Actualités du
droit
La prison de Khiam :
Visite sur le lieu d’un crime israélien
Gilles Devers
Lundi 5 mai 2014
Il est par
hypothèse bien difficile de visiter les
prisons israéliennes dédiées à la
Résistance arabe, car elles sont toutes
sur le territoire d’Israël. En violation
de la IV° convention de Genève (Art.
76, 4° alinéa) et du statut de la
Cour pénale internationale (art. 8,
2, b, viii) les dirigeants d’Israël
ont toujours procédé au transfert des
résistants arabes sur leur territoire,
pour les interroger, les juger et les
garder détenus. C’est dire qu’avant même
de se poser des questions sur la
conformité des procédures au
droit (CPI, art. 8, 1, a, vi et
art. 8, 1, a, ii), le crime de
guerre est déjà établi. Le fait est
indéniable, mais que ne pardonnerait-on
pas à la seule démocratie du
Proche-Orient…
Aussi, la visite de
la prison de Khiam dans le Sud-Liban est
d’autant plus importante. Israël a
depuis bombardé le site, pour le
détruire à 90%, mais passer quelques
heures sur place, avec les explications
d’anciens détenus, permet d’en savoir
bien assez sur ce crime d’Etat.
Non-droit absolu
Cette prison était
à l’origine une caserne, construite en
1933, du temps du mandat français, sur
un promontoire qui domine le Sud-Liban.
C’est lors de l'occupation du Sud du
Liban, de 1982 à 2000, qu’Israël en a
fait une prison dédiée à la résistance
libanaise. Au fils du temps, environ 150
personnes y étaient détenues, des
hommes, des femmes et des enfants. Au
total 5000 personnes, souvent pour de
longues années,… et aucune d’elle n’a
été jugée.
L’encadrement était
le fait d’officiers israéliens, et le
fonctionnement reposait sur la sinistre
ALS, l'Armée du Liban-Sud, une milice
sous-traitante de l’armée israélienne,
prête à tout, comme le sont les
traitres.
Khiam était une
zone de non-droit absolu : torture
systématique, conditions inhumaines de
détention, isolement total, privation de
lumière, pas de visite, pas d’avocat,
pas de juge, pas de correspondance… et
pas de procès. Si pour certains le
séjour était court, car il fallait
intimider, la plupart des détenus l’ont
été pour de longues périodes, souvent
plus de dix ans… et sans aucun jugement.
Un ordre militaire, resté secret,
suffisait.
Après dix ans de
clandestinité, l’intervention du CICR
Bien protégé par le
camp occidental, haut défenseur des
valeurs, Israël a menti effrontément
pendant plus de dix ans en niant
l’existence de cette prison. C’était
simplement un centre pour gérer les
arrestations… Ajoutez quelques
expressions outragées pour contester la
propagande de Résistance libanaise, ces
terroristes… En 1989, les détenus
avaient engagé un mouvement de
protestation pour obtenir la visite du
CICR, aussitôt réprimé par deux
exécutions. Les démarches insistantes du
Comité international de la Croix-Rouge
(CICR) ont fini par payer, et en 1995 le
CICR a pu effectuer une première visite.
Il s’attendait à l’horreur, et il a vu
pire.
L'un des caissons, pour
l'isolement
Un détenu pouvait rester des
journées entières dans ces coffres
Une cellule collective pour
hommes
Soha Bechara
La résistante
Soha Bechara a passé dix ans à Khiam.
Militante du Parti communiste, elle
avait tenté 7 novembre 1988, d’abattre
Antoine Lahad, ce général dévoyé qui
dirigeait l’ALS. Elle a vécu six ans à
l’isolement, dans une cellule
d'isolement mesurant 1,80 m de long sur
80 cm de large, avec d’incessants
interrogatoires sous la torture :
« L’électricité, les tuyaux, l’eau… des
décharges électriques durant quatre
heures d’affilée. On ne peut que crier
dans ces moments-là ». Un jour, ils ont
amené sa mère pour qu’elle assiste aux
tortures de la fille. A-t-elle pleuré
durant ces dix ans ? « Oui, j’ai pleuré
quand cette mère et ce bébé criaient
parce qu’on les séparait, et aussi quand
on entendait les hurlements des hommes
et des femmes en train d’être torturés.
Pour les hommes, c’était horrible. A
Khyam, la torture est hors de pensée ».
En haut de la photo, la partie
préservée, qui était le quartier des
femmes
Suleiman Ramadan
Suleiman Ramadan a
été arrêté le 17 septembre 1985,
grièvement blessé lors d'une opération
militaire. D’abord transféré à l’hôpital
militaire de Haïfa, où il a du être
amputé d’une jambe, il est revenu le 27
octobre 1985 à Khiam, pour 73 jours
d’interrogatoire sous la torture, les
menottes aux poings, la tête toujours
couverte d'un sac, installé sur un
chariot dans un couloir, sans aucun soin
pour ses blessures : «De faim, je
mangeais mes ongles et la peau de mes
doigts. Mais cela n'était rien par
rapport aux brutalités et à la torture
qui tombait à n'importe quel moment».
Suivra la cellule : neuf mois passés
dans une cellule d'isolement de 90 cm
sur 90 cm, puis à sept dans une cellule
de 2,25 m sur 2,25 m : « C’était
l’enfer. Nous étions privés de tout.
C'était le règne de la maladie et de la
faim. Les douches que nous prenions
étaient parfois espacées de deux mois».
Après la visite du
CICR, ont été lâchées quelques
améliorations minimales d’hygiène, comme
un point d’eau dans les cellules, et le
rétablissement des correspondances. Dans
la première lettre qu'il a reçue de sa
famille, uleiman Ramadan a trouvé une
photo de son neveu. «En voyant cet
enfant, j'ai su que j'existais en tant
qu'être humain. C'est la plus grande
joie de ma vie. Même à la libération, je
n'ai pas ressenti cette joie-là ».
Libération en mai 2000…
En mai 2000, la
Résistance libanaise a gagné. Israël a
dû se retirer du Liban, les miliciens de
l’ASL se sont liquéfiés et dans la
foulée la prison de Khiam a été prise
d’assaut : 145 prisonniers ont retrouvé
la liberté.
Depuis, cette
prison était devenu un mémorial, ouvert
au public. Tout était resté, comme figé
dans le temps de tortionnaires.
… et bombardement en
juillet 2006
Le 25 juillet 2006,
lors de la «guerre de 34 jours» entre
Israël et le Hezbollah au Liban,
l’aviation israélienne a largué une
bombe guidée sur le site, qui n’était en
rien un objectif militaire, et a
pratiquement tout détruit. Quatre bérets
bleus de l’ONU – un Autrichien, un
Canadien, un Chinois et un Finlandais –
qui étaient de permanence ont été tués.
L’ONU a ouvert une
enquête, et Israël a reconnu une
« erreur au niveau opérationnel ».
C’était le geste du
criminel qui veut faire disparaitre les
traces de son crime. Sauf que les crimes
commis à Khiam sont entrés dans
l’histoire, et que reste-t-il comme
pensée à celui qui veut détruire les
lieux de mémoire ?
Voici deux vidéos.
La première
Khiam ou le temps égrené au Sud-Liban
est signée Jean-Marc Sroussi. Elle
traite spécifiquement de la prison, et
comme elle a été tournée en février
20026, on peut voir la prison avant son
bombardement.
La seconde est un
reportage publié par Temps Présent,
l’émission de la RTS,
Soha, retour au pays du Hezbollah,
tournée en octobre 2006. Un bon
reportage, qui fait comprendre ce
qu’était la vie à Khiam, et qui pose
très correctement le cadre de ce qu’est
la Résistance libanaise, avec le rôle
clé du Hezbollah, diabolisé chez nous,
mais là-bas pièce essentielle, et
respectée, de la défense du peuple
libanais.
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