Interview
"Bajolet cherchait le buz"
Gilles Munier
Mercredi 10 octobre 2018
Interview: OTAN, Russie, Syrie,
Saddam, Israël, Algérie, Bouteflika,
Cabinet noir…etc...
Interview de
Gilles Munier, par Samir Mehalla
(revue de presse : Crésus (Algérie) –
9/10/18)*
Crésus :
Sommes-nous aux portes d'une nouvelle
guerre froide qui pourrait embraser le
monde ?
Gilles Munier : La
guerre froide n’a jamais cessé, elle a
simplement baissé en intensité. L’OTAN,
qui devait disparaître après
l’effondrement de l’URSS, a été
maintenue pour «finir le travail».
Au-delà de la Russie, à plus ou moins
long terme, l’objectif du complexe
militaro-industriel américain est la
Chine. Les Américains tentent d’avancer
des pions un peu partout : en Europe de
l’est, dans le Pacifique, en Afrique, au
Moyen-Orient. Tarek Aziz, ancien
vice-Premier ministre irakien, m’a dit
en 1996 que la Première guerre du Golfe
n’avait été possible que parce que
l’Irak n’avait plus de «protecteur».
Cela n’est pas le cas, on le voit, en
Syrie. Aujourd’hui, Vladimir Poutine est
à la barre à Moscou, et Xi Jinping est
président à vie à Pékin… Si les
Etats-Unis attaquent l’Iran, et Israël
le Hezbollah au Liban, ils auront du fil
à retordre. La partie ne sera pas gagnée
d’avance. Heureusement, les temps ont
changé, mais que d’incertitudes pour la
paix dans le monde et de tragédies à
venir.
Quelles
seraient les conséquences des sanctions
contre la Russie ?
Terribles pour tout
le monde. Pour les Russes bien sûr, mais
aussi pour tous les pays qui ont des
relations avec la Russie, dans les
domaines culturels, économiques et
militaires. La Russie résistera, comme
l’ont fait les pays victimes de
sanctions américaines et au bout du
compte ce sera peut-être les Etats-Unis
qui flancheront. Les sanctions
actuelles, soutenues par l’Union
Européenne, font, pour l’instant, plus
de tort aux économies française et
allemande, qu’à celle de la Russie. Le
suivisme de la politique américaine par
la France est très mal perçu toutes,
tendances confondues, sauf évidement par
les courants atlantistes et
pro-israéliens.
Quelles
conséquences auront pour l’Etat
d’Israël, la livraison à la Syrie des
systèmes de missiles sol-air S-300?
Les S-300 sont
capables de détecter des avions et des
missiles dans un rayon de plus de 200
km. Ils devraient empêcher les F-16 de
l’armée israélienne de bombarder la
Syrie et peut-être demain le Liban.
Dommage que cela n’ait pas été fait plus
tôt. Les rapports de force militaire au
Proche-Orient sont en train de changer,
et ce n’est pas fini. La question de la
libération du Golan, annexé par Israël
en dépit des résolutions des Nations
unies, est maintenant à l’ordre du jour.
Menahem Begin a dû restituer le Sinaï à
l’Egypte, Netanyahou ou son successeur
devront, tôt ou tard, rendre le Golan à
la Syrie. Poutine pourrait en être le «facilitateur».
Les cris d'un
club algérois pour Saddam a suscité des
réactions extrêmes en Irak. Comment
expliquez-vous ce cri arabe ?
C’est d’abord le
cri de supporters cherchant à
déstabiliser l’équipe adverse. Mais, ce
n’est pas n’importe quel cri, car le
martyr du peuple irakien avec l’embargo
génocidaire, l’invasion américaine,
l’occupation et la guerre civile qui a
suivi, ont laissé des traces dans toutes
les mémoires, à commencer dans les pays
musulmans. «Allahou Akbar Saddam»,
crié par les supporters de l’USMA,
c’était aussi une façon de rendre
hommage à un président jugé lors d’un
procès inique suivi d’une pendaison, le
tout supervisé par les Américains. Cela
n’avait rien à voir avec l’idéologie la
situation chaotique de l’Irak
d’aujourd’hui où, il faut le noter,
l’équipe algérienne avait été bien
accueillie lors du match aller à Kerbala,
ville sainte pour les chiites.
L'Algérie
risquerait-elle des sanctions
américaines étant cliente de la Russie.
Quelles en seraient les conséquences ?
La recette est la
même partout où un pays résiste au
complexe militaro-industriel américain.
Les Etats-Unis ont des bases militaires
ou de l’Otan autour de l’Algérie : au
Maroc, en Espagne, en Italie, au Niger.
Ils espèrent en construire une en
Tunisie. Si Donald Trump décrète des
sanctions contre l’Algérie, il faut
s’attendre à des opérations de
déstabilisation, à l’instrumentalisation
de mouvements autonomistes ou
sécessionnistes. Les néo-conservateurs
pensent peut-être que l’Algérie est un
fruit mûr qui ne demande qu’à tomber…
dans leur escarcelle. Je me demande
comment réagirait alors la France
d’Emmanuel Macron, si cette question a
été évoquée lors de ses entretiens avec
Donald Trump.
L'armée
algérienne a procédé à des nominations
au sein de son haut commandement.
Comment perçoit-on ces changements de
l'extérieur ?
Ici, on a
l’impression qu’un «cabinet noir» fait
le ménage à la tête de l’armée pour
préparer l’après-Bouteflika. On se
demande si le général Gaïd Salah n’est
pas le prochain sur la liste, ou pire :
si un conflit avec le Maroc n’est pas à
l’étude pour souder la population autour
d’un futur président.
La question
du Sahara occidental…
Justement, la
question du Sahara occidental pourrait
donner cette occasion.
Les dernières
déclarations de l'ex-ambassadeur de
France en Algérie, M. Bajolet,
sont-elles provocatrices et
révèlent-elles un certain froid entre
Paris et Alger ? Si oui, quelles en sont
les raisons, selon vous ?
Bernard Bajolet,
aujourd’hui retraité, qui se présente
lui-même comme un «ambassadeur peu
diplomate», dit ce que pensent
beaucoup d’Algériens et d’amis de
l’Algérie. Dans un câble de 2008, révélé
par WikiLeaks, il disait déjà à peu près
la même chose. Ses déclarations sur
l’état de santé du président Bouteflika
ont été prononcées dans cadre de la
promotion de ses mémoires. Pour vendre
son livre, par ailleurs très
intéressant, il lui fallait, comme on
dit, faire le «buzz». C’est
gagné. Dommage que ce soit sur le dos
d’un homme malade. Les relations entre
Paris et Alger ont toujours connues des
hauts et des bas. Il est évident
qu’Emmanuel Macron a plus d’atomes
crochus avec le roi Mohamed VI et le
libéralisme économique sauvage qui sévit
au Maroc qu’avec l’impression de vide à
la tête de l’Algérie et les perspectives
algériennes en matière de développement,
du moins si le cours du baril de pétrole
ne remonte pas suffisamment.
Gilles Munier,
secrétaire général des Amitiés
franco-irakiennes, association para
gouvernementale fondée par
l’orientaliste Jacques Berque en 1985, a
fait une partie de ses études à Alger
entre 62 et 70. Son père, Henri,
instituteur progressiste favorable à
l’indépendance de l’Algérie, a passé
symboliquement une semaine au maquis en
1956 en Kabylie, heureusement juste
avant le vote des Pouvoirs spéciaux, où
il a rencontré le colonel Amirouche. Ce
qui lui a permis de s’exfiltrer de feu
le département de Constantine et
d’échapper aux foudres de l’armée
coloniale. Gilles Munier, qui anime le
blog «France-Irak Actualité», est
l’auteur du Guide de l’Irak
et de Les espions de l’or noir,
traduits en langue anglaise.
*Source :
Crésus (en PDF - cf. page 12)
Crésus
est un hebdomadaire économique algérien
en langue française.
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