Actualités du
droit
Les crimes d’Israël devant la CPI :
Nous sommes près du but; ce qu’il reste
à faire
Gilles Devers
Samedi 9 août 2014
J’écris ces lignes alors que les 1,8
millions d’habitants du territoire
palestinien de Gaza vivent dans les plus
grandes difficultés, et les plus grandes
incertitudes. Le bilan provisoire est de
1800 morts et plus de 6 000 blessés
graves, dont 85% de civils.
L’électricité est là quelques heures par
jour, l’eau manque, et le pays est en
ruine. Les familles pleurent leurs
morts. Venus s’occuper de tunnels, les
soldats israéliens ont rayé de la carte
des quartiers entiers et détruit des
infrastructures essentielles à la
population civile (hôpitaux, écoles,
centrale électrique…). Rien de
significatif ne se dégage sur le blocus
de Gaza, qui est en lui-même un crime de
guerre.
Alors, est-ce le moment de parler de
la procédure quand l’idée d’un procès
semble à des années lumières des besoins
urgents d’un peuple qui demande
seulement à vivre ?
Oui, c’est le moment. D’abord, car
nos amis Palestiniens nous le demandent.
Ensuite, parce que nous n’avons jamais
été aussi près du but : combattre
l’impunité d’Israël devant une
juridiction internationale. Le ministre
de la justice Saleem Al-Saqqa est clair
:
la procédure doit se poursuivre.
I
Où en
est-on ?
L’action juridique est un relais de
la Résistance palestinienne, et elle ne
s’arrêtera pas. Pour des raisons sur
lesquelles nous reviendrons, la plainte
engagée au nom du Ministre de la Justice
de l’Etat de Palestine et du Procureur
général de Gaza a été rejetée par la
Procureure de la Cour pénale
internationale. Mais ce n’est qu’une
toute petite étape au regard de ce qui
été fait et de ce qui sera fait. Notre
détermination est intacte.
En synthèse ?
Voici en synthèse le bilan :
1/ La plainte déposée le 25 juillet
2014 a été classée par la Procureure.
C’est une mesure, illégale sur la forme
comme sur le fond, et qui, quoiqu’il en
soit, n’a pas d’autorité de chose jugée;
2/ La motivation retenue par la
Procureure est une aberration juridique,
qui n’est partagée par aucun Professeur
de droit ;
3/ L’unanimité des Professeurs de
droit a dit que la Palestine peut donner
compétence à la Cour pénale
internationale par une déclaration de
compétence (art ; 12.3) ;
4/ Du fait de cette plainte, s’est
créé un consensus dans la classe
politique palestinienne pour se décider
à ratifier le Statut de la CPI, et c’est
là une immense avancée, qui change
tout ;
5/ La procédure engagée était
parfaitement valable car elle comprenait
une dénonciation de faits (Art. 15.1) et
une déclaration confirmative de
compétence (Art. 12.3) par le ministre
de la justice ;
6/ La visite du Ministre palestinien
des affaires étrangères, M. Al-Malki, au
siège de la CPI le 5 aout 2014, reste un
épisode regrettable car la plainte qui
était en cours auparavant ne l’était
plus après ;
7/Cette étape laissera inévitablement
des traces, car il était très facile de
contourner l’obstacle levé par la
Procureure, mais les forces lancées sont
telles que tôt ou tard, la CPI sera
saisie du dossier des crimes commis en
Palestine.
8/ Si la Procureure trouve un nouvel
échappatoire pour rejeter la demande du
peuple palestinien, elle aura porté un
nouveau coup, cette fois fatal, à la
CPI, qui est déjà au cœur de bien des
critiques.
9/ Le mouvement Hamas, décrété
terroriste en Europe, s’en remet à la
justice, alors qu’Israël la refuse, et
que les pays occidentaux tente de barrer
la route à la Palestine. C’est tout un
pan de propagande qui s’écroule sous nos
yeux, et qui change toute la donne au
Proche-Orient.
2
Quelle
procédure a été engagée ?
Monsieur Saleem Al-Saqqa, Ministre de
la Justice de Palestine et Monsieur
Ismail Jabr, Procureur Général de
la Cour de Gaza ont, le 25 juillet 2014,
déposé une plainte fondée sur l’article
15.1 du statut auprès de Madame Fatou
Bensouda, Procureure près la Cour pénale
internationale, concernant les crimes de
guerre commis par l’armée israélienne en
juin et juillet 2014 en Palestine, dans
le contexte de l’opération militaire
appelé « Bordure protectrice ».
La plainte visait les infractions
suivantes, qui sont toutes des crimes de
guerre définis par le statut de la CPI :
·
Homicide
intentionnel
·
Attaques
portées contre des civils
·
Attaques
causant incidemment des pertes en vies
humaines, des blessures et des dommages
excessifs
·
Destruction et appropriation de biens
·
Crime de
colonisation
·
Crime
d’apartheid
·
Violation
des règles du procès équitable
Dans leur plainte, Monsieur Saleem
Al-Saqqa, Ministre de la Justice de
Palestine et Monsieur Ismail Jabr,
Procureur Général de la Cour de Gaza ont
demandé à Mme la Procureur de saisir la
chambre préliminaire de la Cour pénale
internationale pour qu’elle autorise
l’ouverture d’une enquête sur les crimes
commis à Gaza.
Quatre jours plus tard, a été
adressée au bureau du procureur la
déclaration confirmative de compétence.
C’est le schéma qui avait été suivi pour
l’affaire Gbagbo. Nous avons donc
respecté ce précédent.
La procédure était-elle
régulière ?
Elle l’était parfaitement, et elle le
reste.
Pour accepter un Traité, un Etat doit
le signer et le faire ratifier par son
parlement. La Palestine ne l’a hélas pas
fait. La procédure que nous avons
engagée a montré que c’était une posture
intenable, et il y a désormais un
consensus pour le faire, ce qui est un
acquis considérable. Donc, c’est juste
une question de temps, et bien sûr, le
plus tôt sera le mieux.
Mais le statut prévoit un mode
dérogatoire : un gouvernement peut
donner compétence à la Cour par une
simple déclaration. C’est ce qu’avait
fait le ministre de la justice de
Palestine en janvier 2009, et c’est ce
que nous avons fait ce mois de juillet
2014, par une déclaration confirmative.
On dit que c’était voué à
l’échec car c’était une démarche
personnelle ?
Ceux qui disent cela parlent sans
savoir. Ils n’ont pas lu les actes de la
procédure, et n’ont pas cherché à me
contacter. Je me contenterai de dire que
la plainte et les mandats ont bien été
signés au nom de l’Etat de Palestine,
par les autorités compétentes en droit
interne. Ces pièces sont désormais
publiques.
On dit que le ministre de la
justice n’avait pas compétence…
En janvier 2009, c’est le Ministre de
la Justice qui avait saisi la CPI, et
personne n’avait critiqué cela. En 2014,
le Ministre palestinien de la justice en
exercice a saisi la CPI en sa
qualité d’autorité gouvernementale. En
2014 comme en 2009, le ministre a agi en
engageant le gouvernement. Je n’ai lu
aucune déclaration officielle disant le
contraire.
En novembre 2009, l’assemblée
générale de l’ONU a demandé à chaque
partie – Israël et la Palestine – de
juger les crimes de Plomb Durci.
C’est dire que l’AG ONU avait reconnu
l’existence du pouvoir juridictionnel de
la Palestine. Aussi, le Procureur
général de Gaza, qui ne pouvait
envisager un procès à Gaza, était
parfaitement en droit de dénoncer les
faits auprès de la CPI, ce qui est
conforme au principe de complémentarité
prévu par le Statut de Rome.
J’ai pu lire également que le
Procureur général ne pouvait donner
compétence à la Cour. Cette critique est
à nouveau sans objet car deux actes ont
été faits, conformément à la règle :
- une dénonciation des faits, signée
par le ministre et le procureur ;
- une déclaration confirmative de
compétence, signée par le ministre.
Tout est donc très clair.
La Palestine n’a pas ratifié
le traité de la CPI. Et Israël non plus…
Le fait qu’Israël n’ait pas ratifié
le statut n’est pas un problème car la
compétence de la Cour est liée au lieu
de commission des crimes. Depuis la
déclaration de compétence de 2009, la
compétence de la CPI est donc acquise
pour les crimes commis sur le territoire
de l’Etat de Palestine.
3
Le
communiqué de rejet de la Procureure
La Procureure affirme dans un
communiqué du 5 août que cette
déclaration de 2009 ne serait plus
valable car la Palestine a été reconnue
comme Etat observateur non membre de
l’ONU en novembre 2012. Elle est la
seule à tenir ce type de raisonnement et
ne l’explique pas.
C’est de plus un excès de pouvoir.
Seule une décision de la Cour pourrait
dire cette procédure nulle… mais la cour
n’a jamais été saisie par la Procureure…
C’est tout le problème de l’action de
la Palestine devant la Cour pénale
internationale. Depuis le début de la
procédure en 2009, le bureau du
Procureur fait de la rétention en
s’accaparant le pouvoir des juges. Or,
c’est à eux – et à eux seuls – qu’il
appartient de dire si la Cour est
compétente, et donc de trancher la
question de la validité de la
déclaration de compétence du 22 janvier
2009.
L’analyse est certaine car elle se
fonde sur un principe cardinal du droit
du contentieux international. C’est le
principe « kompetenz-kompetenz ». Seuls
les juges – et non le Bureau du
Procureur qui n’est que l’organe de
poursuite de la Cour – ont le pouvoir de
décider si la Cour est compétente pour
juger les crimes commis à Gaza. Bien
entendu, la plainte s’appuie sur ce
principe fondamental et le Bureau du
Procureur devra tôt ou tard se justifier
devant la Cour et expliquer pourquoi il
a délibérément décidé de l’ignorer.
Le Ministre palestinien des
affaires étrangères, M. Al-Malki, venait
de rencontrer la Procureure. Que
s’est-il passé ?
Chacun espère que le Ministre
palestinien des affaires étrangères
expliquera ce qui s’est passé dans le
bureau de la Procureure, car les
questions sont lourdes… On ne peut pas
rester dans le non-dit.
Pour dire que la Cour ne serait pas
compétente, la Procureure explique que
la déclaration de compétence de 2009,
confirmée par le ministre de la justice
en 2014, n’est plus valable car la
Palestine est reconnue Etat observateur
à l’ONU en 2012. Si c’est vraiment ça
l’argumentaire, il suffisait de refaire
une nouvelle déclaration de compétence
au greffe de la Cour, qui aurai aurait
rétroagi à 2002, et donc validait la
procédure. Attendons des déclarations
explicites, car à ce stade, c’est
incompréhensible, et ce qui s’est passé
est très choquant.
La décision de la procureure
est-elle un obstacle définitif ?
Non. La Procureure a clairement
excédé les pouvoirs que lui confère le
Statut. Le bureau du Procureur est un
organe de poursuite de la Cour, et ce
n’est pas à lui de déterminer si la Cour
est compétente. Comme je l’ai déjà
expliqué plus haut, c’est une compétence
de la Cour. Je pense qu’il y a eu de la
précipitation. Il faut maintenant
revenir au respect des textes.
Y a-t-il eu dialogue avec la
Procureure ?
Non. Nous lui avons écrit à deux
reprises pour obtenir un rendez-vous, et
organiser le travail pour la bonne suite
de cette plainte. Elle ne nous a pas
répondu, ce qui finit d’enlever toute
valeur à sa décision. Toute personne a
droit à un procès équitable, c’est-dire
à voir sa cause examinée dans la
contraction des arguments. Ici, la
procureure a refusé d’ouvrir le moindre
débat alors que deux hautes autorités
institutionnelles s’adressaient à elle.
Ces autorités l’ont fait dans les plus
grandes difficultés, c’est-à-dire
pendant des bombardements qui les
obligeaient à la clandestinité. Cet
appel à la justice incarnait l’esprit de
résistance à la violence. Leurs bureaux
avaient été bombardés et les victimes
tombaient chaque jour : pour la
procureure, c’était un problème mineur.
Cela montre, aux yeux du grand public,
des dysfonctionnements majeurs dans ce
que doit être la justice internationale.
Si elle continue comme ça, la CPI va
devenir la Cour pénale de l’injustice,
et elle périra. Elle est déjà très
malade.
On dit que le Hamas
s’opposerait à la procédure de crainte
de faire l’objet de poursuites ?
C’est entièrement faux. De longue
date, ces responsables politiques
demandent que la CPI soit saisie. Ils
assument pleinement la manière dont ils
conduisent la Résistance armée pour la
protection du peuple palestinien, un
peuple qui fait face à l’occupation
militaire et à un blocus illégal. Ils ne
redoutent aucune enquête, et au
contraire la demandent, car elle sera
conduite dans le respect de la procédure
internationale, et visera les deux
parties au conflit. Le vrai chiffre du
bilan, c’est 85% de victimes civiles…
C’est ça la marque du crime.
Les puissances occidentales ne
peuvent supporter cette démarche du
Hamas – appeler à la justice
internationale et au procès équitable –
car elle fait s’écrouler toute
l’analyse du « Hamas terroriste
islamiste ». Sur le plan technique, le
Hamas invoque l’article 31.d du statut
sur la légitime défense et l’état de
nécessité. Mais sur le plan fondamental,
le constat est simple : le Hamas en
appelle à la CPI, alors qu’Israël la
rejette. C’est là la base pour une vraie
analyse… Qui redoute l’intervention du
juge ? Pourquoi ?
4
Que faire pour
régulariser ?
La procédure peut être régularisée
par la remise au greffe de la Cour d’une
déclaration de compétence fondée sur
l’article 12.3 du statut. C’est un texte
de trois lignes et une démarche simple,
qui peut être faite par un simple fax.
Cela donnerait immédiatement compétence
à la Cour. Or, c’est urgent, car il faut
constater maintenant les preuves des
crimes, et donner un signal fort à
Israël.
L’autre solution est la signature du
traité, puis la ratification. Le
consensus politique existe désormais,
c’est un processus plus long. Aussi, il
faut signer le traité et rependre cette
déclaration de compétence, pour assurer
la compétence rétroactive de la Cour à
compter de 2002. Face à un argumentaire
au niveau, la Procureure devra
revenir sur son analyse, qui ne tient
pas en droit. Si elle bloque, il suffira
d’une nouvelle déclaration, pour lever
cet obstacle, et aller à l’essentiel :
l’ouverture de l’enquête et la recherche
des preuves.
On lit parfois que le combat
est perdu d’avance car le droit
international est l’outil des grandes
puissances…
De fait, le bilan de la CPI n’est pas
franchement glorieux…. Ceci dit, notre
devoir n’est pas de nous lamenter, mais
d’utiliser au mieux la connaissance
juridique, d’être à l’avant-garde des
procédures pour détruire patiemment,
pièce après pièce, les remparts de
l’injustice.
Pourtant le combat du peuple
palestinien pour vivre sa souveraineté
n’a jamais pu compter sur le droit
international et l’ONU.
C’est exact. Depuis 1947, le Conseil
de sécurité est le calvaire de la
Palestine. Pendant des années, le droit
international n’a été qu’un instrument
de domination. C’était l’achèvement
raffiné du rapport de force : d’abord,
les tanks et l’aviation ; ensuite, la
loi, qui était celle du plus fort. Le
Conseil de sécurité est la
représentation de ce droit des plus
forts. Totalement non-représentatif du
monde de 2014, phraseur et velléitaire,
toxicomane au double standard. Il est en
état de faillite, et la preuve de sa
faillite a un nom : la Palestine.
Pourquoi cela changerait-il ?
On s’était aussi habitué à invoquer
le droit international pour dénoncer
l’injustice. Désormais, les temps
changent. C’est difficile, pas toujours
visible, mais le fait est
incontestable : le droit international
devient un outil que l’on peut retourner
contre les puissants.
Cela se construit par étape, avec
constance, initiative et lucidité. Et
les petits coups tordus qui marquent les
procédures, même s’ils font mal sur le
moment, sont dérisoires au regard de la
force qu’est l’appel à la justice.
5
Que peuvent
faire les citoyens ?
Les pétitions sont très utiles. A ce
jour, nous savons combattre les
obstacles juridiques. Les freins qui
restent sont politiques, et les
politiques sont sensibles à la pression
de l’opinion.
Il va falloir aussi engager des
actions contre les dirigeants
occidentaux, qui font pression sur la
Palestine pour ne pas donner compétence
à la Cour pénale internationale. Les
dirigeants palestiniens évoquent ces
pressions, et chacun peut constater
qu’il n’y a aucune déclaration de
responsables politiques occidentaux pour
soutenir l’action de la Palestine vers
la justice internationale. Pour eux, le
droit est un discours, mais leur
politique est celle de l’oppression.
C’est inacceptable de la part des Etats
européens, qui sont tous membres de la
CPI. Il faut donc lancer un mouvement
pour interroger l’ensemble des
responsables politiques et des
parlementaires sur cette attitude, qui
est scandaleuse.
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