Actualité
« Bienvenue à la cour militaire
d’Israël,
le meilleur show de la ville »
Gideon Levy
Jeudi 23 février 2017
Rien n’est plus israélien que ce
tribunal qui, à un militaire ayant
assassiné un Palestinien de sang-froid,
inflige une sentence qui conviendrait à
un voleur de bicyclette.
Plus
national que le théâtre Habima, plus
populaire que le théâtre populaire de
feu Avraham Deshe (Pashanel), plus
représentatif que la Knesset et plus
révélateur que les sondages – bienvenue
au théâtre des Forces de défense
israéliennes (*) qui fait office de
tribunal militaire. Voici le reflet le
plus authentique de la société : la
véritable Haute Cour de justice du pays.
C’est
une production épique avec des douzaines
de figurants ; les critiques sont
flatteuses et le public est déchaîné.
Les costumes (des uniformes des FDI)
n’ont rien de spécial, pas plus que la
mise en scène, l’éclairage ou les
maquillages – une propriété d’« absent »
à Jaffa ou une caserne à la Kirya (QG de
l’armée), des néons et des bancs
métalliques. Mais la pièce est
excellente – très actuelle et
pertinente, représentative et
révélatrice – et le dénouement en est
toujours prévisible.
Rien
n’est plus israélien que ce tribunal, et
rien n’est plus authentique que sa
sentence,
dans le cas du militaire Elor Azaria.
Une fois de plus, nous nous retranchons
derrière notre autosatisfaction, une
fois de plus, c’est une imposture, une
façade de procès régulier, avec une
défense, un procureur et un
réquisitoire. Une fois de plus, c’est le
meilleur show de la ville et, une fois
de plus, l’injustice flagrante est
présence sans que nous la ressentions,
exactement comme l’aiment les
Israéliens.
Ce
dont les Israéliens raffolent le plus,
c’est d’avoir leur gâteau et de le
manger, et qui sait mieux que le
tribunal militaire comment leur servir
la marchandise ? Un jugement vibrant sur
« la valeur du caractère sacré de la
vie » et une sentence qui
conviendrait à un voleur de bicyclette.
Nous
n’avons pas besoin de La Haye : nous
avons la Kirya. Les faits sont ceux-ci :
un militaire qui a tué de sang-froid et
avec préméditation – pour ne pas dire
« assassiné » – un Palestinien déjà
moribond, a été jugé ensuite et a même
été condamné. Dans quel autre endroit du
monde pouvez-vous trouver ce genre de
chose ? En Amérique ? En Europe ?
L’armée la plus morale du monde,
assurément la plus morale. Bravo les
FDI et leur système judiciaire !
Voilà
comment la plupart des Israéliens
aimeraient voir leurs juges :
s’exprimant avec pathos sur la justice
et sur l’égalité – à condition qu’elles
s’appliquent aux seuls Juifs.
S’exprimant sur le caractère sacré de la
vie – mais en calculant que la vie d’un
Palestinien a moins de valeur que celle
d’un chien (israélien). Voilà exactement
ce que le verdict d’Azaria leur a donné.
Azaria
a quitté le tribunal comme un héros
national, dans un pays où tout individu
qui tue un Arabe est perçu comme un
héros et où il n’y a pour ainsi dire pas
de héros qui n’aient tué des Arabes. Une
fois de plus, le tribunal a dit aux
Israéliens ce qu’ils voulaient
entendre : les vies palestiniennes sont
de la camelote sans valeur ; ce sont des
soldes de fin de saison.
Il
s’agit de la même cour qui a jugé des
centaines de Palestiniens avec sévérité
et cruauté durant des dizaines d’années
d’occupation. Avec de plus en plus de
juges (et de procureurs) qui sont des
colons, des inconditionnels des lois
internationales et de l’égalité devant
la loi, ce tribunal militaire, qui siège
en territoire occupé, est en Israël le
perpétrateur le plus raffiné de
l’apartheid. Là-bas, à la base militaire
d’Ofer et à la prison d’Etzion, loin des
regards curieux, il y a une loi pour les
Juifs et une autre pour les Arabes,
qu’on le veuille ou non.
En
cela aussi, ce tribunal est le reflet de
la société bien plus que ne l’est la
Cour suprême de Jérusalem. Un Azaria
palestinien aurait naturellement été
condamné à la prison à vie à l’issue
d’un procès bâclé, sans qu’on parle de
« la détresse de sa famille », sans
qu’on dise de lui qu’il était « un
excellent soldat », qu’il avait un
« casier vierge » et qu’il
bénéficiait également de
« circonstances atténuantes », sans
que l’on se demande ce qui a pu lui
passer par la tête ou ce qui était
advenu au cours de son existence.
Cette
institution sait également comment
récompenser généreusement et protéger
les soldats et les officiers des FDI,
exactement de la façon dont les gens
veulent qu’elle le fasse et comme ses
commanditaires s’attendent à ce qu’elle
le fasse, et elle sait aussi comment
transformer ses procès en une perversion
de la justice. Il n’y a que de ce
tribunal qu’un officier supérieur comme
Ofek Buchris, qui était accusé de viol
et de sodomie, a pu sortir avec la
sentence draconienne consistant à être
rétrogradé d’un grade. Voilà la cruauté
avec laquelle le tribunal l’a traité.
De
même que l’orchestre des FDI n’en
est pas un et qu’Army Radio n’a
rien d’un organe médiatique, ce tribunal
n’est pas un tribunal. Mais il est
encore plus corrupteur que les deux
premiers exemples : Il envoie ses
métastases démobilisées dans le système
judiciaire civil.
Le
procureur général Avichai Mendelblit est
sorti de cet environnement pourri, de
même que certains juges, dont certains
de la Cour suprême, qui sont convaincus
d’avoir servi la justice, durant toutes
ces années. Ils portent en eux les
glorieuses traditions judiciaires des
constructions préfabriquées d’Ofer et
ces traditions leur collent à la peau à
tout jamais.
Publié
le 23 février 2017 sur Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal
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