Actualités du
droit
Sivens :
Ouverture d’une information judiciaire
criminelle
Gilles Devers
Jeudi 30 octobre 2014
Face à des faits d’une
particulière gravité – le décès d’un
jeune manifestant causé par les forces
de l’ordre – la justice a réagi avec
méthode. Pendant ces jours de folie, les
seuls à s’être montrés au niveau ont été
les proches de la victime et la justice.
Le président de la République et
plusieurs ministres se sont engagés à
faire toute la lumière. Eh bien, non, ce
n’est pas à eux d’agir, mais à la
justice, et soyez sûrs que tout sera
fait de A à Z.
Quelle sera
la démarche de l’enquête ?
La justice pénale doit chercher à
répondre à trois questions successives,
et l’on part du fait, la mort de
Rémi Fraisse, en s’interrogeant sur les
causes :
- comment expliquer la mort d’un
point de vue médical, ce qui repose en
particulier l’analyse de la plaie, à
partir des lésions, qui sont la donnée
objective ;
- déterminer l’auteur de ce fait, et
ce qui semblait a priori par
évident, ne fera pas difficulté, le
commandant de la gendarmerie indiquant
que le nom de ce gradé est connu ;
- dire si, en tenant compte de tous
les éléments contextuels, il résulte des
éléments contre ce gradé, ou d’autres
personnes, constituant des charges
d’avoir commis une infraction prévue par
le code pénal.
S’il y a assez d’éléments, l’affaire
sera renvoyée devant une juridiction,
pour être jugée. Sinon, ce sera un
non-lieu.
Quelle
enquête a-t-elle été ouverte ?
Le procureur de la République de
Toulouse, Pierre-Yves Couilleau a
annoncé qu’avait été ouverte une
information judiciaire contre X est
ouverte pour « violences
volontaires ayant entraîné la mort
sans intention de la donner, faits
commis par une
personne dépositaire de l’autorité
publique dans l’exercice de ses
fonctions ».
A ce stade, les faits sont
sommairement qualifiés – vu que
l’enquête commence – et la pratique est
d’ouvrir sur des infractions « larges »,
pour cibler ensuite en fonction de
l’évolution de l’enquête. Ce qui
signifie que la qualification choisie à
l’origine ne se retrouve pas forcément
par la suite.
Toutefois, en choisissant cette
qualification, qui est criminelle,
plutôt que celle d’homicide
involontaire, qui est délictuelle, le
Parquet veut donner à l’enquête
les moyens les plus poussés que
permet le Code pénal.
Autre signe marquant, le fait que
deux juges d’instruction aient été
désignés.
La justice
a-t-elle trainé les pieds ?
C’est une critique beaucoup entendue,
et qui ne tient pas.
Les faits ont eu lieu dimanche vers 2
heures du matin, et l’instruction a été
ouverte mercredi dans l’après-midi.
Le procureur près le TGI d’Albi
devait, du fait de la nature des faits
impliquant des militaires, transférer
l’enquête au parquet de Toulouse. Cette
issue était probable car sont en cause
des gardes mobiles, mais il fallait
procéder à de premières vérifications,
ce qui a été fait en quarante-huit
heures : lundi l’autopsie, et mardi les
premières constations de la police
scientifique mettant en cause une
grenade offensive. Tout a été fait vite
et bien.
Le dossier a donc été transférer le
dossier à Toulouse. Il n’y a rien à
redire, et les critiques – vives –
entendues étaient dénuées de fondement.
Il est toujours regrettable de
discréditer la justice… par des
critiques tellement déplacées qu’elles
jettent le discrédit sur leur auteur.
La famille a
porté plainte…
Oui, et ça ne sert à rien. Enfin rien
sur le plan procédural.
A partir du moment où le parquet
ouvre l’information judiciaire,
c’est-à-dire saisit les juges
d’instruction de faits, déposer plainte
pour les mêmes faits est parfaitement
inutile.
En revanche, la famille peut dès
maintenant se constituer partie civile
(Code de procédure pénale, art. 87)
ce qui lui permet d’accéder au dossier,
et de participer à la procédure.
Le directeur
général de la gendarmerie, Denis Favier,
s’est exprimé.
C’était attendu, mais il a pris lui
aussi le temps d’une étude approfondie
des faits – ce dont se sont abstenus les
politiques qui ont parlé de l’affaire.
Il a déploré un « drame accidentel »,
et a défendu l’action des forces de
l’ordre sur le terrain. L’auteur du jet
de la grenade, un gradé, est connu, et
Denis Favier a exclu de le suspendre,
estimant qu’il avait agi dans
les conditions prévues par les textes.
Favier a expliqué que, la nuit
tombée, les gardes mobiles ont fait face
à « une violence qui n’a jamais été
rencontrée jusque-là », et il fait état
de tir de pierres, de boulons, de
bouteilles incendiaires et de fusées sur
rampes de lancement.
Les tirs de grenades lacrymogènes
s’avérant insuffisant, le chef
d’escadron a ordonné le tir d’une
grenade offensive dans un secteur donné,
ce qui a été fait après sommation.
Il a déclaré à propos de la grenade
offensive : «Ce n’est pas une arme qui
tue. On n’a jamais eu de problème avec
cette arme. Elle est régulièrement
engagée pour des opérations de maintien
de l’ordre (…) Le commandant d’escadron
a commandé le tir. Un gradé a tiré la
munition, non pas sur un individu mais
dans un secteur donné. Beaucoup de
choses dites sont fausses. Cette grenade
est lancée à la main derrière le
grillage où les forces sont installées.
Un tir parabolique à 10 à 15 mètres
(…) Le gendarme qui tire ne voit pas
Rémi Fraisse tomber. D’autres gendarmes
l’ont vu. Ils sont allé chercher le
corps pour lui prodiguer des soins».
Le directeur général de la
gendarmerie a précisé que l’escadron
avait pris des images vidéo, qui font
partie du dossier, et « où on entend les
ordres et où on remarque que la grenade
offensive a été tirée en respectant le
protocole ». D’après lui, Rémi Fraisse
faisait partie d’un groupe «qui était là
pour en découdre», soulignant que le
rôle exact de la victime dans les
affrontements reste à déterminer.
Il a conclu : «La pression était
forte. Les moyens utilisés pour répondre
étaient graduels. Des grenades
lacrymogènes (200 au total), des
artifices mixtes, et la pression est
telle que nous avons utilisés des
grenades offensives. L’une d’entre elles
est entrée de manière accidentelle» en
contact avec le corps de Rémi Fraisse.
Pour le moment, c’est un concours
de circonstances tout à fait
défavorable. J’accorde mon soutien total
à cette unité. Il n’y a pas de faute ».
Quelles
suites ?
En toute logique, les juges vont
creuser dans trois directions :
- tout ce peut apporter la médecine
légale et la police scientifique,
- l’étude des vidéos, des éléments
matériels et des rapports d’intervention
de la gendarmerie,
- les témoignages.
Le gradé qui
a lancé la grenade va-t-il être mis en
examen ?
Mis en examen, ou entendu comme
témoin assisté, oui, il faut s’y
attendre, car il est directement mis en
cause, dans une procédure criminelle, et
le respect des droits de la défense
suppose qu’il soit entendu avec toutes
les garanties : assistance d’un avocat
et accès préalable au dossier.
On l’oublie trop, mais la mise en
examen est un droit de la défense, qui
ne préjuge en rien de l’issue de
l’instruction. Attention au respect de
la présomption d’innocence.
Pourquoi
cette présence des forces de sécurité ?
Jusque-là, je n’ai pas trop compris,
car les versions sont contradictoires.
Pour une thèse, les garde-mobiles
étaient retranchés dans un enclos où est
stocké du matériel, et pour l’autre, il
n’y avait pas de matériel significatif,
donc pas besoin de la présence
policière. Ca ne concerne
qu’indirectement la mort de la victime,
mais il va falloir éclaircir.
Les
politiques ?
Jamais ils ne m’ont tant écœuré, et
les responsables des Verts ont été les
plus nuls. Aucun respect pour les faits,
la loi, la victime ou les forces de
l’ordre… Est-ce si difficile de
réfléchir avant de parler ? Ont-ils un
cerveau leur permettant d’envisager
qu’une telle affaire est très complexe ?
Peuvent-ils imaginer qu’il puisse y
avoir un drame sans criminel ? Et ce
pauvre Mamère qui demande l’abandon du
chantier parce qu’il y a eu un décès,
va-t-il le réclamer pour tous les
accidents mortels du travail ? Pitié,
qu’ils se taisent !
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