Chronique de
Palestine
Allez donc à Gaza, plutôt qu’à Tel Aviv !
Gideon Levy
Dans sa campagne de bombardements en
décembre 2008 et janvier 2009,
Israël a
massacré plus de 500 enfants dans la
bande de Gaza - Photo : Archives
Dimanche 26 janvier 2020 On n’y trouve
pas d’holocauste, seulement l’apartheid.
Pas d’anéantissement, mais le traitement
brutal et systématique de toute une
nation. Ce n’est pas Auschwitz, mais
c’est Gaza.
Il est très
important de se souvenir du passé; il
est tout aussi important de connaître le
présent sans fermer les yeux.
Les dizaines
d’hommes d’État arrivés en Israël
mercredi peuvent se souvenir du passé,
mais ils brouillent le présent. Dans
leur silence, dans leur mépris de la
réalité en se mettant
inconditionnellement en file aux côtés
d’Israël, ils ne trahissent pas
seulement leurs fonctions, mais ils
trahissent également la mémoire du passé
au nom duquel ils sont venus ici.
Être les invités
d’Israël sans mentionner ses crimes;
commémorer l’Holocauste tout en ignorant
ses leçons; visiter Jérusalem sans se
rendre dans le ghetto de Gaza le jour du
souvenir international de l’Holocauste…
Comment imaginer plus grande hypocrisie.
Il est positif que
des rois, des présidents et autres
notables se soient déplacés en l’honneur
de ce jour du souvenir. Il est
déplorable qu’ils ignorent ce que les
victimes de l’Holocauste infligent à une
autre nation.
La ville d’Erevan
ne sera jamais témoin d’un rassemblement
aussi impressionnant pour commémorer
l’holocauste arménien. Les dirigeants
mondiaux ne viendront jamais à Kigali
pour marquer le génocide qui s’est
produit au Rwanda.
L’Holocauste était
en effet le plus grand crime contre
l’humanité jamais commis, mais ce
n’était pas le seul. Et les Juifs et
l’État d’Israël savent bien comment
sacraliser sa mémoire et
l’instrumentaliser à leurs propres fins.
En cette Journée
internationale de commémoration de
l’Holocauste, les dirigeants mondiaux
sont les invités d’un Premier ministre
israélien qui, à la veille de leur
visite, a appelé à des sanctions –
croyez-le ou non – contre la Cour pénale
internationale de La Haye, héritage
pourtant des tribunaux créés pour juger
les crimes de la Seconde Guerre
mondiale.
En ce jour de
commémoration, les dirigeants de la
planète rendent visite à un Premier
ministre qui essaie de les exciter
contre le tribunal de La Haye. Il est
difficile de penser à une exploitation
plus choquante de l’Holocauste, comme il
est difficile de concevoir une plus
grande trahison de sa mémoire que la
tentative de saper le tribunal de La
Haye uniquement parce qu’il souhaite
remplir son rôle et enquêter sur
Jérusalem.
Les invités
garderont également leur silence sur
cette question. Certains d’entre eux
peuvent être convaincus que le problème
est à La Haye, pas en Israël. Des
sanctions contre le tribunal plutôt que
contre l’État occupant !
Sans l’Holocauste,
les Palestiniens n’auraient pas perdu
leurs terres et ne seraient pas
emprisonnés aujourd’hui dans un
gigantesque camp de concentration à Gaza
ou condamnés à vivre sous une occupation
militaire brutale en Cisjordanie.
Évidemment, il ne
faut jamais oublier l’Holocauste. Il ne
faut pas non plus estomper le fait qu’il
était dirigé contre le peuple juif. Mais
précisément pour cette raison même, il
ne faut pas ignorer la conduite de ses
victimes envers les victimes indirectes
de l’Holocauste des Juifs, le peuple
palestinien.
Lorsqu’aujourd’hui
ils récitent ad nauseam « plus
jamais ça », il faut honnêtement tourner
son regard au sud et à l’est, à
seulement quelques kilomètres de la
salle commémorative de Yad Vashem. On
n’y trouve pas d’holocauste, seulement
l’apartheid. Pas d’anéantissement, mais
le traitement brutal et systématique de
toute une nation. Ce n’est pas
Auschwitz, mais c’est Gaza.
Comment est-il
possible d’ignorer cela lors de la
Journée internationale du souvenir de
l’Holocauste ?
Il est difficile de
croire que cela ne soit même pas venu à
l’esprit d’un seul des dirigeants venus
en Israël, de se rendre à Gaza après la
cérémonie. Si l’un d’eux avait eu le
courage de le faire, il aurait honoré la
mémoire de l’Holocauste tout autant
qu’en visitant Yad Vashem.
Il n’y a pas
beaucoup d’endroits dans le monde où les
mots « plus jamais ça » devraient
résonner autant que dans les limites de
cet immense ghetto, créé par l’État des
survivants de l’Holocauste. Ne pas aller
à Gaza et voir ce qui se passe là-bas ?
Ne pas vous identifier au sort de deux
millions d’êtres humains enfermés dans
un camp de concentration depuis 14 ans,
à une heure de route de Jérusalem ?
Comment est-ce possible ? Ne pas crier
« plus jamais » à Gaza ? Comment ne le
peuvent-ils pas ?
Quelques dirigeants
ont apparemment équilibré leur visite
ici avec une visite brève et
cérémonielle à Ramallah, y compris une
séance photo avec Mahmoud Abbas, qui est
également la cible des protestations
d’Israël.
Ce type de visite
n’a aucune signification. Ramallah ne
détermine pas le sort du peuple
palestinien. Son sort est fixé dans
l’enceinte du gouvernement à Jérusalem
et dans l’enceinte de l’establishment
de la défense à Tel Aviv.
Il fallait venir en
Israël aujourd’hui pour rappeler au
monde l’Holocauste, mais aussi le
silence. Contre ce silence, il faut
aussi crier : Plus jamais !
L’Holocauste ne se
répétera peut-être jamais, mais le
silence honteux continue, y compris en
ce jour de commémoration à Jérusalem.
* Gidéon Lévy
: Né en 1955, à Tel-Aviv, est
journaliste israélien et membre de la
direction du quotidien Ha’aretz. Il vit
dans les territoires palestiniens sous
occupation.
23 janvier 2020 –
Palestine24 Post – Traduction :
Chronique de Palestine
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