Omar al-Badawi
est sorti de chez lui pour éteindre un
début d’incendie qui s’est déclenché
après qu’un cocktail Molotov a
accidentellement frappé le mur de sa
maison. Il était muni d’une serviette de
bain avec laquelle il voulait étouffer
les flammes. A ce moment précis, des
soldats israéliens l’ont abattu.
Tué parce qu’il
tenait une serviette de bain. Les
soldats auraient pensé qu’il s’agissait
d’un engin incendiaire et l’ont abattu
sur le pas de sa porte.
Une
vidéo de l’incident ne laisse planer
aucun doute : un jeune homme sort de sa
porte d’entrée avec une serviette et
crie à un voisin d’apporter de l’eau
rapidement pour l’aider à éteindre les
flammes qui lèchent le mur de sa maison
– début d’incendie déclenché par un
cocktail Molotov que des adolescents
avaient jeté sur des soldats, et qui
avait manqué son but. Un soldat qui se
trouve dans l’allée ouvre immédiatement
le feu sur le jeune homme qui s’effondre
et tente vainement de se relever. Il
meurt peu de temps après.
Ainsi s’acheva, de
manière tellement absurde, la courte vie
d’Omar al-Badawi, 22 ans, du camp de
réfugiés d’Al-Arroub, situé sur la route
principale reliant Bethléem à Hébron.
L’incident a eu
lieu le 11 novembre, jour anniversaire
de la mort de Yasser Arafat, qui est
chaque année un jour de troubles dans
les territoires occupés en général et à
Al-Arroub en particulier. Le 11 novembre
2014, Mohammed Jawabreh, 19 ans, y a été
tué, touché d’une balle réelle tirée
dans sa maison par des soldats de
l’armée israélienne qui se tenaient sur
le toit d’une maison voisine. Les
soldats ont prétendu que Jawabra
détenait une arme et qu’ils s’estimaient
en danger, mais une enquête de B’Tselem,
l’organisation israélienne de défense
des droits de l’homme, a écarté cette
possibilité. Cette fois-ci, les soldats
ont dit qu’ils pensaient que leur
victime tenait un cocktail Molotov – qui
était en fait une simple serviette de
bain.
Toujours le 11
novembre, l’année suivant le meurtre de
Jawabreh, Ibrahim Dawad, un adolescent
de 16 ans du village de Deir Ghasana,
situé au nord de Ramallah, a été abattu
par la police des frontières.
C’est une ruelle
étroite, juste assez large pour être
traversée, dans la partie supérieure du
camp d’Al-Arroub, non loin de son
entrée. Des sacs à ordures sont empilés
devant la maison ; une immense affiche
commémorative du défunt recouvre l’étage
supérieur, placé par le Front Populaire
de Libération de la Palestine. Les
maisons sont attenantes les unes aux
autres, les fenêtres jouxtent les
fenêtres voisines – c’est la zone la
plus densément peuplée du camp. Badawi a
émergé brièvement de la porte de cette
maison, pendant ce qui s’est révélé être
les derniers instants de sa vie.
La voie qui mène à
la maison est raide. Le soldat qui a
tiré sur Badawi – une seule balle dans
la partie supérieure du corps – se
tenait plus bas, à environ 20 mètres à
vol d’oiseau de sa victime. Badawi est
tombé sur le dos sur les marches qui
menaient à son domicile, avant de rouler
dans la rue.
C’était un peu
après midi. Les soldats ont tenté de
refouler les lanceurs de pierres –
quelques dizaines d’élèves du secondaire
– de l’autoroute 60, en les poursuivant
et en tirant des grenades lacrymogènes
dont les émanations se sont propagées
dans les maisons. Badawi était à la
maison, en train de rénover la salle de
bain de ses parents. Lorsque des gaz
lacrymogènes ont commencé à envahir
l’intérieur, il s’est dépêché de sortir
avec sa sœur Maram, 23 ans, son frère
Basal, âgé de 16 ans, et deux cousins,
Hamza, 14 ans, et Yazen, 12 ans. Il a
hélé le voisin d’en face, un membre de
la famille nommé Tareq Badawi, âgé de 25
ans, qui a ouvert la porte. Les cinq
jeunes gens se sont précipités à
l’intérieur pour chercher un abri contre
l’épaisse fumée.
Quelques minutes
plus tard, Omar remarqua que le mur
extérieur de sa propre maison, nu, était
en feu, ainsi qu’une plante grimpante à
l’extérieur de la maison de Tareq et des
rideaux à l’intérieur. Les jeunes
manifestants lançaient maintenant des
cocktails Molotov sur les soldats.
Badawi se précipita dehors, une
serviette à la main, pour éteindre les
flammes, et cria aux voisins d’apporter
de l’eau. À ce moment, il a été abattu.
À présent, le mur
de sa maison est noirci par la suie, et
les rideaux et la plante grimpante de
Tareq sont brûlés.
Les clips vidéo ont
enregistré la séquence des événements.
L’une d’elles a été prise par le
photographe de presse palestinien Muad
Amarna, qui portait un gilet pare-balles
portant l’inscription « Press ». Quatre
jours plus tard, il a perdu un œil après
avoir été abattu par des soldats
israéliens dans le village de Surif,
près de Hébron. Des images prises par un
autre journaliste local, Abdul Rahman
Hassan, montrent Badawi sortant de la
maison avec une serviette et descendant
les marches. On voit deux photographes
de presse sur les images, et un autre
est derrière lui, tous couvrant les
manifestations et essayant d’éviter le
gaz lacrymogène.
Au moment où Badawi
demande de l’eau pour l’aider à éteindre
le feu, il est abattu. On entend des
cris angoissés et des exclamations.
Badawi a été placé dans une voiture
privée qui l’a conduit au dispensaire
local de l’UNRWA, l’agence des Nations
Unies pour les réfugiés.
Dans une seconde
vidéo filmée par
Amarna, alors qu’il avait encore ses
deux yeux, on voit trois soldats
tirer trois coups de feu en l’air et
marcher dans tous les sens – puis un
autre coup de feu est entendu, mais il
ne vient pas d’eux. Badawi est alors vu
en train de s’effondrer. Cette fois, la
vidéo est prise de l’avant, depuis la
ruelle. Badawi n’a pas été abattu par
les soldats qui se trouvaient à
proximité, mais par un soldat en
embuscade qui a visé et tiré depuis sa
position plus bas sur la route.
Badawi est vêtu de
tongs, d’un jean et d’un t-shirt violet.
On le voit agripper son estomac
ensanglanté et s’écrouler. Des cris
hystériques se font bientôt entendre
tandis que ses amis le transportent dans
la voiture du voisin.
Haitham Badawi est
le père en deuil qui pleure maintenant
la mort de son fils. Il a 55 ans, est un
employé du « comité populaire » local
d’Al-Arroub et a trois filles et deux
fils encore vivants. Le salon est
étroit. Omar, dit son père, a servi dans
la police palestinienne jusqu’à ce qu’il
quitte la force après avoir été muté à
un poste de renseignements.
Dernièrement, il travaillait avec son
oncle à faire des rénovations dans le
camp et avait commencé à construire son
propre appartement au deuxième étage de
la maison de ses parents, où il espérait
fonder sa propre famille. Autant que
l’on sache, il n’y avait pas encore de
future épouse. La mère endeuillée, Hajar,
se joint à la conversation. Les parents
n’étaient pas à la maison lorsque leur
fils a été tué, nous dit-on : il était
au travail, elle était à la clinique, où
elle faisait vérifier sa tension
artérielle.
Omar s’est réveillé
ce matin exceptionnellement tôt, vers
6h15. Il faisait froid dans la maison et
sa mère l’a invité à se recoucher.
L’oncle d’Omar Nur Badawi vit dans la
maison adjacente. Il est concierge dans
une université locale et est rentré plus
tôt que d’habitude. L’école se termine
tôt le jour anniversaire de la mort
d’Arafat. Nur se tenait à un mètre et
demi d’Omar lorsqu’il a été abattu. Il a
d’abord reculé, paniqué, puis s’est
précipité pour aider à évacuer son neveu
mourant. Alors qu’ils transportaient
Omar vers la voiture, les soldats ont
lancé des grenades assourdissantes avant
de partir. La famille avait peur que les
soldats kidnappent Omar, blessé. Il est
parvenu à bredouiller ces quelques mots
à Tareq, qui se précipita vers lui : «
Mon dos me fait mal. » Ce furent ses
derniers mots.
Quelque temps après
avoir été amené à la clinique de
l’UNRWA, une ambulance palestinienne est
arrivée et a emmené Badawi à l’hôpital
Al Ahli à Hébron. L’autoroute 60 a été
fermée à cause des troubles et il a
fallu 20 minutes à l’ambulance pour s’y
rendre, via des routes secondaires. Il
respirait encore quand il est arrivé à
Al Ahli, mais à 13h30, 40 minutes plus
tard, il a été déclaré mort.
Funerailles d’Omar
al-Badawi
Pendant notre
visite, le téléphone à la maison de la
famille a sonné. Le siège du bureau de
coordination et de liaison de district
demande à ce qu’il vienne témoigner
devant les enquêteurs de la police
militaire israélienne, qui investiguent
l’incident. Les parents d’Omar ne savent
pas comment se rendre au bâtiment de
l’unité, à Hébron.
L’unité du
porte-parole de l’armée israélienne a
déclaré à Haaretz cette semaine :
« L’incident en question fait l’objet
d’une enquête. Les conclusions de cette
enquête seront ensuite transmises à
l’avocat général. Naturellement, aucun
détail ne peut être fourni pour le
moment concernant une enquête en
cours. »
Un drapeau
israélien flotte de façon provocante
au-dessus de la tour de guet fortifiée
de l’armée israélienne qui surplombe
l’entrée d’Al-Arroub, sur la route
principale. Ce drapeau est directement
vu par quiconque ouvre une fenêtre ou
une porte dans le camp.
La salle de bain
que Badawi était en train de rénover le
dernier jour de sa vie est totalement
nue. Il avait réussi à enlever le
carrelage de l’ancien mur et du sol,
mais ne les avait pas encore remplacés.
Le sac de vieux morceaux de carrelage
repose silencieusement à l’entrée de la
maison.
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