Ha'aretz
Ce n’est jamais la faute d’Israël : deux
enfants de Gaza ont été tués et leur
histoire ne suscite qu’indifférence
Gideon Levy
Dimanche 20 mars 2016
Il n’est pas difficile d’imaginer ce qui
se serait passé si le Hamas avait tué
deux enfants – un frère et une soeur –
avec un tir de Qassam.
Elle avait 6 ans, lui, 10. Frère et
sœur. Sont-ils morts pendant leur
sommeil ? Se sont-ils éveillés juste
avant que le missile ne frappe leur
maison ?
Ont-ils entendu l’avion et ont-ils
été effrayés avant de mourir ? Ou même :
ont-ils essayé de fuir ? Pouvaient-ils
aller quelque part ? Que faisaient-ils
avant d’aller au lit la dernière nuit où
ils ont été vivants ? Ont-ils rêvé de
quelque chose, durant leur dernière
nuit ? Avaient-ils des rêves ?
Israa et Yassin, une fille et
un garçon, frère et sœur. C’était dans
la nuit de vendredi à samedi, dans la
Bande de Gaza.
La nuit de vendredi à samedi dans la
Bande de Gaza. 2 h 30 du matin. Beit
Lahia, qui souffre depuis longtemps et
qui est toujours très marquée par les
bombardements, s’est éveillée dans la
peur panique que provoque chaque fois le
vrombissement de mauvais augure d’un
avion. Mon ami M. m’a dit que ses
enfants avaient sauté du lit tellement
ils avaient eu peur.
Israël était en train de se venger de
quatre tirs de roquettes Qassam sur
son territoire quelques heures plus tôt.
Les roquettes étaient retombées dans des
zones non habitées et n’avaient provoqué
aucun dégât. Entre vendredi et samedi,
dans la Bande de Gaza, les forces
aériennes israéliennes
ont visé quatre cibles, les
« installations terroristes du Hamas ».
L’avion a survolé Beit Lahia, et le
pilote a largué ses bombes. Les frappes
ont fait mouche. L’écran de l’appareil
n’a montré ni Yassin mort, ni Israa en
train de mourir.
L’une des installations terroristes
était la maison d’Israa et Yassin Abu
Khoussa. « Maison » est un
terme éxagéré. Un semblant de toit
d’amiante, des vêtements rapiécés sur le
seuil de la fenêtre, de minces matelas
posés à même le sol et recouverts de
couvertures à bon marché, dont certaines
tout imprégnées de sang, maintenant.
C’est ici qu’Israa et Yassin étaient
nés. C’est ici qu’ils ont vécu. Et c’est
ici qu’ils sont morts. Sur le sol de la
pièce frappée par la bombe dormaient les
sept enfants de la famille, âgés de 2 à
15 ans, ainsi que leur mère. Tous sont
en état de choc.
Les Forces de défense israéliennes
(*) connaissent bien cette cahute de
Beit Lahia : elles l’ont déjà démolie à
quelques reprises. Mais la famille a
continué à y vivre : où pourrait-elle
aller ? Aujourd’hui, Suleiman Abu
Khoussa, 45 ans et fermier, est assis
là, atterré par le mort de deux de ses
enfants juste devant leur mère, leurs
frères et leurs sœurs. La mère va se
terrer ailleurs, il n’est pas possible
de lui parler.
Leur maison se trouve à quelque 300
mètres d’un camp d’entraînement du
Hamas, une distance rendue bien plus
petite par les pilotes très expérimentés
de Forces aériennes israéliennes. Yassin
est mort sur place. Israa a été emmenée
dans un état critique à l’hôpital
indonésien de Beit Lahia, puis à
l’hôpital de Shifa, où elle est décédée.
Tous deux ont été enterrés côte à côte
au cimetière d’al-Salatin. Un frère et
une sœur, sans présent ni futur.
C’est tout juste si on a fait état de
l’incident, en Israël. Il est difficile
d’imaginer une déshumanisation plus
fondamentale que la couverture infâme
qu’ont assurée la majorité des médias
israéliens de l’exécution de ces deux
enfants palestiniens. Israel Hayom
en a parlé sous forme d’un sous-titre
laconique au ton méprisant et
condescendant : « Déclaration du
Hamas : À la suite de l’attaque, deux
enfants ont été tués. » Il n’est
pas difficile d’imaginer ce qui se
serait passé, si le Hamas avait tué deux
enfants israéliens, frère et sœur, avec
une roquette Qassam. On peut imaginer
non seulement d’impitoyables
représailles militaires, mais aussi
toute une couverture médiatique vibrante
d’émotion : de vraies bêtes, auraient
hurlé les gros titres, que ces
massacreurs d’enfants du Hamas !
Mais nos tueurs d’enfants, eux, sont
purs. Après tout, ce n’était pas
intentionnel. Ce ne l’est jamais.
Personne n’a demandé à Israël de publier
une condamnation, personne n’a même
pensé à exprimer le moindre regret, en
encore moins à proposer une
compensation.
J’aimerais beaucoup visiter la maison
d’Abu Khoussa afin de raconter aux
Israéliens ce que leurs forces aériennes
y ont fait. Mais Israël ne permet pas
aux journalistes israéliens de mettre
les pieds à Gaza. Le journal britannique
The Independent y était cette semaine
afin d’informer ses lecteurs. Le
[quotidien israélien] Yedioth
Ahronoth, de son côté, y allait
d’un reportage sur la guitare offerte
par Aviv Geffen à un type qui avait
brisé la sienne – et nos cœurs en même
temps – sur le crâne d’un terroriste.
Publié le 17 mars sur
Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal
(*)Le nom officiel de l’armée
d’occupation (NDLR)
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