Opinion
Tunisie, vaincre Daech ou périr
Hedy Belhassine
Dimanche 13 mars 2016
Le 20 mars, la Tunisie célébrera
l'anniversaire de ses soixante années
d'indépendance. Dans l'inquiétude et la
tristesse, car son destin est incertain.
Tout va mal mais ce n'est pas
entièrement de sa faute mais de la
Libye, de Daech et de l'Arabie Saoudite.
Après les tueries
du Bardo et de Sousse, celles de Ben
Guerdane entament l'optimisme légendaire
des populations. Elles perçoivent
désormais le spectre d'une propagation
de la guerre civile qui métastase depuis
le Levant jusqu'à la Tripolitaine
voisine. Après être parvenu à chasser le
dictateur, la singulière nouvelle
démocratie arabe est condamnée à vaincre
Daech ou mourir.
C'est un combat
inouï à la portée de ce petit pays
aguerri par 3000 ans d'histoire.
Contrairement à
Mossoul, Raquah, Alep, Palmyre, Syrte,
Tombouctou...la prise de Ben Gardane a
lamentablement échoué. L'armée et la
garde nationale ont résisté, la
population ne s'est pas ralliée. C'est
une défaite sans précédent pour les « jihadistes »
et la marque d'espoir qui devrait
inciter tous les hommes libres à se
mobiliser derrière les Tunisiens.
L'alibi de tous les
maux
La frontière entre
la Tunisie et la Libye est une passoire
sous contrôle aléatoire. Elle est
lourdement militarisée en profondeur à
l'exception d'une bande côtière large de
quelques kilomètres où circulent
d'innombrables convois de camions qui
approvisionnent la Libye dans un sens et
la contrebande tunisienne dans l'autre.
Ce commerce informel s'est développé
dans les années Ben Ali ; il a pris une
ampleur démesurée depuis la chute de
Kaddhafi et l’exil massif de sa
population vers la Tunisie. Dans sa
thèse de sciences politiques, Hamza
Meddeb décrit la mafia des camionneurs
qui règne en maître sur « El Khat » (la
voie), trait d'asphalte qui relie Tunis
à Tripoli. Sur cette route l'incessant
trafic de marchandises en tous genres
échappe à la vigilance des douaniers et
des gardes nationaux qui trop souvent
ferment les yeux. La contrebande et
l'économie grise sont des gangrènes que
le gouvernement tunisien combat
mollement car elles procurent des
emplois clandestins aux chômeurs et des
revenus complémentaires aux
fonctionnaires corrompus. Le système
mafieu de « la voie » entretient vaille
que vaille la paix sociale, mais
grignote les ressources fiscales de
l'Etat qui doit s'endetter à l'étranger
pour boucler son budget.
http://www.fasopo.org/sites/default/files/jr/th_meddeb.pdf
http://hybel.blogspot.fr/2015/05/tunisie-la-revolution-nest-pas-finie.html
Contrebandiers
nationalistes
La déliquescence
des institutions, l'injustice et la
corruption composent un terreau fertile
sur lequel prospère Daech.
À priori, toutes les conditions étaient
réunies pour que Ben Guerdane, - 80
mille habitants, ville frontière avec la
Libye distante de 30 km et capitale
régionale des trafiquants - , tombe
entre les mains des supplétifs tunisiens
de Daech.
Depuis plusieurs semaines, les contrôles
avaient été renforcés, les
contrebandiers râlaient, des
groupuscules manifestaient bruyamment au
nom de la liberté du commerce. À l'aube
du 8 mars, une centaine de rebelles
armés ont attaqué simultanément la
garnison, la gendarmerie et le
commissariat de police. Les « jihadistes »
ont sillonné le centre ville pour
haranguer au mégaphone la population. En
vain, nul ne les a rejoint. Il
semblerait même que la mafia des
contrebandiers « nationalistes » ait
collaboré avec les forces de l'ordre
pour contrer la mafia « islamiste ».
Bilan officiel 70 morts dont une
cinquantaine de « jihadistes ». Tous
tunisiens.
Le premier jalon du
projet de conquête de l'Afrique du Nord
par les barbares s'est soldé par un
échec total.
L'évènement n'a pas été célébré à sa
juste mesure. La prise de Kairouan est
ajournée sine die.
http://hybel.blogspot.fr/2015/03/pourquoi-la-tunisie.html
La Libye n'est
pas le Levant
Les islamistes
wahhabisés qui ont fait allégeance au
Califat de Mossoul contrôlent depuis un
an Syrte, la ville où est né et où a été
exécuté Khadhafi. C'est un petit port de
70 mille habitants situé à 500 km au sud
de Tripoli. Les combattants (environ 5
000) font aussi la loi sur une bande
littorale de 200 km et dans quelques
bourgades isolées à l'intérieur des
terres. C'est beaucoup et dérisoire à la
fois, car la Libye c'est trois fois la
superficie de la France pour une
population à peine égale à celle de la
région Nord-Pas-de -Calais-Picardie.
Ce pays est un
désert brûlant de cailloux et de
poussières. S'y déplacer discrètement
est une gageure. Sans un appui
logistique de l'étranger la conquête du
territoire est pour le moment encore
hors de porté des « jihhadistes ». Il
est donc urgent d'aider les Libyens à
chasser les fanatiques de Syrte.
L'Italie distante d'à peine 300 km en
est consciente, elle piaffe d'impatience
d'aller débarquer ses commandos pour
nettoyer la ville dès qu'une demande
conforme au droit international lui sera
notifiée.
Daechxit ?
Les Etats Unis, la
France, la Grande Bretagne, l'Italie,
l'Allemagne et les pays du Maghreb se
sont accordé sur une stratégie de
« Défense de l'avant » selon la formule
du Chef d'Etat Major des Armées
françaises. Elle consiste à identifier,
suivre à la trace et accessoirement
neutraliser les « jihadistes ». La Libye
constitue un champ de manœuvre idéal
pour tester la performance des systèmes
d'espionnages de très haute technologie
et observer 24h/24 grâce aux drones et
aux satellites les allées et venues des
suspects. Outre les commandos infiltrés,
les renseignements stratégiques sont
fournis par des techniques sophistiquées
de mouchardages : transpondeurs des
Toyota, étiquettes actives sous les
babouches et même des balises Rfid de la
taille d'un grain de couscous implantées
sous la peau des « cibles » à leur insu.
Le bombardement du
camp libyen de Sabratha le 19 février
dernier par l'aviation américaine (50
morts) apporte la démonstration que les
troupes de Daech restent pour le moment
encore « under control ». Il
signifie clairement que toute entreprise
qui menace la Tunisie sera combattue par
l'US Army. Washington a d'ailleurs
accordé à Tunis l'an dernier le statut
« d'allié majeur non membre de l'OTAN »
qui donne accès à une coopération
militaire renforcée.
Reste à espérer que
la leçon de Ben Guerdane sera comprise
tout comme l'a été celle d'In Aménas en
Algérie en 2013.
Vers une « somalisation »
de la Libye ?
Tant que la base
arrière de Daech en Libye ne sera pas
tombée, la menace d'incursion en Tunisie
(et partant en Europe), subsistera.
C'est pourquoi, les occidentaux
multiplient les projets de plan
d'invasion du bastion islamiste de
Syrte. Mais les deux gouvernements
libyens rivaux de Tobrouk et de Tripoli
s'accordent pour s'y opposer
catégoriquement. En Europe, on
s'impatiente pour d'évidentes raisons de
sécurité, mais aussi dans la perspective
de capter les dividendes pétroliers de
la paix, et puis, les généraux rêvent de
marcher sur les pas de Rommel, Graziani,
Montgomry et Leclerc. De leur coté,
Tunis et Alger s'opposent fermement à ce
type d'aventure voué pensent-ils, à la
« Somalisation » de la région. Ils
encouragent avec fermeté une improbable
réconciliation des Libyens et plaident
pour une solution politique régionale,
mais personne n'a encore pris
l'initiative d'organiser une conférence
au sommet.
L'Union du
Maghreb demeure une chimère
Fondée en 1989
l'Organisation de l'Union du Maghreb
Arabe regroupe l'ambition des cinq
pays : Mauritanie, Maroc, Algérie,
Tunisie et Libye d'instaurer un espace
commun de libre échange, de prospérité
et de paix. Depuis sa fondation, elle
dort consciencieusement. Sur son site
internet la page « objectifs et
missions » reste désespérément blanche.
http://www.maghrebarabe.org/fr/objectifs.cfm
Le dernier débat de la réunion des
ministres des affaires étrangères a
porté sur la réforme de son appellation
et de son acronyme. Le Conseil des Chefs
d'État de l'UMA (ou de l'UM, comme on
voudra) ne s'est pas réuni depuis 1994 !
Son échec principal (objet subliminal de
sa fondation), demeure le conflit entre
le Maroc et l'Algérie à propos du Sahara
occidental qui perdure depuis plus de 40
ans !
Tunis, dont la
diplomatie excelle et qui entretient les
meilleurs relations avec chacun des
États du Maghreb est au centre des
espoirs. Encore faudrait-il que le
vigoureux Président nonagénaire Caïd
Essebsi, négociateur hors pair tout
comme son voisin Bouteflika, cessent
tous deux de regarder l'avenir dans le
rétroviseur de leur propre histoire et
fassent bouger les lignes.
Daech-tun
Les Tunisiens
représentent le plus fort contingent des
brigades internationales de Daech. Selon
divers sources, ils seraient 6 000 à se
battre au Levant et plus de dix mille
volontaires auraient été empêchés par
les autorités de quitter la Tunisie.
Cette singularité est un mystère que
tous les jihadologues tentent de
comprendre. Les explications proposées
sont nombreuses : sociologiques,
ethnologiques, économiques,
géopolitiques...Toutes sont plus ou
moins convaincantes.
La moins répandue
pointe la complicité de l'ancien régime
avec le Royaume d'Arabie Saoudite. Le
dictateur Ben Ali réfugié à Jeddah
entretient depuis quarante ans des liens
d’amitié solides avec la lignée d'Abdulaziz
Al Saoud et en particulier avec Mohamed
Nayef le très puissant Prince Héritier
et ministre de l'intérieur. À n'en point
douter Ben Ali est de mauvais conseil.
Daech-saoud
Au même titre que
l'Iran, la Syrie, le Yemen et
dernièrement le Liban, le « printemps
tunisien » est honni des wahhabites. La
Tunisie, c'est Satan. L'unité de son
peuple, son attachement aux valeurs
républicaines, à la liberté de pensée, à
l'égalité des genres et des droits
fondamentaux, son adhésion unanime à la
démocratie avec de surcroit la
conversion du parti islamiste Ennahdha
au processus de l'alternance, sont
autant d'insultes aux Saoud qui
cherchent à salafiser l'ensemble du
monde musulman. C'est pourquoi, ils sont
résolus quel qu'en soient le prix et les
méthodes, à gagner les Tunisiens à leur
idéologie rétrograde. Alors dans les
coulisses, les Altesses Royales
manoeuvrent en misant sur le chaos qui
conduira la Tunisie vers la dictature
intégriste dont les barbares de Daech
constituent l'avant garde agissante.
Par une cynique
coïncidence, au moment même où Ben
Guerdane était attaqué, un détachement
de l'armée tunisienne participait en
Arabie à des manœuvres militaires
gigantesques auxquelles avaient été
« conviés » avec beaucoup de persuasion
une vingtaine de pays. Cependant qu'à
Paris le Vice roi d'Arabie Saoudite
recevait en catimini des mains du
Président de la République la croix au
revers de laquelle est gravé « Honneur
et Patrie »
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