L'actualité du
droit
Réfugiés palestiniens (II) :
Le mandat de 1922, la question
originaire
Gilles Devers
Samedi 8 octobre 2016
La question des réfugiés et du droit au
retour est d’abord une donnée de fait.
Contrairement à l’idée reçue, l’ONU n’a
pas créé Israël par une résolution de
1947. L’ONU ne pouvait pas donner ce qui
ne lui appartenait pas, c’est-à-dire la
souveraineté des Palestiniens sur la
Palestine. Les Palestiniens étaient chez
eux, et ils en ont été chassés par la
force.
A – 1917, la
rencontre de deux histoires
Deux histoires se
sont croisées en 1917, pour le malheur
des Palestiniens.
La première est
celle de la Palestine, une contrée que
l’on retrouve aussi loin qu’on remonte
dans l’histoire, et une province bien
identifiée au début du siècle, la
Palestine étant une ancienne province de
l’Empire ottoman. Pendant la première
guerre Mondiale, les troupes
britanniques sont venues combattre les
armées de l’Empire ottoman, et la
victoire qui se dessinait, posait la
question du devenir de ces provinces
arabes, destinées à l’indépendance.
La charte de la SDN
de 1929 a ainsi instauré le système des
mandats : des puissances européennes se
voyaient reconnaitre un rôle provisoire
de mandataire, pour conduire ces peuples
vers l’indépendance.
Le mandat donné par la SDN au Royaume
Uni sur la Palestine en 1922 établit
de manière certaine l’existence de la
souveraineté palestinienne. Dans l’avis
rendu à propos du mur, la Cour
Internationale de Justice a d’ailleurs
dit que « La Palestine avait fait partie
de l’Empire ottoman » (CIJ, avis, 9
juillet 2004, Conséquences juridiques de
l’édification d’un mur dans le
territoire palestinien occupé, par. 70).
La seconde histoire
est celle du sionisme, à partir de son
acte fondateur qu’est
la déclaration du Congrès de Bâle,
le 29 août 1897, appelant à
l’établissement « pour le Peuple juif
une patrie reconnue publiquement et
légalement en Palestine ». Il s’en était
suivi un activisme certain, mais resté
de faible écho.
Tout a basculé avec
la conjonction d’intérêts en 1917 :
l’Occident a décidé de soutenir le
sionisme pour maintenir un contrôle au
Proche-Orient. Le sionisme est apparu
comme une opportunité inespérée pour les
Britanniques, et avec eux les puissances
occidentales, combattant l’Empire
Ottoman dans les provinces arabes :
c’était le moyen d’assurer une présence
dans cette région, avec des populations
arabes libérées de l’empire.
Le 2 novembre 1917,
au lendemain d’une importante victoire
militaire, Lord Arthur Balfour, le
ministre britannique des Affaires
étrangères, a remis à Lord Rothschild,
représentant de la Fédération sioniste,
une lettre, secrète dans un premier
temps, par laquelle le gouvernement
britannique était d’accord pour créer en
Palestine
un « foyer national juif ». L’accord
était scellé et le reste a été sa mise
en œuvre.
B – Les actes
internationaux
1/ 1919 : La
Charte de la SDN
L’étape suivante a
été, en 1919,
la Charte de la SDN, qui en son
article 22 aliéna 4 instaurait le régime
général des mandats dans l’ancien Empire
ottoman :
« Certaines
communautés, qui appartenaient autrefois
à l'Empire ottoman, ont atteint un degré
de développement tel que leur existence
comme Nations indépendantes peut être
reconnue provisoirement, à la condition
que les conseils et l'aide d'un
Mandataire guident leur administration
jusqu'au moment où elles seront capables
de se conduire seules. Les vœux de ces
communautés doivent être pris d'abord en
considération pour le choix du
Mandataire ».
Pour les autres
provinces arabes, le schéma s’est
déroulé comme prévu, et toutes sont
parvenues, non sans mal, à
l’indépendance. Mais pour la Palestine,
il n’y a pas eu d’indépendance car le
régime général du mandat a été amendé
pour concrétiser l’accord de 1917 : le
sionisme pour garantir les intérêts
occidentaux. Rien ne pouvait être fait
avec franchise, du fait de la
souveraineté palestinienne sur la
Palestine. Aussi, le schéma a été de
créer le cadre qui allait permettre le
coup de force.
2/ 1920 : Le
Traité de Sèvres
La première étape
est l’article 95 du Traité de Sèvres du
10 août 1920, traitant de la fin de
l’Empire ottoman. Ce texte identifie la
Palestine et mentionne l’engagement de
Balfour :
« Les Hautes
Parties contractantes conviennent de
confier, par application des
dispositions de l'article 22,
l'administration de la Palestine, dans
les limites qui peuvent être déterminées
par les Principales Puissances alliées,
à un mandataire qui sera choisi par
lesdites puissances. Le Mandataire sera
responsable de la mise en vigueur de la
déclaration originairement faite le 2
novembre 1917 par le gouvernement
britannique et adoptée par les autres
Puissances alliées, en faveur de
l'établissement en Palestine d'un foyer
national pour le peuple juif, étant
clairement entendu que rien ne sera fait
qui puisse porter préjudice aux droits
civils et religieux des communautés non
juives en Palestine, ni aux droits et au
statut politique dont les Juifs
jouissent dans tout autre pays ».
Ce traité ne sera
pas ratifié par les instances de la
nouvelle Turquie, et le
traité de Lausanne, du 24 juillet 1923,
lui succèdera (). Mais entre temps, la
SDN avait validé le mandat sur la
Palestine.
3/ 1922 : Le
mandat britannique sur la Palestine
Le mandat par lequel la SDN confie
la gestion de la Palestine au Royaume
Uni date du 24 juillet 1922. Le Royaume
Uni doit conduire vers l’indépendance,
mais le mandant mentionne la déclaration
de Balfour, et prévoit que le
Royaume-Uni aura aussi :
« La responsabilité
d’instituer dans le pays un état de
choses politique, administratif et
économique de nature à assurer
l’établissement du foyer national pour
le peuple juif »
Un foyer national ?
La notion restait à définir, mais le
mandat souligne que ce projet, par
prudence rédactionnelle, ne pourra «
porter préjudice aux droits civils et
religieux » des autres communautés.
Surtout, l’article 5 protège l’intégrité
du territoire :
« Le mandataire
sera responsable de veiller à ce
qu’aucun territoire palestinien ne soit
cédé ou abandonné, ni en aucune manière
placé sous le gouvernement d’une
quelconque puissance étrangère. »
Le mandat n’est que
d’administration, et ne pourra non plus,
et en aucune manière, modifier la
substance de la souveraineté, dans les
limites territoriales fixées par un
mémorandum britannique du 16 septembre,
et correspondant aux limites de
l’ancienne province de l’empire ottoman
(CIJ, avis, 9 juillet 2004, mur, par.
70)
Les textes du droit
applicable en Palestine montre que
l’ordre juridique palestinien était déjà
pleinement structuré à l’époque, et
respecté par le mandataire, comme il
résulte d’une importante publication
juridique : Principal Order of August
10, 1922, Statutory Rules and Orders,
1922 (n° 1282), p. 362 (the principal
Order came into force September l, 1922,
on publication in the Official Gazette
of that date) ; Palestine (Amendment)
Order in Council of May 4, 1923, ibid.,
1923 (n°. 659), p. 339; Order of
February 7, 1933, ibid., 1933 (n° 312),
p. 841, Order of February 21, 1935,
ibid., 1935 (n°. 151), p 520 ; Order of
May 25, 1939, ibid., 1939 (n°. 603), II,
p. 165 ; Order of December 4, 1940,
ibid., 1940 (n° 2112), I, p. 4.03;
Order of December 19, 1947, ibid., 1947
(n°. 2770), I, p. 801; and Palestine (Revocations)
Order in Council of May 12, 1948 (which
came into operation on May 14, 1948),
Statutory Instruments, 1948 (n° 1004).
The Palestine Order in Council of
January 26, 1948 (ibid., 1948, n° 106)
was revoked by the Order in Council of
May 12, 1948.
C – La pratique
juridique sous le mandat
Parmi une
documentation très fournie sur le droit
applicable pendant la période du mandat,
trois points méritent ici d’être
relevés.
L’élément central
est la sentence arbitrale sur la dette
publique ottomane, du 18 avril 1925,
requise par le Conseil de la Société des
Nations qui reconnaît la Palestine comme
Etat. Cette analyse se trouve confirmée
par les trois cours suprêmes les plus
impliqués et par le Royaume Uni à la fin
de son mandat.
1/ Affaire de la
dette publique ottomane (Sentence
arbitrale du 18 avril 1925)
La question posée
est celle de la dette publique ottomane,
qui au début des années 1920 doit être
partagée entre la Turquie et les
« territoires détachés de l’Empire
Ottoman », à la suite du processus
enclenché par le traité de Lausanne du
24 juillet 1923. L’arbitre a été saisi
par le Conseil de la Société des
Nations. Les parties à l’arbitrage
sont, sur un pied d’égalité, la Turquie,
la Bulgarie, la Grèce, l’Italie, l’Irak,
la Transjordanie et la Palestine
(Affaire de la Dette publique ottomane
(Bulgarie, Irak, Palestine,
Transjordanie, Grèce, Italie et
Turquie), 18 avril 1925, Recueil des
sentences arbitrales, vol. I p. 529-614.
Désignation le 10 décembre 1924, par le
Conseil de la SDN, en vertu dudit art.
47, dernier alinéa, par un vote
unanime).
L’arbitre met sur
le même plan l'Irak, de la Palestine et
de la Transjordanie, comme Etats placés
sous mandat britannique. Plus loin,
l’arbitre écrit : « L'Irak est un
Royaume, à l'égard duquel la
Grande-Bretagne a assumé des
responsabilités équivalant à celles
d'une Puissance mandataire. Sous le
mandat britannique, la Palestine et la
TransJordanie ont chacune une
organisation entièrement distincte. On
est donc en présence de trois Etats
suffisamment séparés pour être
considérés ici comme Parties
distinctes ». L’arbitre explique comment
in répartira les frais entre les neuf
parties concernées : « Le nombre des
Parties à considérer ici est donc de
neuf. L'Arbitre estime ne pas être
autorisé à faire entre Elles une
distinction au point de vue de leur
importance et à consacrer ainsi, même en
simple apparence, une inégalité qui
n'existe pas entre Elles ».
2/ La
confirmation par la jurisprudence
Cette analyse
fondatrice se retrouve dans la
jurisprudence des cours suprêmes les
plus impliquées : la Palestine, le
Royaume Uni et l’Egypte.
Pour la Haute Cour
de Justice de la Palestine les sujets du
territoire sous mandat de la Palestine
ne sont pas devenus des sujets
britanniques. La même solution est
retenue par la Court of criminal appeal
of Great Britain, le 21 Février 1939. Un
homme né à Jérusalem en 1911, détenteur
d'un passeport intitulé « British
Passport-Palestine » émis par le
haut-commissaire britannique en
Palestine, n’a pas acquis la
nationalité, car le Royaume-Uni est
simple administrateur
(Attorney-General v. Goralschwili,
McNair et Lauterpacht annuel, Recueil de
jurisprudence sur le droit international
public pour 1925-1926, p. 47).
Dans une affaire
jugée le 17 juin 1942, la Cour de
cassation d’Egypte avait retenu la
responsabilité, dans un accident, de
l'Administration des Chemins de fer de
Palestine, soulignant que ce service
était distinct de l’Etat, qui lui,
bénéficie de l’immunité de juridiction »
(Egyptian Mixed Court of Cassation June
17 1942, Bulletin de Législation et de
Jurisprudence Egyptiennes, vol. 54
(11941-1942), p. 243. Présentation de
l’affaire dans International Law Report
1951, by H. Lauterpacht p. 146).
3/ L’analyse du
mandataire
Le 18 février 1947,
le secrétaire d’Etat britannique aux
affaires étrangères, devant la Chambre
des communes, a reconnu être dans
l’incapacité d'imposer une solution de
partage, en retenant l’existence de
« deux communautés en Palestine », la
souveraineté palestinienne n’étant pas
discutable :
« His Majesty's
Government have .... been faced with an
irreconcilable conflict of principles.
There are in Palestine about 1,200,000
Arabs and 600,000 Jews. For the Jews,
the essential point of principle is the
creation of a sovereign Jewish State.
For the Arabs, the essential point of
principle is to resist to the last the
establishment of Jewish sovereignty in
any part of Palestine. The discussions
of the last month have quite clearly
shown that there is no prospect of
resolving this conflict by any
settlement negotiated between the
parties. But if the conflict has to be
resolved by an arbitrary decision, that
is not a decision which His Majesty's
Government are empowered, as Mandatory,
to take. His Majesty's Government have
of themselves no power, under the terms
of the Mandate, to award the country
either to the Arabs or to the Jews, or
even to partition it between them.
It is in these
circumstances that we have decided that
we are unable to accept the scheme put
forward either by the Arabs or by the
Jews, or to impose ourselves a solution
of our own. We have, therefore, reached
the conclusion that the only course now
open to us is to submit the problem to
the judgment of the United Nations. We
intend to place before them an
historical account of the way in which
His Majesty's Government have discharged
their trust in Palestine over the last
twenty-five years. We shall explain that
the Mandate has proved to be unworkable
in practice, and that the obligations
undertaken to the two communities in
Palestine have been shown to be
irreconcilable. We shall describe the
various proposals which have been put
forward for dealing with the situation,
namely, the Arab Plan, the Zionists'
aspirations, so far as we have been able
to ascertain them, the proposals of the
Anglo-American Committee and the various
proposals which we ourselves have put
forward. We shall then ask the United
Nations to consider our report, and to
recommend a settlement of the problem.
We do not intend ourselves to recommend
any particular solution.” (The
Political History of Palestine under
British Administration, Establishment of
British Administration, London 1947,
Reproduction by Permission of the
Buffalo & Erie County Public Library
Buffalo, NY (Heinonline).
Ainsi, la Palestine
existait, et elle appartenait aux
Palestiniens. Pour répondre aux vœux du
sionisme, et envisager la création d’un
Etat, il aurait fallu que les
Palestiniens cèdent une part de leur
inaliénable souveraineté. C’était
impensable. A l’opposé, les Palestiniens
auraient-ils pu se dresser contre cette
clause du mandat ? Vu les réalités
géopolitiques du moment, c’était
impossible, et au surplus cette notion
de « foyer national juif », avec respect
des droits des populations et des
frontières pouvait être considéré comme
un projet limité. En réalité, le but
étant la création d’un Etat, les années
1922 – 1948 ont été mises à profit par
le camp occidental pour préparer le
terrain au coup de force.
La Clé du Retour, à
l’entrée du camp de réfugiés d’Aida, à
Bethléem
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