Palestine
Grande-Bretagne : le lobby israélien
lance
une chasse à l’homme contre Jeremy Corbyn
Gidéon Levy
Dimanche 1er décembre 2019 Source :
Haaretz, le 28 novembre 2019
Traduction :
lecridespeuples.fr
Corbyn n’est pas
un antisémite. Son vrai péché est de
lutter contre les injustices dans le
monde, y compris celles perpétrées par
Israël.
Les élites juives
en Grande-Bretagne et la machine de
propagande israélienne ont mis à prix la
tête du dirigeant du Parti travailliste
britannique, Jeremy Corbyn, et lancé
tous leurs chasseurs de prime à ses
trousses. Cet avis de recherche, mort ou
vif, a été publié il y a longtemps, et
il était clair que plus Corbyn se
rapprocherait du poste de Premier
ministre, plus la traque se durcirait.
Mardi 26 novembre,
elle a atteint son apogée dans
un article du grand rabbin d’Angleterre,
Ephraim Mirvis, dans un article du
Times. Mirvis a décrété que
l’inquiétude des Juifs britanniques à
l’égard de Corbyn était justifiée et
qu’il n’était pas digne d’être Premier
ministre. Il a appelé les Juifs à ne pas
voter pour le Parti travailliste lors de
l’élection du 12 décembre.
Né en Afrique du
Sud et diplômé de la Yeshiva Har Etzion
située dans la colonie de Alon Shvut,
Mirvis est la voix du judaïsme
britannique. À Capetown, Johannesburg,
et à Har Etzion, en Palestine occupée,
il aurait dû apprendre ce qu’est
l’Apartheid et pourquoi il faut le
combattre. Ses parents ont retenu la
leçon, mais on peut douter qu’il ait
tiré le moindre enseignement d’ordre
moral dans les zones de négation des
droits (des Noirs ou des Palestiniens)
où il a vécu en Afrique du Sud et en
Cisjordanie.
Ephraim Mirvis
Contrairement à
l’horrible Corbyn, Mirvis ne voit
aucun inconvénient à la poursuite de
l’occupation ; il ne
s’identifie pas à la lutte pour la
liberté des Palestiniens, et il ne
ressent pas la similitude entre
l’Afrique du Sud de son enfance, Har
Etzion de sa jeunesse et Israël en 2019.
C’est la véritable raison pour laquelle
il rejette Corbyn. Les Juifs de
Grande-Bretagne veulent également un
Premier ministre qui soutienne Israël,
c’est-à-dire qui soutienne l’occupation.
Un Premier ministre critique d’Israël
est pour eux un exemple du « nouvel
antisémitisme ».
Corbyn n’est
pas un antisémite. Il ne l’a jamais
été. Son véritable péché réside dans sa
position ferme contre l’injustice dans
le monde, y compris la version perpétrée
par Israël. Aujourd’hui, c’est considéré
comme de l’antisémitisme. Le Hongrois
Viktor Orban, le Parti de la liberté
autrichien et l’extrême droite en Europe
ne constituent pas un danger pour les
Juifs. A leurs yeux, c’est Corbyn qui
est l’ennemi. La nouvelle stratégie
d’Israël et de l’establishment sioniste,
particulièrement efficace, consiste à
qualifier d’antisémite quiconque
revendique davantage de justice, et à
accuser de haine contre les Juifs
quiconque critique Israël. Corbyn est
victime de cette stratégie qui menace de
paralyser et de faire taire toute
l’Europe vis-à-vis d’Israël.
Les Juifs
britanniques ne feignent peut-être pas
leur inquiétude, mais ils amplifient
certainement le danger. Il existe certes
de l’antisémitisme, mais bien moins que
ce qui est présenté, même à gauche.
Environ la moitié des Juifs britanniques
envisageraient de fuir si Corbyn est
élu. Qu’ils fuient donc. L’enquête qui a
montré cela pourrait réellement
encourager l’antisémitisme : les Juifs
de Grande-Bretagne sont-ils
conditionnellement britanniques ? Vers
qui va leur loyauté ?
Notre source
nous informe que Corbyn faisait partie
de l’IRA, de la CIA,
du KGB, du MI5 et
du (groupe pop suédois) ABBA dans les
années 1970.
L’avenir de tous
les Juifs britanniques est beaucoup plus
sûr que celui de tout Palestinien vivant
sous l’occupation, et encore plus sûr
que celui de tout Arabe vivant en
Israël. Les Juifs sont infiniment moins
persécutés et victimes de discrimination
et de racisme que les Palestiniens de
l’Etat d’Israël qui leur est si cher. De
plus, l’islamophobie en Europe est bien
plus courante que l’antisémitisme, mais
les gens en parlent moins.
Mirvis ne présente
aucune preuve de l’antisémitisme de
Corbyn. Il s’est contenté de noter le
fait que Corbyn avait
décrit comme « amis » ceux qui «
soutenaient le meurtre de Juifs » –
une référence aux commentaires de Corbyn
sur le Hezbollah et le Hamas. Corbyn est
en effet un critique très sévère de
l’occupation, il soutient le boycott
d’Israël et compare le blocus de Gaza au
siège de Stalingrad et de Leningrad. Ce
sont des positions anti-israéliennes,
mais pas nécessairement antisémites. Les
Juifs de Grande-Bretagne brouillent
cette différence, de même que de
nombreux Juifs à travers le monde, et ce
de manière intentionnelle. On peut (et
devrait) être un critique sévère
d’Israël sans être antisémite.
Si les Juifs
d’Angleterre et leur Grand rabbin
étaient plus honnêtes et plus courageux,
ils se demanderaient : la politique
d’occupation brutale d’Israël n’est-elle
pas le motif le plus puissant de
l’antisémitisme aujourd’hui ? Il y a de
l’antisémitisme, il faut le combattre,
mais il faut aussi reconnaître qu’Israël
lui fournit une abondance d’excuses et
de motivations, de même que ceux qui
amalgament la critique d’Israël à celle
des Juifs, et qui, de fait, donnent des
arguments de poids aux antisémites.
Les Juifs et les
vrais amis d’Israël devraient espérer
que Corbyn soit élu. C’est un homme
d’État capable de changer le discours
international sur l’occupation et sur la
lutte contre celle-ci. Il est une lueur
d’espoir pour un monde et un Israël
différents – et que demander de plus ?
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