L'actualité du
droit
La justice est en grave danger,…
et ce sont les juges qui le disent
Gilles Devers
Pierre-Paul Prud’hon,
La
Justice et la Vengeance divine
poursuivant le Crime,
1808
Jeudi 4 février 2016
Sous Hollande, et après le
travail de sape de Valls, de
l’icône et de Cazeneuve, l’accès des
citoyens à un juge indépendant et
impartial n’est plus assuré. Ce n’est
pas le blog qui le dit, ni un syndicat,
mais la réunion, dans un unanimisme
inédit, du premier président de la Cour
de cassation et des premiers présidents
des cours d’appel, depuis le site de la
Cour de cassation. Hier soir, ça ne
faisait pas la une des plateaux-télé,
mais ne vous trompez pas : cette
déclaration est d’une importance
considérable pour ceux qui estiment que
l’État de droit reste encore notre
référence, et qu’il n’a pas sombré
devant les vicieuses raisons de l’État
sécuritaire.
Les magistrats, et surtout les
juges du siège, sont tenus à une stricte
obligation de réserve, laquelle joue
particulièrement pour les chefs de
juridiction. C'est dire si l'acte est
déterminé. De plus, cette déclaration
est inconcevable sans un consensus avec
les magistrats des cours, les présidents
des tribunaux, et le Parquet. Ce texte
révèle un véritable séisme.
Deux données fondent de cet
appel, qui est fondateur.
La première est liée à la
lassitude de voir des gouvernements qui
n’ont à la bouche que le mot-tirroir
« valeurs de la République » mais qui
refusent de donner au ministère de la
Justice les moyens de son
fonctionnement, par des apports
budgétaires, l’indépendance du Parquet
et une vraie réforme du Conseil
Supérieur de la Magistrature. Des
décennies de promesses, des discours à
en être saoulé, et rien de concret,
laissant la justice française à
l’épreuve des condamnations de la Cour
Européenne des Droits de l’Homme.
Le second volet est plus
circonstanciel, mais il a été décisif
dans cette déclaration. C’est ce que le
texte appelle « des réformes et projets
législatifs en cours », à savoir la loi
du 20 novembre 2015 qui élargit les
méthodes de l’état d’urgence, et
le projet de loi qui va inscrire
dans le Code de procédure pénale les
méthodes de l’état d’urgence, pour
le pérenniser. Fait significatif, cette
déclaration est intervenue 48 heures
avant que le Conseil d’État
valide le projet de loi, lequel
conforte le rôle du Conseil d’État.
Pour les non-juristes, cela
peut paraître de l’argutie. En réalité,
et quelques soient les critiques qu’un
avocat puisse faire sur les retards et
déboires de l’autorité judiciaire, il
est essentiel pour l’avenir de nos
libertés dans les décennies qui viennent
– donc la vie de nos enfants – de faire
des choix justes : Où situez-vous la
balance entre l’ordre et les libertés ?
Voulez-vous que les juges soient
indépendants et impartiaux ? Pensez-vous
que la société de demain va se forger
grâce
au contrôle et à la répression, ou
par l’attachement viscéral aux droits et
libertés ?
DELIBERATION COMMUNE DU PREMIER
PRESIDENT DE LA COUR DE CASSATION
ET DES
PREMIERS PRESIDENTS DES COURS D’APPEL
ADOPTEE
LE 1ER FEVRIER 2016
En ce début du XXIe siècle, la
place faite à l’Autorité judiciaire au
sein des institutions de la République
suscite de légitimes et graves
interrogations.
Le rôle constitutionnel de
l’Autorité judiciaire, gardienne de la
liberté individuelle, est affaibli par
des réformes et projets législatifs en
cours.
Les mises en cause répétées de
l’impartialité de l’institution et de
ceux qui la servent portent atteinte à
leur crédit et à la confiance que
doivent avoir les citoyens dans leur
Justice. La complexité de notre
organisation juridictionnelle manque de
lisibilité pour nos concitoyens.
Sans doute est-il temps que le
constituant intervienne pour reconnaître
et asseoir effectivement l’Autorité
judiciaire dans son rôle de garant de
l’ensemble des libertés individuelles,
au-delà de la seule protection contre la
détention arbitraire.
La pénurie persistante de ses
moyens matériels et humains ne lui
permet plus de remplir ses missions et
conduit les chefs de juridiction à
donner priorité au traitement de
certains contentieux, en contradiction
avec le principe d’égalité.
Il est ainsi devenu
indispensable, non seulement de porter
le budget de la justice judiciaire à la
hauteur de ses missions, de revoir
l’organisation des juridictions et de
moderniser les procédures et voies de
recours, mais également d’engager une
réforme d’envergure de nature à
garantir, de manière indiscutable et
perceptible pour l’ensemble de la
société, que l’Autorité judiciaire soit
soustraite à toute forme d’influence.
Les premiers présidents des
cours de l’ordre judiciaire sont d’avis
que cette réforme doit conduire à un
renforcement des pouvoirs du Conseil
supérieur de la magistrature.
Ils appellent solennellement
toutes les autres autorités de l’Etat à
engager ces réflexions et soulignent
l’urgence qui s’attache à proposer des
réformes qui garantissent, en toute
circonstance, à nos concitoyens, l’accès
à un juge indépendant et impartial.
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