Agence Média
Palestine
Nous n’arrêterons pas de filmer,
nous n’arrêterons pas d’écrire
Gideon Levy
Dimanche 17 juin 2018
La Knesset pourrait agir non seulement
contre la presse, mais aussi contre les
groupes pour les droits humains et
contre les Palestiniens, les derniers
témoins dans les poursuites contre
l’occupation.
Nous violerons
cette loi fièrement. Nous avons
l’obligation de violer cette loi, comme
toute loi sur laquelle flotte un drapeau
noir. Nous n’arrêterons pas de
documenter. Nous n’arrêterons pas de
photographier. Nous n’arrêterons pas
d’écrire – de toutes nos forces.
Les organisations
des droits humains feront la même chose
et, comme elles, nous l’espérons, les
témoins palestiniens, qui seront bien
sûr punis plus que tout autre. Selon le
projet de loi
entériné dimanche par le Comité
ministériel pour la législation [mais
avec quelques demandes de changements
dans la formulation], les individus
documentant les actions des soldats des Forces
de défense israéliennes en
Cisjordanie peuvent être envoyés jusqu’à
cinq ans en prison, dans certaines
circonstances.
Une jolie
initiative, M. le député à la Knesset
Robert Ilatov, démocrate du célèbre
parti de la liberté Yisrael Beiteinu.
Votre projet de loi prouve justement à
quel point les Forces de défense
israéliennes ont quelque chose à cacher,
ce dont elles doivent être gênées, ce
qu’il y a à couvrir, au point que même
la caméra et le stylo sont devenus leurs
ennemis. Ilatov contre le terrorisme des
caméras et Israël contre la vérité.
Au moment où la
police israélienne équipe ses agents de
caméras-piéton, qui, selon elle, ont
fait leurs preuves lorsqu’il s’agit de
réduire la violence policière, Israël
essaie d’enlever les caméras des
territoires occupés, la véritable
arène de son déshonneur – pour que la
vérité ne soit pas exposée et que
l’injustice soit minimisée.
Sans caméras,
l’affaire Elor
Azaria n’aurait pas existé ; sans
caméras, il y aura beaucoup plus d’Azarias.
C’est exactement l’objectif de la loi :
avoir beaucoup d’Azarias. Ce n’est pas
que la documentation réussisse à
empêcher quoi que ce soit. Les forces de
défense israéliennes et le public ne
s’excitent plus beaucoup sur les
violations des droits humains et sur les
crimes de guerre dans les territoires,
et la plupart des journalistes n’y
prennent plus non plus d’intérêt.
Quand on pense que
briser des os avec une pierre en face
des caméras d’une chaîne américaine a
causé un scandale pendant la première
intifada ! Aujourd’hui, personne n’est
perturbé par de telles images ; on peut
même douter, en fait, qu’on ferait
l’effort de les publier. Mais les
soldats israéliens ont appris à traiter
la caméra et le stylo comme l’ennemi. Si
nous présentions autrefois nos cartes de
presse aux checkpoints, aujourd’hui nous
les cachons pour que les soldats ne nous
attrapent pas, avec tous nos méfaits. Un
jour, nous avons même été arrêtés.
Couvrir
l’occupation aujourd’hui implique déjà
de violer la loi. Les Israéliens ont
l’interdiction d’entrer dans la zone A
[contrôlée par les Palestiniens] et les
journalistes doivent « coordonner » leur
entrée avec le bureau du porte-parole
des forces de défense israéliennes. Mais
parce que du journalisme sous
coordination n’a pas de sens, sauf pour
le journalisme des correspondants
militaires en Israël, nous ignorons cet
ordre ridicule, nous mentons aux
checkpoints, nous fraudons, nous nous
faufilons, nous utilisons des tactiques
de contournement et nous allons partout
en Cisjordanie.
Où étiez-vous ?,
demande le soldat après chaque visite à
Hébron. A Kiryat Arba. Qu’est-ce que
vous y faisiez ? Nous y avons des amis.
Parce qu’il n’y a qu’une poignée
négligeable de journalistes qui prennent
encore la peine d’y aller, les autorités
ferment les yeux.
Mais la technologie
et l’ONG
B’Tselem ont donné naissance à un
nouvel ennemi : des caméras vidéos qui
sont remises à des volontaires
palestiniens, et dans la foulée aussi
des téléphones portables, dans les mains
de chaque volontaire palestinien ou de
Machsom Watch. Tout d’un coup, il est
plus difficile de couvrir et de mentir.
Tout d’un coup, il est impossible
d’inventer facilement des couteaux et
d’autres dangers imaginaires après
chaque assassinat futile. Qui nous
sauvera ? Ilatov et son projet de loi,
qui a bien sûr reçu les encouragements
d’un autre démocrate célèbre, le
ministre de la Défense Avigdor
Lieberman.
En 2003, quand les
soldats des forces armées ont arrosé à
balles réelles la voiture blindée avec
des plaques d’immatriculation
israéliennes que nous conduisions à Tul
Karm, couverte de mentions « presse »,
la porte-parole des forces armées
d’alors, Brig. gén. Miri Regev, avait
demandé à l’éditeur en chef de Haaretz,
qui essayait en urgence de mettre un
terme à l’incident : « Mais qu’est-ce
qu’ils font donc là-bas ? ».
Depuis, Israël n’a
pas cessé de poser cette question.
Maintenant, la
Knesset pourrait très bien prendre
des mesures : pas seulement contre la
presse, avec laquelle elle continue à
user de prudence, mais principalement
contre les organisations des droits
humains et les résidents palestiniens,
les derniers témoins pour les poursuites
contre l’occupation. Israël est en train
de leur dire : plus de preuves
incontestables.
Dans les notes
explicatives sur le projet de loi, il
est dit, à juste titre, que les témoins
à charge et les témoins oculaires visent
à « briser la motivation des soldats et
des résidents israéliens ». C’est
exactement leur objectif : briser la
motivation à voir Azaria comme une
victime et un héros, à penser que le
massacre de 120 personnes non armées est
légal et à ne pas vouloir savoir,
entendre ou voir ce qui est fait chaque
jour en notre nom, dans l’arrière-cour
de notre pays.
Prochainement : une
loi qui interdit toute critique des
forces de défense israéliennes. Ilatov
est déjà en train de la rédiger ; la
plupart des Israéliens approuvent
certainement. Et nous, nous refuserons
aussi de la suivre, bien sûr.
Traduction : CG
pour l’Agence Média Palestine
Source :
Haaretz
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