L'actualité de
droit
Tout le monde va vouloir être jugé
par la Cour de Justice de la République
Gilles devers
Photo
prise rue de Constantine à Paris, de la
plaque de la Cour de Justice de la
République[AFP/Archives]
Mardi 20 décembre 2016
Christine Lagarde était poursuivie pour,
en tant que dépositaire de l'autorité
publique, avoir contribué à détruire et
détourner des fonds publics, du fait de
la négligence (Code pénal, art. 432-16).
La peine encourue est d'un an
d'emprisonnement et de 15 000 euros
d'amende.
Ce n’est pas la
plus grave des infractions. Il n’y a ni
enrichissement indu, ni intention
coupable : simplement, un patron doit
être vigilant dans la gestion des fonds
publics, et laisser passer une
hémorragie d’argent public par simple
négligence est une infraction.
Responsabilité
politique et/ou juridique ?
En tant que
Sinistre de l’Economie, Lagarde assume
une responsabilité politique, qui s’est
caractérisée par une lourde sanction :
en effet, après son passage lunaire au
ministère, ponctuée par une stupéfiante
lettre d’excuses mortifiées à Sarkozy,
elle a été durement punie… en étant élue
au FMI. La responsabilité politique, ça
ne rigole pas.
Coté pénal, ce
n’est pas mal non plus.
La Cour de Justice
de la République
Les membres du
Gouvernement sont « pénalement
responsables des actes accomplis dans
l'exercice de leurs fonctions et
qualifiés crimes ou délits au moment où
ils ont été commis », selon l’article
68-1 de la Constitution, et ils sont
jugés par la Cour de Justice de la
République : trois magistrats de la Cour
de cassation, jusque-là on comprend,
mais aussi des parlementaires – six
sénateurs et six députés – donc des
collègues de la personne poursuivie,… ce
qui est un modèle à encourager.
Par exemple, on va
ajouter aux trois juges du tribunal
correctionnel douze assesseurs qui sont
des membres de la famille ou des amis du
prévenu.
Une condamnation…
La décision de la
CJR s’organise en trois points (ah ah
ah...).
Tout d’abord, c’est
bien une culpabilité personnelle de
Lagarde, et non pas de Sarkozy ou Fillon
: «Madame Lagarde affirme ne pas avoir
agi sur instruction du Premier ministre
ou du président de la République, assume
l’entière responsabilité de ses choix.
Elle était donc décisionnaire,
dépositaire de l’autorité publique.»
Ensuite, la CJR
innocente Lagarde sur sa décision
d’entrer en arbitrage, en 2007, ce qui
peut se discuter dans la mesure à la
Cour de cassation venait de rendre un
arrêt très favorable à l’Etat, mais qui
pouvait permettre de solder tous les
aspects de l’affaire : « Compte tenu des
précédentes tentatives de médiation, la
preuve n’est pas apportée d’une
négligence. »
Par contre, a été
négligente, au sens de l’article 432-16,
la décision prise en juillet 2008 de ne
pas former un recours contre la sentence
arbitrale qui accordait à Tapie des
montants astronomiques : 403 millions €,
avec après paiement des dettes fiscales
et bancaires, un solde 270, incluant les
fameux 45 millions de dommage moral.
Un « montant exorbitant qui caractérise
un détournement de fonds publics». A
l’époque, on ne savait pas que la
procédure d’arbitrage était faisandée,
mais ces sommes devaient faire réagir,
et il fallait tenter un recours.
Mais, la gestion a
été du n’importe quoi : elle découvre
que le compromis d’arbitrage a été
changé en cachette, pour inclure ce
préjudice moral, mais elle ne réagit
pas ; elle ne tient aucun compte des
avis pressant de faire un recours, ne
lit pas les notes de son service ou de
l’Agence des participations de l'Etat
critiquant cette sentence, et elle ne
travaille qu’avec ceux qui sont opposés
au recours. Et elle renonce au recours
sans même se laisser le temps de la
réflexion prévu le texte.
L’arrêt lui
reproche « de ne pas avoir « étudié la
sentence arbitrale dont les termes
violents et constamment univoques ne
pouvaient que conduire la ministre à
explorer et tenter toutes les voies de
droit pour obtenir la mise à néant d'un
résultat aussi néfaste pour les finances
publiques ». Une page complète de
l’arrêt pour faire le tableau accablant
de cette négligence : « Cette décision
ne procède pas d'un choix politique
malheureux mais d'une négligence » Donc
coupable.
Alors quelle
sanction ?
Une sanction… qui
est la dispense de peine.
La dispense de
peine est prévue par l’article 132-59 du
Code pénal :
« La dispense de
peine peut être accordée lorsqu'il
apparaît que le reclassement du coupable
est acquis, que le dommage causé est
réparé et que le trouble résultant de
l'infraction a cessé.
« La juridiction
qui prononce une dispense de peine peut
décider que sa décision ne sera pas
mentionnée au casier judiciaire ».
Ce n’est donc pas
une déclaration d’innocence, mais une
culpabilité non sanctionnée, disposition
prévue pour des affaires modestes et
quand tout conduit à tourner la page.
On regarde ?
Le reclassement du
coupable, c’est oki. La coupable a
effectivement un logement et un travail.
Le dommage causé
est réparé… Non. La sentence a ensuite
pu être cassée, mais l’argent public est
toujours chez Tapie, avec des
stratagèmes à la clé et une sauvegarde
judiciaire, et bon courage pour faire
rentrer l’argent.
De même, le trouble
résultant de l’infraction n’a pas cessé,
car cette affaire – grave comme
l’explique lui-même l’arrêt – est
toujours en cours, et marque l’opinion.
Et pourtant :
dispense de peine, et absence de mention
au casier judicaire ! Ah que la vie est
belle avec la redoutable CJR !
Un arrêt qui va
bien aider à réconcilier nos
compatriotes et la Justice…
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