant il fait plus attention sur la
question des juifs. Il est toujours
aussi anti-russe que John Foster Dulles.
Tyagnibok était toléré, voire encouragé
par Yanoukovitch, qui voulait s'inspirer
de Chirac, le Chirac qui avait gagné le
deuxième tour des élections contre le
nationaliste Le Pen, alors qu'il aurait
probablement perdu face à tout autre
concurrent. Dans la même perspective,
Yanoukovitch espérait que Tyagnibok
deviendrait son opposition gérable au
second tour des élections
présidentielles.
Les partis parlementaires (le plus grand
est celui de Julia Timoshenko, avec 25%
des sièges, le plus petit étant celui du
boxeur Klitschko avec 15%) devaient
soutenir les protestataires, de façon à
regagner le pouvoir perdu lors des
élections.
L'union
entre libéraux et nationalistes
Voilà comment s'est
bâtie une union entre libéraux et
nationalistes. C'est la marque de
fabrique d'une nouvelle politique US en
Europe de l'Est. Elle a été testée en
Russie il y a deux ans, lorsque les
ennemis de Poutine se sont mis ensemble,
libéraux pro-Occidentaux et Russes
ethniques nationalistes, néo-nazis durs
et moins durs. Les libéraux n'iront pas
au casse-pipe, ils sont loin d'être
populaires auprès des masses. Ils
incluent un pourcentage supérieur à la
moyenne de juifs, de gays, de
millionnaires, et de journalistes
libéraux; mais les nationalistes, eux,
peuvent soulever les grandes masses de
rustres tout comme les bolcheviks, et
ils se battront. C'est le cocktail
anti-Poutine choisi par les US. Et cette
alliance a de fait remporté 20% des
votes à Moscou aux élections
municipales, après leur tentative pour
prendre le pouvoir par un coup de force,
déjouée par Poutine. L'Ukraine est leur
deuxième action conjointe réussie.
Il convient de garder à l'esprit que les
libéraux ne soutiennent pas forcément la
démocratie. Ils ne le font que s'ils
sont certains que la démocratie leur
fournira ce qu'ils en attendent.
Autrement, ils s'allient aussi bien à Al
Qaeda comme en ce moment en Syrie, ou
aux extrémistes islamiques comme en
Libye, à l'armée comme en Égypte, ou aux
néo-nazis, comme en ce moment en Russie
et en Ukraine. Historiquement,
l'alliance nazi-libéraux n'a pas marché
parce que les nazis de jadis étaient
hostiles aux banquiers et au capital
financier, et par conséquent aux juifs.
Cet écueil pouvait être évité: ainsi
Mussolini était ouvert aux juifs et
avait quelques ministres juifs dans son
gouvernement; il reprochait à Hitler son
attitude anti-juive, disant que "les
juifs sont utiles et amicaux". Hitler
répondait que s'il le leur permettait,
des milliers de juifs rejoindraient son
parti. Au jour d'hui, le problème a
disparu, car les néo-nazis modernes sont
très aimables avec juifs, banquiers et
gays. Le tueur norvégien Breivik est un
cas exemplaire de néo-nazi ami des
juifs, tout comme les néo-nazis
ukrainiens et russes le sont.
Alors que les bandits de Bandera
descendaient tous les juifs et Polonais
sur leur passage, leurs héritiers
bénéficient d'un soutien juif
appréciable. Les oligarques d'origine
juive, les Kolomoysky, Pinchuk et
Poroshenko les ont financés, tandis
qu'un dirigeant juif éminent, Josef
Zissels, président de l'Association des
organisations et communautés juives
d'Ukraine, les soutenait et les
justifiait. Il y a beaucoup de gens qui
vénèrent Bandera en Israël, ils
expliquent habituellement que Bandera
n'était pas vraiment un antisémite, car
il avait un médecin juif, tout comme
Hitler, d'ailleurs. Les juifs n'ont rien
contre les nazis qui ne les menacent
pas. Les néo-nazis s'en prennent aux
immigrés tadjiks, et les néo-nazis
ukrainiens aux russophones.
Les
projets de la Révolution
Cela mérite d'être
résumé en quelques lignes: Yanoukovitch
n'était pas un président trop mauvais,
il était prudent quoique faible. Malgré
cela, l'Ukraine s'est retrouvée au bord
du gouffre financier (voir mon article "Ce
qui s'est vraiment passé en Ukraine" .
Il avait vraiment essayé de tirer son
pays d'affaire grâce une alliance avec
l'UE, mais l'UE n'avait pas d'agent à
répartir. Il s'est alors tourné vers la
Russie, et Poutine lui avait offert une
solution, sans même lui demander de
faire entrer l'Ukraine dans l'Union
douanière mise en place par la Russie.
Ceci donna lie à une vive riposte d'US
et UE, car ils redoutaient que cela
fortifie la Russie.
Yanouk, comme on l'appelle pour faire
court, n'avait guère d'amis. Les
puissants oligarques ukrainiens ne le
sentaient pas. Au-delà des raisons
habituelles, ils n'aimaient pas les
manières de braqueur du fils de Yanouk,
qui avait soufflé des affaires à
d'autres de leurs pairs. Là, ils avaient
probablement marqué un point, car le
président du Belarus, le vaillant
Loukachenko, disait que les méthodes peu
orthodoxes du fils de Yanouk
entraîneraient des catastrophes.
L'électorat de Yanouk, les russophones
d'Ukraine, qui sont la majorité dans le
pays, de même que les anglophones
écossais sont majoritaires en Écosse,
étaient déçus parce qu'il ne leur
donnait pas le droit de parler russe et
de faire l'enseignement scolaire en
russe. Les fidèles de Julia Timochenko
ne l'aimaient pas, parce qu'il avait mis
leur dirigeante derrière les barreaux.
Mais elle ne l'avait pas volé: elle
avait loué les services de tueurs à
gages, conclu un marché frelaté avec
Gazprom, aux dépens des consommateurs
ukrainiens, et plus encore). Les
nationalistes extrêmes détestaient enfin
Yanouk parce qu'il n'éradiquait pas la
langue russe.
L'attaque contre le président élu,
orchestrée par les US, suivait les
instructions de Gene
Sharp dans le détail: a) s'emparer
d'une place centrale et y organiser une
occupation pacifique et massive, b)
parler sans fin du danger d'une
dispersion violente, c) si les autorités
ne faisaient rien, provoquer un bain de
sang, d) crier au meurtre de masse, e)
horrifier et stupéfier les autorités
médusées, f) les éjecter, g) prendre le
pouvoir.
L'élément le plus important dans ce
schéma n'a jamais été énoncé par le rusé
Gene Sharp, et c'est la raison pour
laquelle le mouvement Occupy Wall
Street, qui avait bien potassé
l'ouvrage, n'a pas réussi à déboucher
sur le résultat escompté. Il faut pour
cela avoir les Maîtres du Discours (voir
mon ouvrage La ), les médias
hégémoniques occidentaux, de son côté.
Autrement, le gouvernement vous brisera
comme ils l'ont fait avec Occupy Wall
Street et bien d'autres mouvements
semblables. Mais ici, les médias
occidentaux étaient pleinement du côté
des rebelles, puisque, justement, les
événements avaient été organisés par
l'ambassade US.
Au début, ils ont rassemblé pour un
sit-in sur la place de l'indépendance,
le Maidan, quelques personnes de leurs
connaissances: des gens dont l'Usaid se
porte garante, à travers le réseau des
ONG, comme l'a écrit l'expert ukrainien
André Vajra, les réseaux de l'oligarque
en fuite Khoroshkovski, les néo-nazis du
Secteur Droit et les radicaux de Cause
Commune. Des artistes distrayaient
généreusement la paisible assemblée;
bouffe et boissons gratuites à gogo,
sexe en liberté encouragé, un véritable
carnaval en plein centre de la capitale,
ce qui commença à faire affluer la
foule, comme cela se produirait dans
n'importe quelle ville du monde.
C'étaient les oligarques qui payaient,
avec l'ambassade US.
Mais la fête a) ne pouvait pas durer
éternellement. Bientôt, b) des rumeurs
de dispersion violente et imminente
circulèrent. Les gens prirent peur et
refluaient. Seule une petite foule
d'activistes restait sur les lieux. c)
la provocation fut fournie par un agent
occidental dans l'administration,
Sergueï Levochkine. Il rédigea sa lettre
de démission, la posta et ordonna à la
police de disperser violemment les
occupants de la place. La police arriva
sur les lieux et dispersa les militants.
Personne n'avait été tué, personne ne
fut blessé sérieusement, -aujourd'hui,
après une centaine de morts, il paraît
ridicule de mentionner ce détail - mais
l'opposition s'égosilla sur le moment en
termes de sanglants assassinats. Les
médias du monde entier, cet outil si
puissant entre les mains des Maîtres du
Discours, s'écrièrent "Yanoukovitch a
fait massacrer des enfants". UE comme US
de glapir sur le mode sanctions, des
diplomates étrangers sont entrés en
scène, tous jurant qu'ils voulaient
seulement protéger les pacifiques
manifestants, mais en excitant la foule
de Maidan avec des hommes en armes et
les combattants du Secteur Droit.
Nous avons mentionné Gene Sharp, mais au
Maidan une influence additionnelle
s'ajoutait, celle de Guy Debord, avec
son concept de Société du Spectacle. Il
ne s'agissait pas de quelque chose de
réel, mais d'un simulacre bien croyable,
tout comme le précédent, le "coup"
d'août 1991 à Moscou. Yanoukovitch avait
tout fait tout pour faire monter la
résistance sur la place Maidan; il avait
envoyé sa police anti-émeutes disperser
la foule, après quoi il l'avait
rappelée, laissant le travail à moitié
fait, et cela jour après jour. Après un
tel traitement, le chien le plus placide
se mettrait à mordre.
Le côté spectaculaire et irréel des
événements de Kiev a été amplifié par
l'arrivée du va-t-en-guerre impérial, le
philosophe néo-con Bernard Henri-Lévy.
Il s'est pointé sur les lieux comme en
Libye et en Bosnie, brandissant les
droits de l'homme et menaçant de
sanctions et de bombardements. Partout
où il met les pieds, la guerre se
rapproche, et j'espère ne jamais me
trouver dans un pays qui soit sur son
itinéraire.
Les premières victimes de la Révolution
brune ont été les monuments, en priorité
ceux de de Lénine, parce qu'ils
détestent le communisme sous toutes ses
formes, et les mémoriaux de la guerre
mondiale, parce que les révolutionnaires
sont solidaires des perdants, dans ce
cas les nazis allemands.
L'histoire nous dira jusqu'à quel point
Yanouk et ses conseillers comprenaient
ce qu'ils faisaient. En tout cas, il a
attisé le feu sur la place Maidan par
ses raids inefficaces, avec des forces
de police désarmées. Les néo-nazis ont
utilisé des snipers contre la police,
des dizaines de personnes ont été tuées,
mais le président Obama a appelé Yanouk
à renoncer, et il a renoncé. Après de
nouvelles rafales, il a dépêché la
police à nouveau. Puis un diplomate
européen l'a menacé du tribunal de la
Haye, et il a rappelé la police. Aucun
gouvernement ne pourrait fonctionner
dans un tel contexte.
Et le voilà qui est tombé, qui a signé
là où on lui disait de le faire, et qui
a disparu, vers une destination
inconnue. Les rebelles se sont emparés
du pouvoir, ont interdit l'usage du
russe et ont commencé à saccager Kiev et
Lvov. Maintenant la vie des paisibles
habitants de Kiev est devenue un enfer:
cambriolages, effractions journalières,
rossées et meurtres en pagaille. Les
vainqueurs sont en train de préparer une
opération militaire contre les zones
russophones au sud-est de l'Ukraine. Le
spectacle révolutionnaire peut devenir
vraiment sanglant. Certains Ukrainiens
espèrent que Julia Timoshenko,
fraîchement sortie de prison, sera
capable de tenir les rênes courtes aux
rebelles. D'autres espèrent que le
président Poutine tiendra compte des
aventures ukrainiennes, une fois les JO
heureusement terminés. Le spectacle
n'est pas fini tant que la grosse caisse
n'a pas dit son dernier mot, mais nul
doute que le tumulte va s'amplifier, et
que le finale sera retentissant.
Traduction: Maria Poumier
Le sommaire d'Israël Shamir
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