Guerre du pétrole :
tout a commencé en Irak en 1916
Gilles Munier
Jeudi 24 novembre 2016
Tous ceux qui suivent la situation en
Irak doivent absolument
se procurer « 1916 en Mésopotamie »
de Fabrice Monnier, qui vient de
paraître aux Editions du CNRS.
Ils
apprendront – s’ils ne le savaient
pas – que dans l’Empire ottoman, qui
s’effondrait, les musulmans ne se
laissaient pas envahir facilement par
les grandes puissances, les « kouffars »
comme ils les appelaient déjà. Ils
étaient capables, ne serait-ce que par
obligation religieuse – sunnite ou
chiite – ou pour l’honneur, de leur
résister courageusement, voire de les
battre à plate couture.
La
« Force D », expédition militaire
venue des Indes britanniques -
débarquée à Fao en 1914, près de Bassora
- l’a appris à ses dépens en avril
1916 : 18 000 morts rien qu’à la
bataille de Kut al-Amara et 9 500
prisonniers emmenés en Turquie dont
beaucoup ne revinrent jamais.
L’ouvrage de Fabrice Monnier,
passionnant, se lit comme un roman
historique. Il m’a tenu en haleine de
bout en bout, notamment avec son récit
du siège de Kut et de la reddition du
général Charles Townshend qui croyait
conquérir Bagdad sans difficulté. Ce
n’est pas l’impréparation des militaires
britanniques chargés d’occuper la
Mésopotamie – appelée, selon eux, à
être peuplée avec des paysans indiens
– qui m’a sidéré le plus, mais
l’arrogance et le mépris des officiers
anglais pour les forces armées
ottomanes, les tribus arabes, et même
pour leurs propres « harkis »
indiens. A croire que l’armée de Sa
Majesté ne venait pas de subir une
cuisante défaite face à la Turquie dans
le détroit des Dardanelles…
Tandis
que la Première guerre mondiale faisait
rage en Europe, à Londres il n’était pas
seulement question d’empêcher le
Kaiser Guillaume II de contrôler la
route des Indes. On y parlait déjà d’Or
noir. Certes, il fallait protéger la
raffinerie de l’Anglo-Persian Oil
Company d’Abadan (Iran) qui
approvisionnait la marine britannique en
mazout mais, au-delà, il s’agissait de
s’emparer d’une région connue de
quelques spécialistes – et de
l’Intelligence service - pour être
gorgée de pétrole.
A
cette fin, et pour effacer l’humiliante
défaite de Kut al-Amara – quasiment
passée sous silence dans la presse
londonienne -, les Britanniques
durent envoyer en Irak un corps
expéditionnaire de 100 000 hommes, 176
canons et des avions leur assurant la
supériorité dans les airs. Commandés par
le général Frederick Maude, les
Britanniques prirent Bagdad le 11 mars
1917. Mossoul qui résistait ne sera
occupée que le 10 novembre 1918, sans
respect pour l’armistice conclu avec les
Turcs à Moudros dix jours plus tôt.
« Cent ans plus tard, les conséquences
de cette guerre », écrit Fabrice
Monnier, « les promesses non tenues
et des humiliations infligées se font
toujours sentir dans un Moyen-Orient où
on a la mémoire longue».
Elles
sont de toute évidence avec les deux
guerres du Golfe, l’embargo
international et plus d’un million de
victimes civiles, à l’origine du chaos
irakien actuel.
Les
Américains - Bush père et surtout
fils - n’ont tiré aucun enseignement
de l’occupation de l’Irak par les
Britanniques. Les résistances irakiennes
sunnites et chiites - avec l’Armée du
Mahdi et le Hezbollah irakien – les
ont contraints à rappeler leur corps
expéditionnaire. Un Etat islamique
(EI) remettant en cause les accords
Sykes-Picot a aussitôt émergé dans les
provinces majoritairement sunnites d’Al-Anbar
et de Ninive. Ce qu’il représente ne
disparaîtra pas après sa défaite à
Mossoul, loin de là. La partition de
facto du pays en entités plus ou
moins autonomes semble maintenant en
cours. Il va s’en dire qu’elles ne
demeureront pas longtemps en paix.
Mais
en attendant cet éventuel redécoupage,
ce sont les déclarations de campagne de
Donald Trump - nouveau président des
Etats-Unis – qui inquiètent. Elles
ne laissent présager rien de bon dans la
région, puisqu’il considère que les
Américains ont le droit de s’emparer des
champs de pétrole irakiens pour se
rembourser des dépenses occasionnées par
la guerre contre le terrorisme
(terrorisme qu’ils ont eux-mêmes
provoqué !). C’est plus facile à
dire qu’à faire. Comme disent les
anglo-saxons : Wait and see…
Présentation de l'ouvrage par son auteur
(vidéo - 2'47):
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